Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 21h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous arrivons au bout d'une importante réforme, très technique. Elle a été commencée au cours de la législature précédente et nous n'avons fait que la parachever. Nous avons déjà eu un débat nourri en première lecture ; le Sénat a apporté peu de modifications. Ce texte sera donc adopté sans difficulté.

Nous tenons toutefois à en rappeler l'enjeu. Cette réforme du droit des contrats était attendue depuis longtemps, en premier lieu par les professionnels, par la doctrine, et en second lieu, bien entendu, par les étudiants. En effet, l'ordonnancement incohérent des textes dans le code civil et le développement d'une jurisprudence foisonnante avaient rendu cette matière inutilement complexe. Or, si nul n'est censé ignorer la loi, cet adage est plus aisé à respecter si la loi elle-même est simple et intelligible.

L'enjeu politique de cette réforme du droit des contrats réside dans l'établissement d'un équilibre entre, d'une part, l'impératif de justice dans le contrat et, d'autre part, l'autonomie des contractants.

La justice implique un regard de la société sur les contrats, afin d'éviter que des personnes ne soient défavorisées par un contrat déséquilibré : il faut donc une plus grande intervention du juge. Nous croyons que la société doit avoir ce droit de regard.

L'autonomie contractuelle et la liberté des personnes de souscrire un contrat permettent, certes, une grande sécurité juridique : une fois signé, un contrat ne bouge plus. Mais ce principe peut justifier le maintien de situations injustes. Or la loi doit combattre l'injustice, et non l'entériner.

S'agissant de la méthode de l'ordonnance, nous déplorons toujours que la réforme d'une matière aussi importante ait été opérée de cette manière. La représentation nationale doit pouvoir débattre pleinement des textes de loi. C'est son rôle de législateur ; elle ne peut se contenter d'entériner, voire d'enregistrer, les textes présentés par l'exécutif.

Cette ordonnance a malgré tout le mérite de clarifier l'état du droit existant par une recodification plus cohérente et une codification de jurisprudences installées. Par exemple, le devoir de bonne foi de la négociation à l'exécution du contrat est désormais reconnu dans la loi. L'obligation générale d'information, avant la constitution du contrat, figure elle aussi dorénavant dans la loi. C'est à notre sens une bonne chose.

Par ailleurs, l'ordonnance renforce le rôle du juge, ce dont nous nous félicitons. En effet, dans sa rédaction initiale, l'ordonnance rompt avec une jurisprudence établie depuis 140 ans sur la révision judiciaire du contrat pour imprévision. Désormais, lorsqu'un changement de circonstances rend l'exécution du contrat trop onéreuse pour l'une des parties, le juge peut réviser le contrat. Ce changement était grandement attendu. De la même manière, le droit commun consacre la catégorie des contrats d'adhésion et les assortit d'une protection de la partie faible au contrat.

Les reculs ou les prises de risque que nous avions dénoncés en première lecture ont heureusement été supprimés depuis. Mais le Sénat a réalisé, lors de cette première lecture, une véritable offensive libérale – libérale au sens du droit, selon lequel les gens sont libres d'établir des contrats, sans que le rapport de force social entre eux puisse jamais être pris en considération, et sans que le juge puisse intervenir sur le fond du contrat lorsqu'il statue sur son respect. Or une liberté absolue en matière contractuelle ne peut être que dangereuse pour la partie faible. Il a donc fallu renforcer les règles sur l'imprévision, notamment sur les actions interrogatoires.

Le Sénat avait également fait le choix politique de réduire le droit des contrats à un banal instrument au service de la compétitivité des droits. Si l'Assemblée nationale a globalement – mais pas complètement – su résister à l'offensive libérale, l'obsession de l'attractivité internationale du droit français des contrats ne doit pas être la boussole du législateur. Nous ne devons pas entrer dans une course au moins-disant, qui ne saurait être que délétère : si la France est attractive, c'est parce qu'elle protège, non parce qu'elle laisse faire. Il ne faut pas abandonner les parties faibles au pur rapport de force, qui ne peut leur être que défavorable. La liberté opprime le faible, et protège le fort : la justice doit veiller à neutraliser cet effet, et protéger le faible contre l'arbitraire du fort.

Au cours de la discussion du projet de loi, nous vous avons proposé d'innover et de renforcer la justice dans les relations contractuelles. La première innovation aurait été l'introduction d'une liste non limitative de dispositions relevant du domaine de l'ordre public, préservant ainsi les pouvoirs du juge. Les rédacteurs de l'ordonnance se sont posé la question, mais en ont finalement abandonné le projet, ce qui est bien dommage. Il nous paraît toujours nécessaire de renforcer et de consolider l'ordre public tout en laissant au juge un pouvoir d'appréciation.

La deuxième innovation aurait été d'armer notre droit dans tous les domaines contre l'évasion fiscale – fraude ou optimisation fiscale abusive – en introduisant dans le droit commun la notion d'abus de droit fiscal. Alors qu'on nous répète en permanence dans cet hémicycle qu'il faut faire des économies et chercher des financements, il est dommage de ne pas aller chercher l'argent là où il se trouve. La désertion fiscale doit être sanctionnée. Vous reconnaîtrez là l'une des batailles que nous menons dans le cadre du projet de loi de finances et du projet de loi de finances rectificative. Faute d'avoir réussi, pour le moment, à vous convaincre, vous nous accorderez le bénéfice de la cohérence.

Concrètement, quand le non-paiement de l'impôt atteint des montants aussi considérables que ce que nous révèlent les Panama Papers, les Paradise Papers ou les LuxLeaks, cela veut dire que notre droit n'est pas assez armé pour faire respecter la règle républicaine fondamentale qu'est la contribution à l'effort commun, le consentement à l'impôt. Jusqu'au rétablissement de l'ordre fiscal républicain, il faut sans relâche légiférer partout où cela peut être utile. Il faut agir.

Enfin, nous avions proposé de renforcer la justice dans les relations contractuelles en rétablissant cet outil au service du juge qu'est la cause du contrat – raison pour laquelle deux parties contractualisent – et de l'obligation. Nous nous félicitons que les fonctions de la notion de cause soient consacrées et codifiées par l'ordonnance. Toutefois, nous pensons que cette notion doit être littéralement présente dans notre droit pour que le juge dispose d'un instrument malléable de régulation des équilibres contractuels. Le droit des contrats se trouve confronté à des situations qui évoluent en même temps que la société, et il est préférable de maintenir la cause dans notre code civil. Vous ne les avez malheureusement pas retenus. Qu'importe, ils feront bien partie du droit un jour !

En résumé, ce texte va dans le bon sens, sous réserve que l'Assemblée nationale résiste à toute nouvelle offensive libérale et revienne à l'esprit de l'ordonnance. Si le texte continue le chemin pris jusqu'à maintenant, nous le voterons.

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