Intervention de Joël Barre

Réunion du jeudi 15 février 2018 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Joël Barre, délégué général pour l'armement (DGA) :

Merci, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, de m'avoir invité à vous présenter les caractéristiques du projet de loi de programmation militaire, pour ce qui concerne la DGA en particulier, c'est-à-dire les études amont, que la DGA conduit directement et qui font partie du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ». J'évoquerai également le programme 146 « Équipement des forces », dont nous assumons la responsabilité conjointement avec le chef d'état-major des armées.

Je commencerai par les études amont, dont le budget augmentera significativement puisqu'il doit atteindre le chiffre d'un milliard d'euros par an à partir de 2022, sachant que le niveau moyen actuel est de 730 millions d'euros par an. En effet, pour préparer nos programmes futurs, nous avons un fort besoin d'innovation nécessitant de nombreux travaux de recherche et technologie. Ce budget nous permettra de poursuivre l'investissement dans la montée en maturité des technologies spécifiques au secteur de la défense – nous devons préparer les grands systèmes de défense du futur, qu'il s'agisse du prochain avion de combat, du prochain porte-avions, du prochain char de combat… Nous avons également besoin de capter mieux que nous ne le faisons actuellement, en cycles aussi courts et efficaces que possible, les innovations issues du marché civil qui peuvent être très utiles pour nos systèmes d'armes – en particulier dans le domaine numérique : intelligence artificielle, traitement massif des données, objets connectés…

Il nous faut en outre investir dans l'innovation de rupture, la supériorité opérationnelle de nos armées reposant sur leur supériorité technologique, donc celle de nos équipements en matière de robotisation, d'hyper-vélocité ou d'hyper-manoeuvrabilité des missiles, d'amélioration et de fusion des données issues de différents capteurs – des senseurs présents dans les systèmes d'armes –, en matière aussi de furtivité, bien entendu, qui est une condition essentielle de pénétration des défenses ennemies.

L'augmentation du budget des études amont nous permettra également de faire davantage de démonstrateurs, c'est-à-dire de regrouper dans de véritables projets les innovations technologiques que nous devons faire mûrir. Ceci est en effet la meilleure façon de fédérer dans un projet individualisé tous les développements technologiques que nous devons mener à bien, de gagner en efficacité dans la préparation des programmes et de mieux « dérisquer » les développements qui s'ensuivent.

Enfin, cette augmentation de ressources nous amènera à renforcer le soutien que nous apportons aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI). Vous savez qu'à la fin 2017 nous avons complété notre dispositif de soutien aux PME – le régime d'appui à l'innovation duale (RAPID) –, qui est un dispositif de subventions, par un dispositif d'investissements que nous avons conclu avec la Bpifrance, nommé « Def'invest ». Nous allons consacrer une partie des ressources du programme 144 à ces actions de soutien à nos PME.

En ce qui concerne le programme 146, celui des programmes d'armement, nous avons bien terminé l'année 2017 puisque les crédits restés bloqués, c'est-à-dire 700 millions d'euros, ont finalement été dégelés en toute fin d'année. Nous avons pu les consommer intégralement, si bien que nous entamons une gestion pour 2018 dans les conditions initialement prévues, celles d'un report de charges de 2017 sur 2018 de 1,7 milliard d'euros. Pour 2018, la réserve de la mission « Défense » s'élève à 3 % des crédits hors enveloppe salariale, réserve dont 350 millions d'euros environ devraient « peser » sur le programme 146. Le report de charges, à la fin de l'année 2018, devrait s'élever à 2,1 milliards d'euros, conforme à nos hypothèses de travail lors de l'élaboration du projet de loi de programmation militaire – étant entendu que ce chiffre de 2,1 milliards d'euros est conditionné par la levée de la réserve dont je viens de parler.

J'en viens plus précisément aux hypothèses de ressources du projet de loi de programmation militaire, pour les programmes à effet majeur (PEM), qui sont le coeur du programme 146. Les besoins financiers des programmes à effet majeur représentent un total de 58,6 milliards d'euros pour la période 2019-2025, dont 37,2 milliards d'euros pour la seule période 2019-2023, ce qui représente une augmentation de plus de 30 % par rapport à la LPM précédente si l'on raisonne en moyenne annuelle. Cet effort significatif sur les programmes à effet majeur permettra tout à la fois de livrer les matériels déjà commandés, d'accélérer la livraison de certains d'entre eux, d'augmenter également la cible pour certains, je vais y revenir, enfin de lancer les programmes futurs nécessaires au renouvellement de nos équipements.

