Intervention de François André

Réunion du mercredi 21 février 2018 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois André, rapporteur :

Merci Monsieur le président. Mes chers collègues, le 12 septembre dernier, notre commission a constitué une mission d'information sur l'exécution de la LPM 2014-2019 et nous en a désigné, Joaquim Pueyo et moi-même, rapporteurs. La mission d'information, vous l'avez dit Monsieur le président, était en outre composée de huit membres, représentant l'ensemble des groupes politiques. Nous avons souhaité que tous puissent participer à ce bilan, particulièrement utile à la veille de la discussion d'une nouvelle loi de programmation militaire, et je voudrais remercier vivement nos collègues pour leur implication lors des auditions ainsi que pour leurs suggestions.

En premier lieu, l'intérêt d'un tel exercice est de replacer la discussion de la loi de programmation militaire 2019-2023, celle qui commence, dans une perspective plus globale, historique.

C'est depuis les années 1960 que la France organise le développement de son outil de défense à travers une planification budgétaire pluriannuelle. Le ministère de la Défense est d'ailleurs le seul ministère à être doté d'une telle programmation. Cette dernière donne aux armées, mais aussi aux industries de défense, la visibilité nécessaire pour se projeter dans l'avenir et réaliser les investissements pluriannuels qui sont particulièrement nécessaires dans le domaine de la défense, les contrats d'armement, comme vous le savez, pouvant s'étaler sur plusieurs décennies.

Il convient de rappeler qu'une LPM est un engagement politique plus qu'une obligation juridique. La programmation doit être traduite, année par année, dans les lois de finances, dont les dispositions prévalent sur tout engagement pluriannuel de l'État. Comme le montre un graphique que nous avons souhaité vous montrer, tenu à jour par la direction du budget et que certains surnomment ironiquement « l'Iroquois », les LPM ont toutes été sous-exécutées depuis 1985 ! Vous voyez qu'à la concordance parfaite entre loi de programmation et loi de finances initiales (LFI), en début de période, succèdent, à partir de la moitié des années 1980, des « arêtes de poisson », témoignant des écarts entre des LPM très ambitieuses et des LFI qui le furent beaucoup moins.

Nonobstant des aléas difficilement prévisibles, comme la crise financière de 2008, l'inadéquation de la ressource budgétaire avec les ambitions affichées est la cause principale de ces écarts. Elle manifeste la tension permanente entre les objectifs d'autonomie stratégique et de défense, d'une part, et les objectifs de bonne gestion des finances publiques et de respect des engagements européens de la France, d'autre part.

En 2013, alors même que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN) identifiait de nouvelles menaces, la loi de programmation militaire 2014-2019 fut – je cite, parce que c'était l'expression en vigueur – « taillée au plus juste ». Monsieur le président se souvient d'ailleurs comme moi de l'expression que le ministre d'alors, Jean-Yves Le Drian, utilisait, celle d'une « ligne de crête », d'un côté ou l'autre de laquelle on risquait à tout moment de tomber. Cette LPM 2014-2019 faisait suite à une LPM 2009-2014 qui manifestait de grandes ambitions capacitaires, appuyées par de profondes réformes structurelles et une très nette réduction du format des armées, mais qui fut mal exécutée, notamment du fait de la crise financière de 2008. Pour réussir le sauvetage du programme d'équipement décidé en 2009, on décida de poursuivre les réformes structurelles et les réductions d'effectifs.

Alors que la LPM 2009-2014 prévoyait une réduction globale de 46 000 effectifs, une réduction de près de 40 000 avait déjà été réalisée fin 2013. La LPM 2014-2019 prévoit une réduction supplémentaire de 33 675 effectifs, s'ajoutant à la réduction de 38 426 programmée entre 2009 et 2013, soit 72 000 emplois sur la durée des deux LPM.

Dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, le sauvetage du programme d'équipement fut érigé en priorité de la LPM 2014-2019, avec plus de 102 milliards d'euros de crédits prévus pour toute la durée de la programmation, soit une dotation annuelle de plus de 17 milliards d'euros par an. Contrairement au gouvernement britannique qui avait fait le choix de renoncer à certaines capacités, comme la patrouille maritime, le gouvernement français choisit de n'abandonner aucun programme à effet majeur pour préserver la cohérence opérationnelle d'ensemble ainsi que l'outil industriel. Plusieurs réductions de cibles et décalages calendaires furent en revanche actés.

L'obtention de ces résultats reposait sur quatre grands paris.

En premier lieu, le pari opérationnel : la perspective d'un retrait rapide d'Afghanistan et d'une réduction du dispositif Serval, ainsi que les orientations du LBDSN de 2013, qui limitait à trois théâtres importants l'engagement des forces armées, justifièrent une baisse de la provision au titre des surcoûts OPEX pour le moins volontariste à 450 millions d'euros. Une clause dite « de sauvegarde » prévit toutefois que tout excédent constaté au-delà de cette dotation initiale et dû à des opérations décidées postérieurement à l'adoption de la LPM serait financé par la solidarité interministérielle. C'était le premier pari : celui de la baisse des coûts des OPEX.

