Intervention de Florence Parly

Réunion du jeudi 8 février 2018 à 15h15
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre des Armées :

Je commencerai par répondre à la question du caractère tenable et crédible des engagements budgétaires – un point d'attention majeur. Permettez-moi quelques éléments de pédagogie sur ce sujet sur lequel nous aurons à revenir.

Le choix de programmer les moyens des armées – c'est-à-dire les équipements – sur la période 2019-2025 résulte d'une méthode somme toute classique consistant à se projeter le plus loin possible. Nous l'avons fait à l'horizon 2030, que j'ai évoqué. C'est un horizon très lointain : selon les cas, les lois de programmation militaire portent sur une durée de cinq, six ou sept ans, mais rarement au-delà.

Ensuite, face à ces moyens, il fallait programmer des ressources. Nous avons donc fait un choix de cohérence avec la loi de programmation des finances publiques (LPFP) que vous avez votée récemment, et qui traduit un engagement non pas alternatif, mais cumulatif avec celui, que je vous ai exposé, de porter l'effort de défense à 2 % du PIB d'ici à 2025. Cet engagement est celui de la maîtrise de la dépense publique – et c'est un engagement essentiel pour rétablir notre souveraineté financière, étant donné notre niveau d'endettement public.

Autrement dit, cette loi de programmation militaire s'inscrit pleinement dans le cadre tracé par la loi de programmation des finances publiques, qui prévoit 1,7 milliard d'euros supplémentaires par an pour la période 2019-2022. Nous sommes donc engagés à porter l'effort de défense à 2 % du PIB d'ici à 2025. C'est pourquoi nous avons inscrit, à partir de 2023, une progression en escalier de trois milliards d'euros. Si elle est prolongée en 2024 et 2025, selon l'hypothèse qui sous-tend cette LPM, l'objectif de 2 % sera alors atteint en 2025.

Ce choix de cohérence doit cependant tenir compte d'une donnée qu'il est encore difficile de prévoir à cet horizon. C'est pourquoi cette loi de programmation militaire prévoit un rendez-vous en 2021, donc au cours de cette législature. La loi de programmation militaire sera alors actualisée, et c'est à cette occasion que nous examinerons les conditions dans lesquelles cet objectif de 2 % devra être atteint. Aujourd'hui, personne ne sait ce que sera le PIB de la France en 2025. Nous avons donc retenu une hypothèse résultant des documents économiques et financiers que le ministre de l'Économie et des finances et le ministre de l'Action et des comptes publics vous ont présentés ; elle évoluera avec le temps, mais nous pouvons espérer que les premières bonnes nouvelles concernant la conjoncture économique actuelle se consolideront. Il n'est donc pas impossible que la cible que nous exprimons en valeur absolue à 50 milliards d'euros hors pensions ne soit pas exactement celle qui se réalise ; peut-être sera-t-elle supérieure. Il faudra alors déterminer quelles marches supplémentaires il conviendra de prévoir pour satisfaire notre objectif.

Je crois donc, au contraire, que c'est un gage de sérieux et de sincérité que de ne pas inscrire définitivement dans le marbre les marches d'escalier correspondant aux dernières années de la loi de programmation militaire. Il n'y a aucune inquiétude à avoir dans la mesure où la loi de programmation militaire prévoit formellement un rendez-vous en 2021. Nous aurons alors des éléments de visibilité dont nous ne disposons pas encore pour assurer la poursuite du sérieux des engagements qui sont pris.

En outre, tout cela se mesurera dans le cadre de votre contrôle, année après année, voire semestre après semestre, de l'exécution des lois de finances annuelles qui s'enchaîneront en cohérence avec la loi de programmation militaire.

Je conçois certes que cela puisse susciter des questions, mais je ne pense pas que cela doive éveiller la suspicion. En ce qui concerne l'article 17 de la loi de programmation des finances publiques, je peux vous rassurer : s'il avait dû s'appliquer au budget du ministère des Armées, alors tous les propos que je viens de vous tenir auraient été en l'air, car il aurait détruit le principe même de la programmation des équipements sur la durée. C'est pourquoi le rapport annexé de la loi de programmation militaire indique que l'article 17 de la LPFP ne contraindra pas les investissements du ministère des Armées. Lors de notre dernière rencontre, cela restait un point d'inquiétude et de vigilance ; il me semble avoir été entièrement levé grâce à cette mention.

