Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 15h00
Bonne application du régime d'asile européen — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur cette proposition de loi. Elle est évidemment nécessaire.

Je suis profondément attachée au droit d'asile. Il fait la grandeur de notre démocratie. La France a toujours ouvert ses portes aux persécutés, aux pourchassés pour leurs idées, pour leurs convictions ou pour leur religion. Et elle doit continuer à le faire, mais sans confier à d'autres ce qui relève de choix essentiels, politiques – au vrai sens du terme – , vitaux même.

C'est au peuple français de décider, surtout en matière d'accueil de populations étrangères, et à nous, parlementaires, de veiller à ce qu'il en soit ainsi. S'il s'agit d'harmoniser nos législations pour en accroître l'efficacité, tant mieux ! Mais en matière de droit d'asile, certains de nos voisins européens font parfois preuve d'une rare inconséquence.

Depuis 1990 et les accords de Dublin, les demandeurs d'asile doivent déposer leur dossier de demande dans le premier pays d'Europe où ils sont entrés. Leurs empreintes sont alors enregistrées dans le fichier Eurodac. Ainsi, pour toute demande d'asile déposée en France, la préfecture saisie consulte ce fichier et, si les empreintes du demandeur d'asile y figurent, demande au premier pays d'accueil, le pays responsable, de le récupérer, si j'ose dire.

En pratique, l'État responsable est celui dans lequel les empreintes digitales du demandeur ont été recueillies. Malheureusement, dans les faits, les États souvent « premiers entrants » mettent en place de plus en plus fréquemment des stratégies d'évitement pour ne pas être identifiés comme l'État responsable de certaines demandes d'asile. Ainsi, on peut évaluer à moins de 25 % les prélèvements d'empreintes digitales auprès des personnes qui franchissent illégalement une frontière extérieure de l'Union européenne. Vous l'aurez compris, l'harmonisation européenne a du bon, à condition que tous les États jouent le jeu.

Par ailleurs, en France, 62 % des étrangers interpellés par la direction centrale de la police aux frontières refusent de donner leurs empreintes, avec pour conséquence immédiate l'incapacité de l'administration de consulter Eurodac pour savoir si ces individus sont soumis ou non aux accords de Dublin. Même si, depuis 2016, un tel refus est passible d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende, les parquets n'engagent que très rarement des poursuites pour ce motif.

À la suite de la crise migratoire, les « dublinés » représentent environ 40 % des quelque 100 000 demandeurs d'asile arrivés en France en 2017. Certaines associations ont pu calculer que, si leur transfert vers le pays responsable pouvait être effectué en un mois de temps, cela générerait une économie de 252 millions d'euros – sans compter les conséquences positives sur la durée des procédures pour les autres demandeurs d'asile.

En 2015, la Cour des comptes a publié un rapport assez éloquent qui a mis mal à l'aise le gouvernement de l'époque ; il en ressortait que 96 % des personnes déboutées du droit d'asile restaient in fine sur le territoire national. Le Président Macron a d'ailleurs reconnu depuis que la pratique des reconduites n'était ni effective ni efficiente.

On a envisagé de diminuer les délais d'examen des demandes par l'OFPRA et d'augmenter la durée de rétention de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours afin de laisser davantage de temps aux officiers de police pour instruire les dossiers. En réalité, rien de tout cela ne servira si on ne conclut pas d'accords avec les pays d'origine, car nombreux sont les consulats qui refusent de délivrer le laissez-passer indispensable aux retours des illégaux. Ne faudrait-il pas prendre des sanctions contre ces pays ? Contre certains d'entre eux, nous ne manquons pas de moyens de rétorsion.

Le 29 janvier dernier, j'étais au centre de rétention administrative de Sète. Lors des discussions avec les différents personnels de police présents, il m'a été répété qu'aucune solution efficace ne pourra être mise en oeuvre sans le concours actif des États d'origine. Combien de temps passé par ces fonctionnaires de police à essayer de retrouver la nationalité des personnes retenues ? Quelle énergie dépensée à les accompagner dans les divers consulats pour tenter de vérifier leurs dires ? Combien de personnels mobilisés pour toutes ces activités ? Combien d'argent dépensé pour des résultats si modestes et une efficacité si réduite ? Le découragement de nombreux fonctionnaires est palpable.

Aucune harmonisation de législation n'aura de réelle efficacité si une action diplomatique d'envergure n'est pas initiée. Les fonctionnaires de police en sont persuadés, leur efficacité passe par le ministère des affaires étrangères ! Et, disons-le aussi, par un peu plus de fermeté !

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