Intervention de Laurence Vichnievsky

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 15h00
Bonne application du régime d'asile européen — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Vichnievsky :

Ces débats sont extrêmement importants pour l'avenir du pays, et ils auront lieu dans cet hémicycle, peut-être lorsque le Gouvernement déposera, dans les semaines qui viennent, un projet de loi sur l'asile – encore que, d'après ce que je sais de ce texte, je ne suis pas certaine qu'il réponde aux questions posées sur la politique migratoire que nous souhaitons pour notre pays. Qui voulons-nous accueillir, dans quelles conditions ? Combien de personnes voulons-nous accueillir ? Ce projet n'aborde pas ces sujets.

Mais aujourd'hui, notre assemblée n'est saisie que d'un dispositif très ponctuel visant à assurer, cela a été dit, la bonne mise en application par la France du règlement européen Dublin III, qui tend – question de bon sens – à déterminer, pour chaque demande d'asile formée sur le territoire de l'Union européenne, l'État membre qui sera responsable de son examen.

Plus précisément encore, notre rapporteur l'a rappelé, l'obligation d'adopter un texte résulte d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, rendu contre la République tchèque, qui prescrit que les États membres sont tenus de fixer dans leur législation les critères objectifs d'un « risque non négligeable de fuite » des demandeurs d'asile, permettant de placer ceux-ci en rétention lors d'une procédure de transfert vers un autre État membre. Cette obligation a été rappelée à de nombreuses reprises, et encore très récemment, par la Cour de cassation. Aujourd'hui, ces critères n'existent tout simplement pas dans notre législation.

Le seul objet de cette proposition de loi est – ou du moins était à l'origine, car elle comporte aujourd'hui un certain nombre d'autres dispositions – de fixer ces critères et de les inscrire dans notre législation.

Ma seconde observation concerne la méthode. Plus que d'autres sujets, les questions relatives à l'immigration suscitent de l'émotion, voire de la passion. Cela se comprend parce que ces sujets revêtent nécessairement une dimension humanitaire. Mais, en tant que législateurs, nous devons raison garder. Nous devons nous tenir éloignés aussi bien du syndrome de la forteresse assiégée, qui nous amènerait à voir un envahisseur en chaque étranger pénétrant sur le sol français, que de l'empathie ou de la compassion pour la figure du migrant, qui nous ferait oublier que notre mission est d'abord celle de défendre l'intérêt supérieur du pays.

J'en viens à la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui.

Les modifications apportées par le Sénat n'altèrent pas, à mon sens, l'économie générale du texte que nous avions voté en première lecture. Le principal apport du Sénat – ce point a été peu souligné – concerne le régime de l'assignation à résidence de l'étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire. L'article 3, nouveau, met en conformité le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le CESEDA, avec une décision récente du Conseil constitutionnel.

L'assignation à résidence peut être, comme auparavant, prolongée au-delà de cinq années – un délai très conséquent – mais devra désormais être justifiée par des circonstances particulières, tenant notamment à l'absence de garanties de représentation de l'étranger ou au fait que sa présence constituerait une menace grave pour l'ordre public. Faute de quoi, elle devra cesser. L'apport du Sénat sur ce point conforte donc le droit qu'a l'étranger de se déplacer librement sur le territoire national, en encadrant plus strictement le pouvoir de l'autorité administrative d'y porter atteinte. Le groupe MODEM votera cette mise en conformité du CESEDA avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Deux autres modifications significatives ont été introduites par le Sénat : d'une part, concernant l'élargissement des critères permettant d'apprécier l'existence d'un risque non négligeable de fuite de l'étranger faisant l'objet d'une procédure de transfert ; d'autre part, concernant le délai de recours de l'étranger contre une décision de transfert.

S'agissant de la première, la prise en compte de la dissimulation par l'étranger d'éléments « de son parcours migratoire, de sa situation familiale ou de ses demandes antérieures d'asile » nous a semblé justifiée. J'appelle votre attention, chers collègues, sur le fait qu'une simple omission par l'étranger d'un ou plusieurs de ces éléments ne saurait en soi justifier son placement en rétention. Il faut, aux termes du texte, que cette omission soit volontaire, c'est-à-dire qu'il s'agisse non d'une simple omission, mais véritablement d'une dissimulation. Il appartiendra à l'autorité administrative de caractériser cette dissimulation, notamment l'intention dolosive de l'étranger, d'en apporter la preuve, et au juge des libertés et de la détention de contrôler l'existence de la dissimulation.

C'est la raison pour laquelle le groupe MODEM et apparentés votera le texte en l'état.

S'agissant de la deuxième modification, le Sénat a effectivement réduit de quinze à sept jours le délai accordé à l'étranger pour demander au juge administratif l'annulation d'une décision de transfert. La commission des lois a décidé de ne pas revenir sur cette modification et de voter la proposition de loi conforme. J'ai moi-même hésité à voter ainsi, considérant notamment l'absence de tout risque d'une censure de la Cour européenne des droits de l'homme, le délai raisonnable au sens de l'article 6, alinéa 1, de la convention étant, si vous m'autorisez ce raccourci, celui qui n'est pas trop long et non celui qui n'est pas trop court.

Un autre argument développé par le Gouvernement est qu'il est préférable d'adopter la proposition de loi dès aujourd'hui, par un vote identique de l'Assemblée nationale et du Sénat, plutôt que de s'engager, sur ce qui ne constitue qu'une disposition marginale du texte, dans une nouvelle navette parlementaire.

Notre groupe a néanmoins considéré qu'il fallait, sur ce point, revenir au texte initial de l'Assemblée et maintenir un délai de quinze jours. Il votera donc, sous cette réserve, la présente proposition de loi permettant une bonne application du régime d'asile européen.

En conclusion, le texte qui nous est soumis, dont la portée est très circonscrite, trouve un juste équilibre entre la tradition française d'accueil des réfugiés, conforme aux idéaux humanistes de notre pays, et la nécessité d'une application effective de nos engagements européens visant à transférer les demandeurs d'asile vers d'autres pays de l'Union, lorsque ceux-ci sont compétents pour statuer sur leurs demandes.

En réalité, ce sont les faits qui trancheront en dernier ressort. Aujourd'hui, cela a été dit à plusieurs reprises, parmi l'ensemble des cas qui relèvent du règlement de Dublin et pour lesquels la France a reçu l'accord des pays appelés à examiner à sa place les demandes d'asile, seule une faible minorité des demandeurs est effectivement transférée. De nouveaux chiffres, portant sur les transferts de 2018, seront publiés au début de l'année 2019. C'est sur leur base que l'on pourra juger de l'efficacité de notre nouvelle législation et des résultats de l'action du Gouvernement. En ce qui me concerne, je lui fais confiance.

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