Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du mercredi 14 février 2018 à 16h30
Commission des affaires économiques

Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Monsieur le président, cher Roland, Mesdames et Messieurs les députés, je suis heureux de me trouver aujourd'hui devant votre commission, pour un exercice inédit pour moi. Vous avez parlé de transition : par définition, l'exercice est délicat, car si on sait ce qu'on quitte, ce qu'on garde et ce qu'on voudrait transformer, on n'a pas encore une vision claire du point d'arrivée. Comme vous l'avez dit, la transition écologique dans sa globalité – et la transition énergétique en particulier – n'aura une chance d'aboutir que si nous nous efforçons, les uns et les autres, de la rendre socialement acceptable, culturellement désirable et économiquement pertinente. Durant la période de transition, il faudra jouer sur quelques accompagnements, afin de permettre aux secteurs concernés d'opérer les conversions nécessaires.

Je vous remercie pour votre invitation devant la commission des affaires économiques. Sans doute la nécessité d'avoir dû prendre en charge, dès notre prise de fonctions, une multitude de dossiers, a-t-elle retardé cette rencontre, mais peu importe, il n'est jamais trop tard, et le moment est d'ailleurs bien choisi. On le dit de toutes les années, mais l'année 2018 est véritablement une année charnière, puisqu'elle est celle de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui va constituer, je l'espère, un moment d'intelligence collective, lors duquel nous allons devoir faire les bons choix. En effet, de la réussite, de l'ambition et de l'ajustement de cette transition écologique dépendent un certain nombre d'autres succès ou de handicaps, notamment sur le plan économique.

L'année 2018 va probablement être dense pour les députés – vous en avez l'habitude –, mais aussi pour Mme Brune Poirson, pour M. Sébastien Lecornu, pour moi-même et pour Mme Élisabeth Borne, ministre chargée des transports, avec qui nous travaillons dans une complicité et une harmonie absolues. Comme vous l'avez rappelé, en matière d'énergie, la mobilité est évidemment un domaine particulièrement concerné ; nous en avons parlé dans le cadre des Assises de la mobilité et nous préparons la loi sur les mobilités. Le grand chantier qui va nous occuper durant l'année qui vient est celui qui va consister à construire la transition énergétique et à poser les bases de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie, qui doit être adoptée avant la fin de l'année. Cela ne saurait se résumer à un débat d'ingénieurs ou de spécialistes – dont nous aurons besoin, bien entendu, car le sujet est pour le moins compliqué –, il faut que ce soit aussi un débat citoyen, impliquant les territoires, et qui nous permette de partager une ambition, une vision et le chemin pour y parvenir.

Je ne doute pas que nous soyons capables de le faire, et nous avons du temps pour cela, même si nous devons avancer assez rapidement. Depuis six mois, des discussions sur les différents aspects techniques de notre mix énergétique ont eu lieu, et ont déjà largement associé l'ensemble des parties prenantes. Dans quelques semaines, une consultation du public va avoir lieu sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), ce qui est essentiel, car nous nous trouvons à un moment très particulier de notre histoire énergétique. En disant cela, je ne fais pas qu'employer une formule toute faite : nous nous apprêtons vraiment à passer – à un rythme qui reste encore à déterminer – d'un modèle qui était principalement basé sur les énergies fossiles, lequel pendant cent cinquante ans, a permis à une partie de l'humanité de « sortir de terre ». Heureusement ou malheureusement, selon le point de vue que l'on adopte, nous allons devoir apprendre – assez rapidement, ne serait-ce qu'en raison de la contrainte climatique – à nous affranchir des énergies fossiles. Soudainement, ce qui a été une solution pour l'humanité est devenu un problème, une contrainte qui nous tombe sur les épaules en ce début de XXIe siècle, nous prenant un peu de court.

