Intervention de Nicolas Dufourcq

Réunion du mercredi 7 février 2018 à 16h15
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance :

Bpifrance investit pour longtemps, ce qui explique que nous réalisons des plus-values, car nous traversons les cycles économiques. C'est ainsi qu'elle a pu investir en bas de cycle dans le domaine pétrolier – 400 millions d'euros pour Technip, 300 millions dans Vallourec. Nous sommes convaincus que non seulement nous ne perdrons pas notre investissement mais que nous pourrons faire plus tard des plus-values significatives. Nous nous donnons le temps d'attendre. Nos horizons temporels sont assez lointains. Cela est vrai pour nos participations dans les grandes entreprises, mais aussi dans les PME. La raison pour laquelle nous parvenons à convaincre les familles qui détiennent des entreprises de taille intermédiaire, petites ou moyennes d'ouvrir leur capital, c'est qu'elles savent que nous investissons pour longtemps. Elles ont confiance en nous. Bpifrance est un des rares investisseurs de long terme en France. Cela permet de rassurer les entrepreneurs comme les fonds de capital-risque ou de capital-développement. Tous savent que nous continuerons de les financer sur la durée.

Le modèle allemand est très différent. Il n'y a finalement pas beaucoup de fonds de capital-investissement, mais des familles très riches qui ont accumulé énormément de capital dans la durée, parfois logé dans des fondations exemptées de droits de succession. Elles ont donc moins besoin des participations minoritaires des fonds de capital-développement que les familles industrielles françaises. Paradoxalement, le financement des entreprises allemandes repose beaucoup sur la dette.

Pour ce qui est de la protection des entreprises stratégiques, il me semble important de raconter ce qui s'est passé lors de la vente d'Alstom.

Le vendredi, grâce à une fuite de l'agence Bloomberg, nous découvrons que la négociation est très avancée entre Alstom et General Electric. David Azéma, le directeur général de l'APE et moi-même nous concertons pour savoir quelle contrepartie peut être apportée. Le lundi soir, nous prenons la décision de recourir aux services d'avocats et de banquiers pour travailler sur ce dossier, décision soutenue par le ministre de l'économie de l'époque, Arnaud Montebourg.

Ensuite ont lieu les négociations dont le flux vous sera raconté par ceux qui les ont menées. Très rapidement, nous comprenons que si d'aventure l'État devait intervenir, ce serait l'APE qui aurait le leadership, pour des raisons presque politiques. Bpifrance se prépare tout de même : nous montons un dossier complet que nous présentons au conseil d'administration, ainsi qu'au comité d'investissement, au comité des engagements de la Caisse des dépôts et consignations, à la commission de surveillance de la CDC, au conseil d'administration de Bpifrance Investissement et au conseil d'administration de Bpifrance groupe. Il faut savoir que les dossiers des très grosses participations doivent obligatoirement passer dans ces cinq instances, et dans un délai de deux à trois jours ; c'est un mode de gouvernance lourd, mais on fait avec.

Pendant les délibérations du conseil d'administration, dont je ne vais pas vous livrer le secret, la décision est prise qu'il reviendra à l'APE de prendre une éventuelle option. Ensuite, le dossier d'Alstom n'a plus jamais été géré par Bpifrance. Je n'en ai plus entendu parler.

Ce qui est intéressant, c'est que c'est dans le cours des négociations que nos avocats, qui travaillaient d'ailleurs pour le cabinet américain Cleary Gottlieb, nous ont chaudement recommandé de mettre en place, en France, un dispositif similaire au CFIUS américain pour parer à des dangers de plus en plus grands. C'est ainsi que le ministère s'est emparé de l'idée et a élaboré le décret Montebourg, dont la première version a d'ailleurs été rédigée par le cabinet en question, puis revue par la Direction générale des entreprises (DGE).

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