J'en viens au budget de la dissuasion nucléaire. Pour la période 2019-2023, 25 milliards d'euros courants sont prévus, conformément aux décisions prises par le président de la République. Cette enveloppe n'inclut pas les dépenses concernant des équipements à vocation duale, comme l'acquisition d'avions de chasse ou d'avions ravitailleurs, qui peuvent tout aussi bien servir à des fins conventionnelles qu'à des fins de dissuasion. Les crédits consacrés à la dissuasion resteront donc globalement constants et représenteront environ 12,5 % du budget de la défense jusqu'en 2025. Dans ces conditions, le renouvellement des deux composantes sera financé sans effet d'éviction sur les besoins opérationnels et conventionnels des armées – et à défaut, ce ratio aurait augmenté, ce qui n'est pas le cas.

Une autre question portait sur l'impact de la dissuasion sur nos industriels. Nous travaillons en relation très étroite avec les grands industriels – Naval Group, Dassault et autres – qui travaillent eux-mêmes avec un réseau de PME. Ces entreprises sont suivies par l'État, qui est actionnaire de bon nombre d'entre elles. Nous réfléchissons à ce que soient ménagés des dispositifs de protection des intérêts stratégiques de l'État dans ces sociétés, notamment parce que certaines d'entre elles interviennent dans le cadre de la dissuasion mais surtout parce qu'il s'agit d'enjeux de souveraineté, au sens large du terme.

Le nouveau système de combat aérien du futur ne verra pas le jour pendant la période de programmation de la loi, mais le lancement des études y est pris en compte. Que ferons-nous ? Nous présenterons d'abord une feuille de route avant l'été 2018, et c'est en 2021 que se présentera l'étape fondamentale portant sur les grands choix d'architecture du SCAF.

Comme vous le savez, il s'agit d'un système combinant plusieurs éléments : des drones et drones de combat, des avions de chasse, une composante nucléaire – en bref, il englobe un ensemble de systèmes de communications et de connectivité. Son architecture est donc cruciale. En complément, il faudra réfléchir à la modernisation des Mirage 2000-D, à la poursuite de la livraison du Rafale et à la commande d'une nouvelle tranche de Rafale ; enfin, au cours de cette LPM, la quatrième version du Rafale devrait nous permettre de maintenir cet appareil au meilleur niveau et d'en augmenter les chances d'exportation.

S'agissant de l'articulation entre le SCAF et d'autres projets, nous travaillons sur deux axes principaux. Le premier projet, avec les Britanniques, concerne un drone de combat. Le second, franco-allemand, porte sur le système de combat aérien du futur que je viens d'évoquer, qui comprend des avions, des capteurs, des missiles et des drones. Ces axes ne sont donc ni redondants ni contradictoires ; au contraire, ils se compléteront, le premier allant certainement nourrir le second.

M. Corbière m'a interrogée sur le caractère non lissé de la programmation des moyens. J'ai assez largement répondu : la première partie de la loi de programmation militaire est déterminée par des choix qui résultent de la loi de programmation des finances publiques adoptée récemment. C'est une donnée avec laquelle nous avons dû compter. De façon mécanique, cet effort déjà très important – en comparaison du passé, où les signes arithmétiques du budget du ministère des armées étaient plutôt négatifs, même si cela ne se voyait pas toujours en raison d'effets liés à la masse salariale ou aux pensions ; il n'empêche que les éléments structurants de la LPM étaient alors à la baisse. Une partie importante de l'effort restera donc à fournir pendant la deuxième période de cette loi de programmation.

J'ai répondu au sujet de l'article 17. Quant à la notion de renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire, je crois avoir également répondu en indiquant que la part consacrée à la dissuasion nucléaire devrait rester stable tout au long de la période de programmation. Il ne devrait donc se produire aucun effet d'éviction.