Cette contrainte étant maintenant bien prise en compte, nous ne sommes pas complètement démunis pour y répondre. Je répète souvent comme un credo, non pas pour m'en convaincre mais pour en convaincre chacun, que la contrainte n'est pas l'ennemi de l'innovation, mais sa condition, et si j'ai une foi limitée dans le génie humain, je suis convaincu qu'en matière d'énergies renouvelables, de stockage des énergies intermittentes et de bien d'autres technologies, il existe une profusion d'avancées et d'innovations extrêmement prometteuses. En tout cas, il est essentiel que le débat se fasse d'une manière documentée, apaisée et partagée. C'est la première fois depuis plus de quarante ans que l'occasion nous est donnée de retrouver les clés de notre destin sur ce sujet. C'est donc avant tout un grand rendez-vous démocratique que nous devons organiser, afin de dessiner une transformation très profonde de notre rapport à l'énergie pour poser les bases, je l'espère, de notre indépendance énergétique. L'indépendance énergétique est en effet la clé de l'indépendance dans tous les domaines – et, à l'inverse, la dépendance énergétique entraîne souvent d'autres dépendances. Pour notre propre liberté d'action et de paroles, nous devons avoir pour objectif de parvenir à produire de manière autonome notre énergie à l'intérieur de nos frontières – cela n'a rien d'une chimère, et je pense que cet objectif doit au contraire nous enthousiasmer et nous réunir.

En effet, nous sommes face à un double tournant. Premièrement, l'accord de Paris nous oblige, je le répète, à tourner le dos rapidement aux énergies fossiles. Ce qui était l'objet initial de la loi mettant fin à l'exploration des hydrocarbures ne constitue pas l'alpha et l'oméga de la transition énergétique, ni même de l'affranchissement des hydrocarbures, mais cela donne un cap, un axe, et surtout une ligne de cohérence. Si l'on veut que les citoyens accueillent la transition énergétique, il faut que celle-ci leur paraisse comme une évidence : or, ils ne pourraient pas comprendre que nous continuions à chercher de nouveaux gisements d'énergie fossile sur notre territoire alors que les scientifiques affirment que, pour réussir la bataille climatique, il faut renoncer à exploiter 70 % des réserves qui se trouvent sous nos pieds. Les énergies fossiles doivent donc disparaître totalement de notre consommation d'énergie au cours des prochaines années – à l'exception, peut-être, de quelques petites gouttes, réservées à des usages pour lesquels nous n'aurons pas trouvé de substitut. Il faut le dire, c'est une véritable révolution dans notre manière de produire de l'électricité et de la chaleur, mais aussi pour la mobilité des marchandises et des personnes.

Le deuxième grand virage de notre politique énergétique, c'est le sujet de l'énergie nucléaire, qui écrase un peu dans notre pays la production d'électricité, et qui a également tendance à confisquer – je le dis sans esprit polémique – tout le débat sur l'électricité. J'espère que nous arriverons à sortir des postures dogmatiques – pour ou contre le nucléaire –, comme cela avait été le cas avec la loi relative à la transition énergétique, qui avait évité cet écueil. Quelles que soient les positions des uns et des autres, il me semble que nous pouvons tous être d'accord sur le fait que, lorsqu'il s'agit de produire de l'électricité, il n'est pas judicieux de mettre tous ses oeufs dans le même panier. Dès lors, il s'agit de trouver un point de rencontre sur la meilleure façon de rééquilibrer le mix : y parvenir constituera à mes yeux un gage de sécurité pour l'avenir.

En tout état de cause, il est loin le temps où l'on décidait sans consulter les citoyens, dans les grands bureaux de la République – c'était sans doute plus pratique –, de lancer un programme de cinquante réacteurs ! Aujourd'hui, quand on veut poser un mât d'éolienne, cela semble presque plus compliqué que de décider d'implanter cinquante réacteurs nucléaires à l'époque – mais je veux croire que ce n'est pas une fatalité. Quoi qu'il en soit, la réalité économique et écologique d'aujourd'hui est différente. Pendant des années, les commentateurs de la vie énergétique de notre pays ont affirmé que nous étions condamnés au nucléaire, censé constituer la seule source d'énergie décarbonée de masse. Pour ce qui est des énergies renouvelables, elles n'échappaient pas à la caricature, puisqu'on nous disait alors : « Vous n'allez pas remplacer le charbon, le pétrole et le nucléaire par des moulins à vent ! ». Les esprits ont évolué, d'abord parce que la démonstration a été faite que les énergies renouvelables peuvent tout à fait assurer la production d'énergie – ce qui paraissait inenvisageable, y compris sur un plan économique, il y a cinq ou dix ans. Désormais, les perspectives technologiques permettent d'envisager que les courbes puissent se croiser, et qu'un certain nombre d'énergies renouvelables puissent même présenter des avantages compétitifs sur le plan économique.

