Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 15h00
Bonne application du régime d'asile européen — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

… pour choisir l'efficacité. C'est bien en cela que cette proposition, qui se veut simplement efficace, fait fi de la réalité. À l'instar d'autres textes, elle apparaît surtout destinée à faire savoir à l'opinion, qui a souvent du mal à distinguer la figure du demandeur d'asile de celles du migrant économique et de l'étranger, que l'on restera ferme sur les principes, quitte à oublier que la réalité est souvent différente.

Nous restons songeurs en constatant à quel point le caractère opérationnel de ces mesures n'est pas pris en compte. Pourtant, selon un rapport d'un de nos collègues du Sénat, seules 10 % des procédures de transfert au titre du règlement de Dublin ont abouti en 2016, et les raisons qui expliquent cet échec n'ont rien à voir avec la fuite des migrants en attente.

Cette proposition intervient aussi alors qu'en 2018, le nombre de demandeurs d'asile faisant l'objet d'une procédure de transert devrait augmenter de 30 %. Il sera certainement possible de dire, au titre de la gouvernance par les chiffres, qu'on fera plus de rétentions administratives. Une telle logique comptable est déjà à l'oeuvre dans les processus d'examen au fond des dossiers, où la qualité de l'instruction des demandes et celle des décisions rendues semble s'effacer derrière un impératif de réduction des délais et d'augmentation du nombre de dossiers traités. Cela signifie-t-il qu'on est plus efficace ? Rien n'est moins sûr. Je note que, selon le rapport de 2016 de la CIMADE, moins d'une personne sur deux placée en rétention quitte le territoire. Ce texte sera, je n'en doute pas, adopté sans que l'on sache si les moyens nécessaires pour l'appliquer seront bien au rendez-vous.

Enfin, vous justifiez l'urgence de ces mesures par la nécessité de prévenir le risque qu'un demandeur d'asile, compte tenu des circonstances, se retrouve finalement en situation irrégulière. Or, je ne peux m'empêcher de penser que, dans le projet de loi de finances pour 2018, les crédits consacrés à la lutte contre l'immigration irrégulière ont, eux, baissé de 7 % ! Dans ces conditions, si l'examen de cette proposition avant le projet de loi de portée plus générale que nous attendons peut être pertinent au seul plan du droit, il interroge quant à sa finalité et à sa cohérence dans le contexte que je viens de décrire.

Les amendements déposés par le groupe Nouvelle Gauche afin de mieux garantir les droits des migrants « humanitaires » ont été systématiquement considérés comme superfétatoires. Pourtant, à bien regarder la jurisprudence des grandes juridictions protectrices des droits, l'absence de précision est bien plus souvent sanctionné que le surplus de dispositions. En outre, dans beaucoup de cas, le rappel des droits aide à l'appropriation de la loi et favorise sa lisibilité et l'intelligibilité de son contenu.

Les amendements que je proposerai au nom de mon groupe visent d'une part à s'assurer que les mesures adoptées sont proportionnées au risque, car nous refusons toute systématisation – et s'ils ne sont pas modifiés, nous demanderons la suppression des articles de la proposition de loi – , et d'autre part à garantir le respect des droits des enfants et des familles. Je note en effet que ni les enfants, ni les femmes n'échappent à la logique de la rétention préventive élargie, ce qui pourrait constituer une violation des dispositions de protection qui prévoient un traitement différencié de leur situation.

Je note aussi que le durcissement du texte par le Sénat aura pour effet de réduire les droits accordés aux demandeurs placés en rétention, alors même qu'ils seront sans doute plus nombreux à la subir, comme si la nécessité de gérer des flux plus importants de demandeurs d'asile devait nécessairement se traduire par un effritement des garanties qui leur sont apportées, par l'extension des droits de l'administration et par une plus grande sévérité de la loi qu'elle est chargée d'appliquer !

Le groupe Nouvelle Gauche, dont je me fais aujourd'hui la porte-parole, refuse de soutenir cette proposition de loi dans son principe même. Assumant ses responsabilités, il réclame que son contenu évolue dans le sens de l'affirmation du droit des plus fragiles.

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