Pour ce qui est de l'accélération de la modernisation de nos forces, le projet de LPM permettra aux armées de disposer plus rapidement de moyens modernisés et renouvelés, tenant compte du retour d'expérience auquel les armées procèdent. Ce sera en particulier le cas pour l'armée de terre pour laquelle il est prévu d'accélérer la livraison des véhicules du segment médian du programme Scorpion, c'est-à-dire, notamment, des véhicules blindés multi-rôles lourds Griffon, des engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar, et des véhicules blindés multi-rôles légers dont nous avons tout récemment notifié le contrat au groupe Nexter. L'objectif de la prochaine loi de programmation militaire est donc de disposer dès 2025 de la moitié de la cible de l'ensemble de ces véhicules essentiels, en particulier pour les opérations extérieures (OPEX).

Une accélération des flux de la livraison des fusils d'assaut est également prévue – ceux du programme « Arme individuelle du futur » (AIF), dont les premières livraisons ont déjà commencé –, mais aussi de la livraison des missiles antichars à moyenne portée (MMP), sans oublier, pour l'armée de terre, une commande et une livraison de 32 canons CAESAR – acronyme de « camion équipé d'un système d'artillerie ».

En ce qui concerne la marine, un effort particulier est prévu pour augmenter la cible des patrouilleurs – et portera donc sur les fonctions de sauvegarde maritime – et pour accélérer leur livraison, qu'il s'agisse des patrouilleurs légers guyanais, des patrouilleurs destinés à l'outre-mer ou encore des patrouilleurs de haute mer. De la même manière, les capacités du programme « Flotte logistique » (FLOTLOG) seront renforcées : quatre bâtiments ravitailleurs sont prévus au total, deux seront livrés d'ici à 2025.

Toujours pour ce qui est de la marine, la flotte de frégates sera complétée et modernisée avec notamment la livraison des trois dernières frégates multimissions, des premières frégates de taille intermédiaire, dont le développement a été lancé au début de l'année dernière, et avec la rénovation de trois frégates La Fayette. Les sous-marins nucléaires d'attaque de la classe Rubis seront remplacés. La livraison des premiers sous-marins Barracuda est prévue sur la période, dont le premier, le Suffren, pour 2020.

Enfin, dans le domaine de la guerre des mines, le projet de LPM prévoit une forte modernisation des capacités avec la réalisation du programme « Système de lutte anti-mines marines futur » (SLAMF) qui permettra à la marine de disposer d'un système qui alliera à la fois des bâtiments porteurs et des systèmes de drones et donc de gagner significativement en efficacité.

En ce qui concerne l'armée de l'air, il est envisagé d'augmenter la cible et d'accélérer le calendrier de livraison des avions ravitailleurs Multi-Role Tanker Transport (MRTT), puisque douze des quinze avions dorénavant prévus seront livrés avant 2025. En ce qui concerne le Rafale, nous allons lancer cette année en développement le nouveau standard F4, de manière à disposer, d'ici à la fin de la période couverte par la LPM, d'un avion encore plus polyvalent, d'un avion permettant une interopérabilité renforcée, une meilleure connectivité, donc d'un avion encore mieux adapté aux conditions d'engagement des années à venir.

Une des priorités du projet de LPM, ce sont les capacités de renseignement. L'effort consiste ici à augmenter le nombre d'avions légers de surveillance et de renseignement puisque six exemplaires supplémentaires seront commandés sur la période de programmation. En ce qui concerne le secteur spatial, les satellites du programme « Capacité d'écoute et de renseignement électromagnétique spatiale » (CERES) et les satellites du programme « Système multinational d'imagerie spatiale » – Multinational Space-Based Imaging System (MUSIS) – seront mis en service. Leurs successeurs seront commandés et devraient être livrés à la fin de la décennie 2020.

Toujours dans le domaine du renseignement et en particulier dans le secteur de la guerre électronique, sera livré le premier système que nous appelons CUGE – capacité universelle de guerre électronique –, qui est le successeur du Transall Gabriel actuellement en service. Le premier système sera livré en 2025 et la cible de ce programme a été portée à trois systèmes. En outre, un second bâtiment léger de surveillance et de recueil de renseignement (BLSR) sera commandé pour 2025. Enfin, nous allons poursuivre la montée en puissance de la capacité des drones de renseignement avec la mise en service de deux systèmes de drones Reaper de moyenne altitude et longue endurance (MALE), ainsi que des drones tactiques de l'armée de terre (SDT), et nous allons poursuivre en coopération le programme de système de drone MALE européen, dont le premier exemplaire doit être livré en 2025.