Je considère – et ce n'est pas une chimère entrevue dans une boule de cristal – qu'un futur 100 % renouvelable est désormais envisageable, pour plusieurs raisons. D'abord, en tant qu'envoyé spécial de François Hollande pour la préparation de la COP21, j'ai été amené à visiter les centres d'énergie et de recherche aux Émirats arabes unis, aux États-Unis, en Chine, etc., et j'ai pu constater que l'innovation est sacrément en marche de par le monde, y compris chez nous, dans nos petites, moyennes et grandes entreprises. Ce que nous devons faire maintenant, c'est créer les conditions propices et aligner les planètes, notamment en matière d'investissements, de financement et de règlements, et puis nous lancer à fond, en n'hésitant pas à changer d'échelle : c'est précisément ce à quoi nous nous attelons.

Rien ne nous empêche, aujourd'hui, d'imaginer un futur où nous produirons toute l'énergie nécessaire à nos besoins à partir de sources d'énergie disponibles en abondance, à savoir le vent, le soleil, la biomasse, le mouvement des vagues, le gradient thermique. Non seulement cette idée n'a rien d'un rêve inaccessible, mais elle ouvre des perspectives énormes en termes géopolitiques, dans la mesure où cela permettra à chaque État, peut-être même à chaque territoire, de disposer de son autonomie énergétique, qui est la base de l'autonomie tout court. Nous devons intégrer ces perspectives dans nos modes de pensée et, s'il ne s'agit pas d'avoir une foi aveugle dans cette vision du futur, il est certain que cela ne marchera pas économiquement si nous restons dans une forme de réticence, de réserve, qui nous incite à faire les choses en petit : nous devons changer d'échelle. Certes, il y a des difficultés, des verrous et des freins, mais il peut aussi y avoir de magnifiques leviers ; en tout état de cause, le signal du départ a été donné, et nous ne devons pas attendre le dernier wagon pour monter dans le train. D'autres que nous ont déjà progressé énormément en matière d'énergies renouvelables : les Chinois, par exemple, ont fait preuve d'une remarquable célérité dans le développement de ces nouvelles énergies, dépassant très rapidement tous les objectifs qu'ils s'étaient fixés.

Désormais, les choix que nous allons faire en matière de nucléaire dépendent étroitement du rythme de progression des énergies renouvelables – c'est pourquoi nous devons procéder à des ajustements très délicats –, de la baisse de leurs coûts et de la rapidité et de la réalité du développement du stockage.

À ce stade, j'ai quelques certitudes, fort heureusement, mais aussi des questions. J'ai des certitudes, par exemple, sur le fait que l'avenir de l'énergie et en particulier de l'électricité, sera profondément décentralisé et smart, comme on dit. Pour ce qui est des questions que je me pose, elles portent notamment sur le stockage de l'électricité et ses coûts, des points sur lesquels subsistent quelques inconnues. L'un des grands choix que nous allons devoir faire dans les années qui viennent, au fur et à mesure de la fermeture des réacteurs nucléaires en fin de vie, sera évidemment celui de la technologie ayant vocation à remplacer les centrales.

Nous aurons le choix entre reconstruire des réacteurs nucléaires, dont on sait qu'ils sont extrêmement coûteux – c'est un fait, il y a dans le domaine nucléaire ce qui apparaît comme une loi implacable de non-maîtrise des coûts, qu'il faut garder à l'esprit afin de ne pas s'emballer, ni dans un sens et ni dans l'autre – et qu'ils nous laissent un héritage de déchets qu'il nous revient collectivement d'assumer : nous ne pouvons pas les faire disparaître dans l'espace, ni sous les océans – ce que certains ne se sont malheureusement pas privés de faire pendant les années 1960 et 1970. Il va bien falloir trouver une solution à ce problème et résoudre pour cela le problème de l'acceptabilité, chez nous comme dans les autres pays. Depuis que je suis ministre, j'ai découvert en effet que les pays qui nous envoient des déchets à traiter et reconditionner n'ont pas plus envie que nous de les récupérer, n'ayant pas non plus trouvé de solution miracle pour le stockage. Je ne dis pas cela d'une manière dogmatique, mais c'est un sujet qu'il ne faut pas occulter et, si personne ne veut d'éolienne dans son jardin, personne ne veut non plus voir arriver des déchets ultimes sur son territoire, ce que je peux comprendre. Or, ces déchets existent, et la question de leur stockage doit être intégrée au débat, car elle est englobée dans celle de l'acceptabilité sociale.