Le deuxième pari reposait sur des ressources exceptionnelles disproportionnées. Comme sous la précédente LPM, l'équilibre financier devait reposer en grande partie sur l'obtention de ressources exceptionnelles à hauteur d'un peu plus de six milliards d'euros, qui devaient être obtenues grâce à des cessions d'emprises immobilières et la vente de fréquences hertziennes. On peut citer également un nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA) et la cession de participations d'entreprises publiques. La non-réalisation des recettes exceptionnelles prévues ayant fortement compromis l'exécution de la précédente LPM, on ajouta là aussi une clause de sauvegarde prévoyant des crédits budgétaires en cas de non-réalisation des recettes exceptionnelles.

Troisième pari : un pari export très ambitieux. Le maintien des chaînes de production d'armements nécessite des commandes régulières. C'est pourquoi, comme en 2009, l'équilibre de la programmation militaire 2014-2019 reposait en grande partie sur la réussite à l'export de Dassault Aviation. Là encore, la non réalisation des contrats d'exportation du Rafale lors de la précédente programmation avait contraint l'État à se substituer aux acheteurs potentiels, entraînant des surcoûts de 350 millions d'euros entre 2009 et 2011. Entre 2014 et 2019, quarante appareils devaient être vendus pour remporter ce nouveau pari risqué.

Dernier pari de cette LPM : le pari du vieillissement des matériels. Le maintien de la plupart des programmes à effet majeur en matière d'équipement reposait sur le pari du maintien en service de matériels, dont l'horizon de renouvellement fixé par le précédent LBDSN de 2008 était déjà dépassé en 2014. Vous avez à l'écran quelques exemples emblématiques. La prolongation de ces matériels supposait de maîtriser leur usure, en les employant de manière mesurée et surtout, en disposant de crédits suffisants pour le maintien en condition opérationnelle (MCO).

Compte tenu de ses fragilités intrinsèques, la programmation fut assortie de nombreuses clauses dites « de sauvegarde » ou « de revoyure ». Ce sont ces clauses, et notamment l'actualisation prévue à l'article 6, qui ont présidé à la discussion d'une nouvelle loi en 2015.

Dans un contexte marqué par des attentats et un niveau de menace terroriste sans précédent, l'actualisation de 2015 a organisé une remontée en puissance ciblée, en réponse à la menace. Un renforcement massif et rapide de la force opérationnelle terrestre (FOT) fut décidé par le président Hollande, à hauteur de 11 000 soldats supplémentaires. Le plan de lutte contre le terrorisme présenté le 21 janvier 2015 par le Gouvernement se traduisit en outre par un renforcement des capacités de renseignement et de cyberdéfense ainsi que de la protection des emprises. Pour autant, les réductions d'effectifs se poursuivirent dans les soutiens.

L'actualisation permit surtout de substituer des crédits budgétaires aux recettes exceptionnelles non réalisées, mettant ainsi fin à la tentation du ministère de la Défense de contourner la contrainte par la création des fameuses sociétés de projet. Conçues comme une facilité de trésorerie, ces sociétés de projet auraient emprunté à des taux plus élevés que l'État sur les marchés financiers pour financer la construction de matériels tels que les frégates ou les sous-marins, qu'elles auraient loués aux armées. Deux contrôles sur pièces et sur place avaient alors été diligentés par notre commission au titre de l'article 7 de la LPM, sur ce que la Cour des comptes a qualifié depuis de « solutions hasardeuses et inappropriées ».

L'actualisation de 2015 permit enfin de faire face à des besoins criants en matière d'équipements. On a été un peu chanceux à ce moment-là. La faible inflation et des retards industriels ont procuré des marges de manoeuvre inattendues : 500 millions d'euros supplémentaires furent ainsi affectés à l'entretien programmé des matériels, très sollicités sur des théâtres difficiles, tandis qu'1,5 milliard d'euros fut affecté au financement du programme d'équipement pour accélérer l'acquisition de capacités devenues critiques comme les hélicoptères, les avions de transport tactique ainsi que divers équipements destinés au renseignement.

Par la suite, en avril 2016, le conseil de défense a acté la renonciation définitive aux réductions d'effectifs encore programmées dans les secteurs non prioritaires. Une nouvelle trajectoire fut définie et se traduisit, dès 2017, par une hausse des moyens dévolus au ministère de la Défense. En 2018, l'engagement de campagne du président de la République d'augmenter l'effort de défense s'est traduit par une hausse inédite du budget, d'1,8 milliard d'euros par rapport à 2017.

Ces mesures cumulées ont grandement contribué à la bonne exécution de la programmation militaire pour les années 2014 à 2019.

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