Intervention de Nicolas Dufourcq

Réunion du mercredi 7 février 2018 à 16h15
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance :

Je sais bien… Reste qu'il y a des cas dont on sait qu'ils sont malheureusement très difficiles à sauver.

Bpifrance a financé le repreneur de Whirlpool. Je peux vous dire que nous sommes enchantés lorsque nous trouvons un repreneur. Parfois, nous allons même les chercher. J'en veux pour preuve que c'est nous qui avons trouvé les repreneurs de Clestra et CPI. Nous finançons des fonds de retournement. Nous aimerions en financer beaucoup plus, mais il n'y a pas beaucoup d'équipes. Beaucoup d'équipes ont disparu parce que les fonds avaient tout perdu. On est là dans les zones ultimes du risque. Je vois malheureusement parfois des dizaines et des dizaines de millions d'euros « brûlés » en pure perte… On touche là à la limite de l'exercice : les erreurs accumulées par le passé, les retournements de marché ou la violence de la compétition économique sont tels que le constat d'une certaine forme de défaite doit être fait. C'était le débat qui a présidé à la création de Bpifrance autour des fameux « canards boiteux ». C'est une expression que je n'ai jamais utilisée, mais il y a des situations critiques. Autrement dit, on peut réparer une jambe cassée, mais pas un infarctus. Lorsqu'elles sont situées dans un territoire, c'est catastrophique car il faut ensuite le réindustrialiser. Malheureusement ce sont des choses qui arrivent.

Cela m'amène à votre deuxième question, celle de la compétitivité. Nous sommes convaincus d'avoir devant nous probablement deux très belles années qui seront l'occasion pour les entreprises d'accumuler le maximum d'énergie et de puissance pour pouvoir traverser le prochain cycle négatif en vainqueur, ou en tout cas sans trop souffrir. En clair, c'est la cigale et la fourmi. C'est le moment de s'équiper, d'investir, de se constituer un fonds de roulement, d'augmenter son capital, de s'endetter à long terme, de fusionner, de changer de directeur financier, de revoir son conseil d'administration, son comité de direction. Bref, tout ce qui est difficile, il faut le faire en été, et aujourd'hui, c'est l'été. Voilà le discours que nous tenons aux entrepreneurs : si vous attendez l'hiver, vous allez tomber ; et lorsque vous viendrez nous chercher, nous serons malheureusement obligés de vous dire que nous vous avions prévenus. Il est urgent de surinvestir, de surtransformer, de digitaliser, de robotiser dès maintenant.

C'est la raison pour laquelle nous avons lancé, à la demande de Bruno Le Maire, des accélérateurs, en quelque sorte des « INSEP pour entrepreneurs » qui les préparent aux épreuves olympiques les plus difficiles. On passe tout en revue : conseil, accompagnement, mentorat, voyages à l'étranger, Bpifrance université, retour dans les écoles de commerce. 4 000 entreprises vont être concernées par ce dispositif, dans le cadre de promotions de deux ans très intenses qui les transforment littéralement. Nous sommes en train d'ouvrir ces accélérateurs un peu partout en France avec les fédérations professionnelles, les régions, les territoires, pour ne plus revoir, en tout cas pas autant que la dernière fois, ces situations que nous avons trop connues : des entreprises dont on pensait qu'elles allaient bien alors qu'elles n'avaient pas tout fait, contrairement aux entreprises allemandes, pour se préparer sur le long terme aux situations de crise.

Cela demande beaucoup d'énergie à Bpifrance de passer 4 000 entreprises dans des accélérateurs pendant deux ans. C'est un nouveau métier pour nous. Nous sommes en discussion avec nos actionnaires pour voir dans quelle mesure ils pourraient nous aider à financer ce dispositif – car cela coûte beaucoup d'argent. Nous cherchons environ 20 millions d'euros par an, et nous faisons payer chaque entrepreneur 40 000 euros par an. C'est l'une des priorités de ma nouvelle feuille de route pour les années à venir.

Vous avez raison, l'État n'est pas le seul acteur. Des investisseurs institutionnels doivent se positionner : je pense au fonds stratégique de participation des assureurs, qui pourrait être plus gros, et aux grands investisseurs institutionnels que vous connaissez bien dont on aura sans doute besoin et avec lesquels le dialogue est ouvert.

C'est vrai, les grands groupes ne rachètent pas suffisamment les start-up. Mais les choses sont en train de changer. Ils sont aujourd'hui dans une phase intermédiaire dite du corporate venture : ils investissent beaucoup d'argent dans des fonds de capital-risque qui eux-mêmes rachètent les start-up. C'est donc une espèce d'enveloppe intermédiaire où l'on gère les start-up sans les confronter directement à la culture centrale profonde du groupe historique, qui est en général un peu prédatrice pour la start-up. Mais le corporate venture conduit toujours à revendre la société, ce qui in fine ne la fait pas progresser. Il faut donc entreprendre un grand changement culturel dans le monde des corporates européens, en particulier français, pour qu'ils apprennent à acheter des start-up au prix du marché des start-up, c'est-à-dire à des multiples beaucoup plus élevés que leur multiple à eux. Les directeurs financiers des grands groupes doivent reconnaître qu'il y a deux finances : leur finance et leur monde, celui des analystes financiers, et donc leur multiple – par exemple dix fois les big data – et la finance des start-up, totalement différente puisqu'elles connaissent une hypercroissance, où le multiple potentiel se situe au niveau du revenu.

Nous avons incontestablement du retard dans ce domaine, mais nous ne sommes pas les seuls puisque c'est exactement la même chose en Allemagne, si ce n'est pire, et en Israël. Actuellement, les grands groupes chinois sont les plus gros acheteurs de start-up. En 2017, ils en ont acheté pour 30 milliards d'euros, parce qu'ils ont de grands groupes digitaux comme Alibaba, Tencent et Baidu qui sont déjà dans cette culture-là. Nous n'avons pas en Europe de telles vaches à lait digitales, mais seulement des groupes d'une autre culture qui rachètent la culture digitale, d'où le conflit de culture, etc. Les seuls qui savent vraiment faire, ce sont les groupes pharmaceutiques : 60 % environ des produits qu'ils mettent sur le marché ont été inventés par des start-up et non par eux-mêmes.

Faut-il organiser une campagne nationale pour remédier à la sous-capitalisation des PME ? Nous sommes face à un public dans lequel la seule méthode utile et efficace, c'est le contact physique multiple, le porte à porte. Il nous faut trois ans en moyenne pour convaincre une famille d'ouvrir son capital. Autrement dit, il faut être en permanence sur le terrain, et c'est ce que nous faisons. Par ailleurs, il faut beaucoup d'acteurs locaux crédibles qui fassent la même chose : ce sont les fonds de capital-développement locaux, les SIPAREX en particulier, les fonds de capital-développement régionaux que nous finançons, les conseils régionaux. Ces fonds sont essentiels : ce sont eux qui travaillent la matière de l'entrepreneuriat familial, de manière à préparer les entreprises à ouvrir leur capital. Et lorsqu'elles le font, beaucoup de choses commencent à changer.

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