Si la France veut rester un pays où l'électricité est relativement bon marché, elle devra évidemment sans doute se tourner vers le stockage des énergies renouvelables, dont le prix connaît des baisses spectaculaires. Cet enjeu est d'autant plus important qu'avec la décentralisation de notre modèle énergétique, chaque citoyen va voir surgir dans sa proche périphérie des énergies renouvelables, ce qui suscite des débats. J'en suis parfaitement conscient puisque, lors de chacun de mes déplacements, des associations viennent à ma rencontre pour m'expliquer à quel point la vue d'éoliennes, ou la présence de panneaux solaires dans un quartier contrôlé par les Bâtiments de France, est insupportable. Cela fera partie de notre travail que de faire comprendre à nos concitoyens qu'à un moment ou à un autre, il faudra faire des choix, car on ne peut pas être contre tout. Pour convaincre, nous devrons faire de la pédagogie, notamment pour montrer à nos concitoyens les bénéfices qu'ils peuvent tirer des énergies renouvelables : ainsi, les fermes d'éoliennes qui sont bien acceptées sont celles où des coopératives ont été créées afin de permettre aux habitants du territoire concerné d'en tirer bénéfice.

Ce débat est la clé d'une transition réussie pour Électricité de France (EDF) et l'ensemble des salariés de la filière. En effet, dans ce domaine-là, nous devons la vérité, la transparence et la sincérité. Le cabinet du ministère travaille à l'élaboration d'une méthode qui sera utilisée pour déterminer la trajectoire de diminution de la taille du parc de réacteurs nucléaires. En fonction de la trajectoire qui sera déterminée dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), nous saurons dans les grandes lignes quand les réacteurs vont devoir être fermés. Il conviendra alors de déterminer comment, en nous inspirant de ce qui est en train d'être fait à Fessenheim – même si le modèle n'est pas encore abouti –, comme s'y emploie actuellement Sébastien Lecornu. L'objectif est bien d'arriver, en même temps que la PPE, à construire cette méthode avec des paramètres clairs, afin de déterminer quels seront les réacteurs fermés en priorité. Ainsi, les salariés, les territoires et les entreprises auront la visibilité dont ils ont besoin pour préparer les reconversions.

Comme je l'ai dit en introduction, il est bien beau de se fixer des objectifs, on peut toujours se faire plaisir, mais c'est une autre paire de manches que de les atteindre ! Il est inconcevable d'annoncer par voie de presse à des salariés, à partir d'un ministère parisien capitonné, que leur centrale à charbon ou leur réacteur va être fermé : dans ces conditions, la transition ne saurait être compréhensible et acceptable. Il vaut mieux prendre un peu de temps pour anticiper les conversions, les impacts éventuels et surtout les potentiels de développement. C'est en tout cas la méthode que nous avons choisie.

Certains des scénarios envisagés aujourd'hui se traduiront par des choix de société très différents, que personne autour de la table ne doit vouloir dissimuler pour des raisons de posture politique ou de croyance idéologique. C'est une révolution que nous devons écrire ensemble pour notre pays, pour les salariés du secteur, pour les consommateurs, et évidemment pour les citoyens.

La programmation pluriannuelle de l'énergie comporte deux autres piliers importants qu'il ne faut pas négliger, d'autant que les quatre piliers de la transition énergétique se conditionnent les uns les autres, ce qui fait qu'ils doivent tous être réunis. Si nous ne stabilisons pas notre consommation – voire si nous ne la diminuons pas –, nous allons être en difficulté ; de même, si nous ne développons pas les énergies renouvelables à grande échelle et si nous ne réduisons pas nos émissions de gaz à effet de serre, nous allons être en difficulté. Nous devons donc veiller à avoir une vision intégrale du problème.

Le premier des deux piliers est celui de l'efficacité énergétique, qui s'incarne notamment à travers le plan sur la rénovation thermique des logements. L'intérêt de ce plan est qu'il porte sur l'un des rares sujets qui suscite au sein de mon ministère une forme de consensus, car tout le monde n'y voit que des avantages. En effet, on comprend aisément que toute énergie qu'on peut se dispenser de consommer représente, pour les citoyens comme pour les entreprises, autant d'argent qui peut aller au pouvoir d'achat ou à l'investissement – en la matière, il y a du grain à moudre, on parle même d'un facteur 4 – voire plus élevé – dans certains secteurs, et nos entreprises sont très performantes en matière d'efficacité énergétique.