J'en viens aux systèmes d'information et de communication. Nous développons actuellement les deux satellites de télécommunication SYRACUSE IV. Ils seront livrés pendant la période couverte par la prochaine LPM et un troisième de ces satellites sera commandé. La livraison des kits de numérisation des véhicules terrestres sera achevée, de même que celle des modules projetables du système d'information interarmées.

Le projet de LPM prévoit en outre la modernisation des équipements de positionnement et de navigation par satellite, de façon à bénéficier de la mise en service du système Galileo. Le système Oméga – récepteur capable de fournir une capacité autonome de géolocalisation, utilisant à la fois les signaux GPS américain et les signaux européens du système Galileo – sera réalisé pendant la période 2019-2025.

En ce qui concerne la dissuasion, pour finir cette revue des programmes, le projet de LPM prévoit la réalisation des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de troisième génération à partir de 2020 ainsi que le renouvellement des missiles des deux composantes, à savoir le missile balistique de la force océanique et le missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A) dont le successeur est l'ASN4G.

La prochaine LPM prévoit le lancement de nombreux programmes nouveaux : une cinquantaine.

Dans le domaine aéronautique, nous aurons le deuxième standard de l'avion ravitailleur MRTT, le standard 3 du Tigre, qui vise à apporter à cet hélicoptère de combat une modernisation à mi-vie, mais aussi, rapidement, le système d'autoprotection des hélicoptères et des avions de transport.

Pour ce qui est de la marine, j'ai déjà évoqué les ravitailleurs, les patrouilleurs et la guerre des mines, je n'y reviens donc pas.

Dans le secteur terrestre, nous nous efforcerons d'être à même de lancer en 2025 le programme d'un futur char lourd Main Ground Combat System (MGCS).

Nous devons également lancer le programme de missile anti-char destiné à équiper le Tigre pour remplacer les missiles Hellfire actuellement utilisés, ainsi que le successeur du missile anti-aérien à très courte portée Mistral ; nous travaillons par ailleurs avec les Britanniques sur l'avenir des missiles antinavires et des missiles de croisière.

Pour les drones, j'ai déjà cité le MALE, il faut aussi mentionner le drone destiné à être embarqué sur les frégates, avec un projet nommé système de drone aérien pour la marine (SDAM), qui sera également lancé pendant la période considérée.

J'ai déjà évoqué tout ce que nous avons prévu dans le domaine des communications dans le domaine spatial.

Il est important de souligner qu'il s'agit de renouveler nos grands programmes à l'horizon des années 2030, à savoir le système de combat aérien du futur, mais aussi le renouvellement du porte-avions, qui devront faire l'objet de décisions à l'horizon 2020-2021, c'est-à-dire à peu près au moment de l'actualisation prévue de la LPM.

Je tiens à souligner que pour tous les programmes nouveaux que je viens d'évoquer, la coopération européenne sera recherchée. C'est en effet un des axes forts du projet de LPM.

Dans le domaine aéronautique, nous travaillons déjà avec les Britanniques pour ce qui concerne les développements technologiques.

Nous avons proposé aux Allemands de travailler ensemble sur l'étude technico-opérationnelle du système de combat aérien du futur, que j'ai évoqué il y a un instant, de manière à être au rendez-vous de 2020-2021. Avec les Allemands, nous travaillons également dès à présent sur le standard 3 du Tigre. Nous prévoyons par ailleurs de rechercher avec eux une coopération pour le renouvellement des avions de patrouille maritime. Enfin, toujours avec les Allemands, nous allons coopérer pour produire le char de combat futur MGCS.

Avec l'Italie, nous avons des perspectives de coopération dans le domaine naval. Ce pays a déjà été notre partenaire dans les programmes de frégates. Une coopération est prévue dans l'immédiat pour le programme des pétroliers ravitailleurs FLOTLOG. Les Italiens ayant eux-mêmes un programme correspondant, nous pouvons donc coopérer avec eux sur la base des travaux déjà réalisés en matière de conception.

Dans le domaine naval toujours, nous retrouvons nos amis britanniques avec lesquels nous travaillons sur la mise au point des programmes de guerre des mines du futur. Nous entendons par ailleurs poursuivre notre coopération avec eux dans le domaine des missiles de croisière, des missiles antinavires, avec en particulier la société « one MBDA », suivant un modèle de structuration industrielle fondé sur l'interdépendance mutuelle entre les centres d'expertise en France et les centres d'expertise au Royaume-Uni.

Dans le domaine du renseignement, le programme européen de drones MALE a été lancé avec un objectif de premières livraisons en 2025. De même a été engagé le programme de satellites d'observation optique MUSIS et le premier lancement devrait avoir lieu à la fin de cette année – programme de satellites pour lequel nous continuerons de rechercher la coopération européenne.