S'agissant de la question du périmètre de 2 % du PIB, il n'y a aucun changement dans la manière de compter. Elle peut ne pas être absolument semblable à d'autres méthodes de comptabilisation mais elle a au moins le mérite de ne pas changer le thermomètre. Il est essentiel que nous soyons constants concernant les critères retenus pour apprécier l'importance de notre effort de défense. En 2017, cet effort était de 1,78 % ; dans le cadre de cette programmation, il sera porté à 1,91 % en 2023 – soit un peu moins de 2 %, il est vrai, mais nous visons cet objectif pour 2025. Certes, des dépenses en sont exclues, comme la gendarmerie nationale, Monsieur Gouttefarde, mais c'est déjà le cas depuis 2009, suite au choix qui a été fait du rattachement organique de la gendarmerie au budget du ministère de l'Intérieur. Autres dépenses exclues : le lien armée-nation et les anciens combattants. En clair, comme toujours, des partis ont été pris ; l'essentiel est que nous nous y tenions.

J'en viens aux études amont. L'accroissement de l'effort que nous avons souhaité doit permettre de poursuivre des travaux de maturation de technologies très spécifiques au domaine de la défense, en poursuivant notamment une politique ambitieuse de démonstrateurs. Cela devrait aussi nous permettre d'investir dans des technologies à haute intensité qui sont porteuses de rupture, et de mieux tirer profit des opportunités qui nous sont offertes par l'innovation dans le domaine civil. J'ajoute qu'il s'agit d'un défi supplémentaire pour nous, parce que ces innovations se font sur un cycle très court alors qu'encore une fois, nous travaillons sur le temps long, en particulier pour ce qui concerne les grands programmes.

Cet effort portera donc notamment sur la robotisation des systèmes, leur autonomie et leur coopération. Il portera également sur le développement de technologies donnant une supériorité intrinsèque aux systèmes d'armes et aux effecteurs, comme l'hypervélocité des missiles, l'amélioration et la fusion des senseurs, la furtivité ou encore les armes à énergie dirigée, entre autres. L'effort portera enfin sur ce que les nouveaux matériaux, les nanotechnologies et les biotechnologies peuvent apporter, ainsi que sur l'informatique quantique.

Les priorités des études en amont concerneront donc le système de combat aérien futur, le renouvellement des composantes de la dissuasion, les futurs systèmes terrestres et leur mise en réseau – c'est-à-dire le successeur du char Leclerc – et l'artillerie du futur. Nous investirons également ces fonds dans le renseignement et la cyberdéfense.

Vous m'avez interrogée sur l'organisation de l'innovation et de la prise en compte du défi numérique et demandé si nous allions évoluer vers une structure de type DARPA. Nous avons engagé une transformation de la direction générale de l'armement, les objectifs étant d'avoir un système d'acquisition d'équipements qui soit plus flexible et plus réactif, de mieux exploiter l'innovation issue du monde civil, de nous approprier certaines ruptures technologiques, d'améliorer notre maîtrise des coûts et des délais. Nous souhaitons renforcer l'approche capacitaire globale, développer le travail en plateau entre les armées et la DGA, revoir profondément les méthodes de spécification de nos matériels et essayer de généraliser cette démarche d'innovation opportuniste qui a été lancée par DGA Lab, pour profiter pleinement de ces cycles courts d'innovation. Nous voulons également développer un portefeuille aussi diversifié que possible de projets innovants et le recours à l'innovation incrémentale – qui consiste à ne pas remettre sans cesse l'ouvrage sur le métier mais à essayer de gagner, étape par étape, en efficacité et en innovation – pour obtenir des progrès rapides. Nous souhaitons généraliser ces méthodes agiles qui se diffusent désormais un peu partout. Enfin, il nous faut simplifier, simplifier et toujours simplifier. Nous ne sommes pas encore tout à fait les champions de la simplification. Il doit y avoir des marges de progrès.

Je ne puis pour l'instant vous faire de révélations concernant le mode de financement du service national universel (SNU). Je puis seulement vous dire qu'il sera ad hoc et extérieur à la loi de programmation militaire.

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