Là encore, l'objectif est de concevoir des logements qui produisent plus d'énergie qu'ils n'en consomment, et qui deviennent le coeur de notre modèle énergétique, parce qu'ils seront à la fois faiblement consommateurs d'énergie, souvent producteurs de leur propre énergie, et intelligents, c'est-à-dire capables de dialoguer avec les réseaux.

Cela passe par un changement profond de paradigme autour des questions relatives à la rénovation des bâtiments, qui constituent justement le coeur du sujet. Il faut que, dans tous les bâtiments publics et privés, la rénovation devienne un réflexe automatique quand on entreprend des travaux. Le débat central autour des incitations à faire des travaux d'isolation au moment de la vente des biens immobiliers n'est pas encore tranché, car il est soumis à la consultation. Quelles incitations mettre en place ? Faut-il rendre la rénovation obligatoire à la vente d'une maison ? Créer un bonus-malus ? Le débat est ouvert sur toutes ces questions.

Enfin, la PPE repose sur un second pilier, celui du développement massif des énergies renouvelables, sur lequel M. Sébastien Lecornu travaille actuellement. Sur tous ces sujets – efficacité énergétique, énergies renouvelables, réforme du marché de l'électricité, élaboration des stratégies nationales de transition énergétique à l'horizon de dix ans –, des objectifs et des principes de gouvernance pour chaque État européen sont en cours de négociation entre institutions européennes. Je sais que vos collègues de la commission des affaires européennes ont, eux aussi, émis des recommandations sur ces textes, notamment dans le cadre du rapport du député Thierry Michels. Mme Brune Poirson, qui a participé à la négociation de ce paquet de textes législatifs au Conseil des ministres européens de l'énergie, aura probablement l'occasion d'y revenir tout à l'heure.

La transition énergétique passe également par une transformation de la mobilité, dans le cadre qu'est en train de définir Mme Élisabeth Borne. C'est aussi – il est important de le garder à l'esprit – un enjeu de santé publique. Il y a quelques jours, je me suis rendu à Bruxelles, à l'invitation du commissaire Karmenu Vella, puisque j'ai hérité d'une situation où notre pays est en infraction régulière et répétée aux directives européennes de qualité de l'air. J'assume la situation, mais nous n'allons évidemment pas en rester là : nous allons agir au niveau européen pour obtenir des règles fermes sur les émissions des voitures et des camions, et un rehaussement des normes. Après les scandales des moteurs truqués, dont les dernières révélations au sujet de l'expérimentation sur les singes et sur les hommes, et les tricheries en matière de moteurs diesel, ne sont qu'un sordide soubresaut, nous portons maintenant au sein du Conseil, dans un dialogue rapproché avec nos partenaires, au premier rang desquels l'Allemagne, des propositions pour que le véhicule « zéro émission » devienne la norme d'ici à 2040.

J'ai dit tout à l'heure que la contrainte n'est pas l'ennemi de la créativité. Lorsque j'ai annoncé, dans le cadre du plan climat, l'objectif consistant à arrêter en 2040 de vendre des véhicules émettant des gaz à effet de serre ou des véhicules thermiques, j'ai entendu toutes sortes de réactions. Pour ce qui est des industriels automobiles français, ils m'ont dit « chiche, ne changez pas les règles ». Entre-temps, d'autres États ont repris les mêmes objectifs, mais avec un calendrier plus serré. Or, Peugeot vient d'annoncer qu'à partir de 2025, chaque véhicule mis sur le marché sera proposé à la fois dans une version thermique et dans une version électrique. Ce qui est important pour moi dans la transition écologique, c'est de se fixer des objectifs et de faire en sorte que la transition se fasse autour des trois principes fondamentaux que sont la prévisibilité, la progressivité et l'irréversibilité, qui se trouvent malheureusement souvent bafoués. Lorsqu'on cherche à passer en force, cela ne passe pas. Et si l'on change les règles du jeu en cours de route, cela crée les situations que nous avons connues.