Tous ces éléments me conduisent à considérer que ce projet de loi de programmation militaire, avec son contenu d'études amont, de programmes en cours de réalisation et de programmes futurs, est de nature à consolider notre base industrielle et technologique de défense. Vous savez que notre industrie représente à peu près 200 000 emplois directs en France et qu'elle réalise un tiers de son chiffre d'affaires à l'export. Aussi la modernisation et le renouvellement des programmes prévus permettront-ils de maintenir sa compétitivité à l'exportation. La DGA a vocation à soutenir cette activité – ce que nous faisons et qui nécessitera d'ailleurs un accroissement sans doute sensible des moyens que nous pouvons y consacrer, en particulier parce que de plus en plus de clients de notre industrie demandent une assistance à maîtrise d'ouvrage, donc une contribution de la DGA à leurs achats ; voire des contrats d'État à État, dont l'exécution implique que la DGA soit encore davantage concernée par ces programmes d'exportation.

Pour me résumer, le projet de LPM donne à notre industrie la possibilité non seulement de se consolider – et par là nous donne les moyens nécessaires à notre autonomie stratégique – mais lui permet également de développer ses capacités à l'exportation. J'espère que les industriels que vous auditionnerez partageront ce constat.

Je dirai un mot concernant plus directement la DGA.

Le projet de LPM prévoit un renforcement de nos effectifs. Nous espérons ainsi obtenir d'ici à 2023 une augmentation de l'ordre de 500 emplois après dix années d'une diminution liée à l'application de la révision générale des politiques publiques (RGPP), puis de la LPM pour 2014-2019. Nous sommes actuellement environ 9 600 à la DGA. Cette remontée des effectifs permettra d'abord de relâcher la tension qui existe aujourd'hui sur l'ensemble de nos activités, tension consécutive, précisément, à la décroissance à laquelle je viens de faire allusion, ensuite de renforcer les capacités d'innovation et de développement des programmes nouveaux prévus par le projet de LPM, troisièmement de renforcer la montée en puissance des priorités comme les activités de cyberdéfense – nous avons déjà, dans notre centre de maîtrise de l'information (DGA-MI), à Bruz, près de Rennes, une forte capacité que nous devons continuer de développer ; nous devons également renforcer nos capacités dans le domaine numérique, le numérique étant présent dans tous nos systèmes d'armes et notre base industrielle et technologique devant être consolidée en la matière –, enfin, de soutenir l'exportation, je l'ai déjà évoqué – activité qui nécessitera une plus forte implication de la part de la DGA, les clients tendant à s'appuyer toujours davantage sur elle dans leurs relations contractuelles avec les industriels.

Pour faire face à l'ensemble de ces défis, nous avons lancé une réforme de la DGA, un plan progrès, baptisé « DGA Évolution », qui prend la suite des actions menées au cours des années précédentes et qui surtout s'insère dans le chantier de modernisation du ministère des Armées, avec pour objectif d'accroître la performance du processus d'acquisition des équipements, qu'il s'agisse de sa flexibilité ou de sa réactivité, d'exploiter davantage l'innovation venue du civil, je l'ai déjà mentionné, de retirer, pour nos opérations d'armement et pour notre fonctionnement interne, tout le bénéfice des techniques du numérique, qu'il s'agisse du traitement massif des données ou de l'intelligence artificielle. Nous sommes en train de travailler sur tous ces sujets dans le cadre des réformes ministérielles – nous avons en particulier un chantier commun avec l'état-major des armées dans le domaine du processus d'acquisition.

En conclusion, je dirai que, contrairement à ce qu'il s'est passé avec les lois de programmation militaire précédentes, des programmes en cours sont non seulement confirmés mais, pour certains, accélérés et leur cible est même parfois augmentée. Nous n'aurons donc pas à renégocier des contrats en cours à la baisse – ce qui place toujours la puissance publique, que nous sommes, dans une situation très inconfortable lors de ces négociations. Nous avons de nombreux programmes nouveaux à lancer pour moderniser nos équipements. Nous rechercherons systématiquement, pour leur réalisation, une coopération européenne : parce que cela répond à une orientation politique, parce que c'est une nécessité économique, parce que cela facilite l'interopérabilité de nos forces en opération et parce que c'est un moyen de soutenir la consolidation industrielle à l'échelle de l'Europe. Nous avons à mettre en oeuvre un effort financier accru dans le domaine de la préparation de l'avenir. Et tout cela doit permettre le renforcement de notre base industrielle et technologique de défense.

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