L'Europe doit aussi travailler à relever son ambition, tout en préservant et en protégeant son modèle économique de chef de file de la transition écologique : c'est bien d'accomplir des efforts à l'intérieur de l'Europe, mais c'est quand même mieux si on le fait en se protégeant de l'extérieur, afin que nos acteurs économiques ne se trouvent pas en difficulté. C'est pourquoi, en 2018, nous allons continuer à travailler sur la mise en place d'un prix plancher du CO2 dans le secteur de l'électricité avec nos partenaires européens – dès que la situation sera stabilisée en Allemagne, nous allons à nouveau travailler sur ce point avec la chancelière Angela Merkel –, dans la suite des travaux que nous avons entamés dans le cadre du One Planet Summit.

Nous poursuivons aussi les réflexions sur ce que l'on appelle, non plus la taxe aux frontières européennes, mais le mécanisme d'ajustement aux frontières qui est juridiquement envisageable dès lors qu'il concernera les importations en provenance de pays qui n'auront pas fixé un prix du carbone ou un plancher carbone, afin d'éviter que les secteurs industriels auxquels on demande d'agir ne soient pénalisés par la non-action de certains pays en matière de lutte contre le changement climatique.

La transition, c'est aussi un projet de modernisation de l'économie qui ne fonctionnera que si l'on change d'échelle. C'est indispensable si l'on veut inscrire dans un projet d'ensemble nos actions en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre. C'est pour cela que nous travaillons sur une approche intégrée avec l'ensemble des ministères – dans un premier temps, nous lui avions donné le nom un peu prétentieux de Green New Deal, puis nous sommes revenus sur terre et nous parlons désormais d' « accélérateur de la transition écologique ». Il s'agit de définir des actions concrètes, ambitieuses et concertées qui concilieront effectivité de la transition et développement économique durable. Cette réflexion est pilotée par M. Jean-Dominique Senard, le patron de Michelin, et Mme Laurence Parisot, qui nous aident à trouver les leviers et à lever les freins pour changer d'échelle. En gros, nous allons mettre le paquet pour que l'économie et l'emploi bénéficient à plein de la transition énergétique. C'est un effort sans précédent de modernisation de l'économie française, de formation aux nouveaux métiers – j'en ai encore parlé ce matin encore avec la ministre du travail, Mme Muriel Pénicaud – qui va être progressivement engagé.

Cet accélérateur sera constitué de plusieurs briques, certaines que je viens d'évoquer sur les énergies renouvelables, d'autres qui sont en cours d'élaboration ou de concertation, sur la mobilité durable, l'efficacité thermique des bâtiments, le développement de l'économie circulaire, l'innovation avec notamment un plan hydrogène car tous les acteurs existent déjà dans cette filière, sur le financement, la fiscalité de la transition écologique et les conséquences à en tirer en matière de formation et de compétences. Cet accélérateur englobera la mobilisation de tous, notamment sur l'économie circulaire, autour de la feuille de route que Mme Brune Poirson vous présentera dans quelques instants.

Je n'ai pas le temps ici de développer l'ensemble des sujets qui vont nous occuper au cours des douze prochains mois. Il est clair néanmoins que nous devrons progresser aussi sur les questions relatives à l'alimentation, à l'agriculture, mais aussi à la santé et à l'environnement, tant il est vrai que tout cela est lié.

Je conclurai sur une idée, un principe qui va guider notre action collective avec Mmes Élisabeth Borne et Brune Poirson et M. Sébastien Lecornu : mettre la protection et l'information des consommateurs au coeur de notre projet. La transition écologique et solidaire ne fonctionnera que si elle va à la rencontre des citoyens, si elle leur donne les outils pour faire les bons choix et si elle ne les met pas dans des impasses. C'est pour cela que grâce à l'extension de la garantie légale pour lutter contre l'obsolescence programmée, au recyclage des plastiques et au retour de la consigne, à l'information sur les contenus en pesticides et en perturbateurs endocriniens des produits alimentaires et de consommation courante, à l'affichage sur les véhicules des émissions de particules fines grâce à la vignette Crit'Air lorsque l'on vend un véhicule, grâce à une réflexion sur l'affichage du coût d'usage des véhicules, et grâce à l'amélioration du diagnostic de performance énergétique pour les logements, nous allons, en 2018, permettre aux Français de faire le bon choix, celui de l'écologie au sens noble du terme.

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