Intervention de Francis Vercamer

Séance en hémicycle du mardi 6 mars 2018 à 15h00
Premier paquet mobilité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Vercamer :

Madame la présidente, mesdames les présidentes de commission, monsieur le rapporteur, madame la ministre, mes chers collègues, présenté en mai dernier, le premier volet du paquet Mobilité traite de sujets très sensibles que sont le détachement, le cabotage et la tarification. Cette proposition de résolution européenne s'inscrit dans la droite ligne de la position exprimée par le Gouvernement français, y compris de façon sévère. J'y reviendrai.

Je dirai tout d'abord quelques mots sur la révision de la directive « Eurovignette ». Le paquet Mobilité cherche à harmoniser les modalités de tarification des infrastructures, en remplaçant progressivement les systèmes de droit d'usage par des systèmes de péage. La Commission européenne propose également de renforcer le lien entre tarification et émissions de gaz carbonique, ce qui implique notamment des majorations, l'extension aux bus et aux autocars, ainsi qu'aux véhicules utilitaires légers.

La France a historiquement fait le choix du système de péage ; il n'empêche qu'une harmonisation est moins pertinente dans ce domaine que dans d'autres. Nous partageons donc la position du rapporteur qui souhaite laisser une marge de manoeuvre aux États membres. Notons toutefois que la Commission européenne estime, pour schématiser, que les redevances d'infrastructures sont plus efficaces que les taxes, et elle ouvre la voie à une baisse de ces taxes. Or, en France, nous avons tendance à faire les deux à la fois. Par ailleurs, laisser des marges de manoeuvre aux États ne doit pas signifier multiplier les contributions des usagers.

Le groupe de travail des assises nationales de la mobilité dédié au financement avait, entre autres, suggéré la mise en place d'une vignette nationale. Quitte à choisir, nous préférons, par exemple, une meilleure affectation des recettes déjà existantes, dont celles de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – TICPE. De la même manière, certains voient parfois la tarification, en particulier l'écotaxe régionale, comme un moyen de financer des infrastructures non routières. Il ne faut pas perdre de vue que dans certaines régions, comme les Hauts-de-France, une telle taxe pèserait réellement sur le tissu économique local.

J'en viens maintenant au volet social du paquet Mobilité, qui doit attirer particulièrement notre attention. Depuis la directive européenne de 1996, le détachement permet à une entreprise européenne d'envoyer ses salariés temporairement en mission dans d'autres pays de l'Union européenne, en n'appliquant que le noyau dur de sa réglementation. Ce système fait l'objet de nombreux détournements et cristallise le sentiment de rejet envers l'Union européenne. Il a également été un sujet emblématique de la dernière campagne présidentielle. Rappelons toutefois que la France est le deuxième pays d'accueil de travailleurs détachés dans l'espace européen, mais est aussi le troisième pays d'envoi de ces travailleurs.

Je suis convaincu de la nécessité de la construction européenne et de l'importance du principe de libre circulation, mais je considère aussi que les salariés doivent être protégés contre les distorsions de concurrence et les entreprises contre le dumping social et la concurrence déloyale.

Lorsque les ministres du travail européens sont parvenus à un accord sur la révision de la directive sur les travailleurs détachés, en octobre dernier, le Président de la République avait salué une « victoire de l'Europe ». Pour ma part, j'aurais été un peu plus mesuré. Certes, le principe « à travail égal, salaire égal » a été accepté, de même que la limitation de la durée du détachement à douze mois. Certes, la ministre du travail a récemment annoncé des mesures pour durcir les sanctions au niveau national. Mais à ce stade, le compromis ne paraît pas si équilibré que l'ont annoncé les négociateurs du Parlement européen et du Conseil lors de la conférence de presse de jeudi dernier.

En effet, l'accord réaffirme que les mesures encadrant le détachement s'appliquent bien au transport routier. Mais, en pratique, la version finale du paquet Mobilité précisera les règles spécifiques applicables au secteur routier, qui ne s'appliqueront qu'à ce moment-là, et la Commission européenne a largement ouvert à la voie à des dérogations à ce principe.

Ainsi, dans les propositions de la Commission, le seuil de déclenchement à partir duquel s'appliquent les règles du détachement pour le transport international serait de plus de trois jours cumulés par mois civil. Or il faut évidemment que les règles s'appliquent dès le premier jour. Comme le relève notre rapporteur, ces trois jours ne sont pas acceptables pour une question de principe, ni souhaitables si l'on veut des contrôles efficaces.

Autre point en débat, certains États veulent exclure les périodes de repos hebdomadaire de la comptabilisation du temps de travail. Là non plus, il ne faut pas accepter ce qui est une dérogation supplémentaire. Ces périodes de repos sont directement reliées au travail du transporteur routier ; ne pas l'admettre serait, d'une certaine façon, négliger la protection des salariés, simplement pour élargir la durée de détachement. Nous souscrivons à 100 % à cette formule contenue dans votre rapport d'information au nom de la commission des affaires européennes : « Retenir les franchises d'application telles que demandées par certaines délégations serait vider de toute substance, aux yeux des citoyens, les engagements de l'Union. » Ce serait aussi contraire aux engagements pris en octobre, aussi théoriques soient-ils. Le Gouvernement français a accepté le compromis d'octobre parce qu'il y était enfin dit clairement que les règles européennes sur le détachement s'appliquaient bien au transport routier international. Si les dérogations étaient multipliées, alors nous serions bien loin d'une victoire de l'Europe.

Cette logique malheureuse ne vaut pas que pour le détachement, et s'applique, plus généralement, pour le temps de repos des travailleurs mobiles. Pour des raisons évidentes de protection des salariés, la Commission européenne préconise l'interdiction du repos hebdomadaire normal en cabine. Mais déjà, certains États voudraient introduire des exceptions, et la Commission européenne serait prête à multiplier les repos hebdomadaires réduits. Là encore, à quoi bon ériger des principes pour multiplier les dérogations ?

Venons-en, enfin, au cabotage, ce transport de marchandises entre deux points du territoire national, réalisé par une entreprise européenne dans le prolongement d'un transport international. La Commission européenne propose de réduire à cinq jours, au lieu de sept actuellement, le délai au cours duquel le cabotage est possible. Mais elle propose également d'autoriser un nombre illimité d'opérations et d'étendre le champ géographique du cabotage aux États membres limitrophes. Nous soutenons le constat sévère de la France. Le fait qu'une entreprise étrangère puisse effectuer un nombre illimité d'opérations dans un État membre pendant cinq jours nous semble problématique. Permettre cela, c'est ouvrir la voie à un dumping social, que nous nous efforçons dans le même temps de contrecarrer pour le travail détaché.

Monsieur le rapporteur, votre contre-proposition sur l'instauration d'une période de carence entre deux périodes de cabotage nous semble également intéressante. Simplement, nous sommes libéraux et, plutôt que de parler d'une libéralisation du cabotage comme vous le faites, le terme de « dérégulation » nous semble bien plus approprié.

Tout n'est pas à repousser dans ce paquet Mobilité, loin s'en faut. Les mesures de lutte contre les sociétés « boîtes aux lettres » sont, par exemple, positives, mais la vigilance sur les aspects sociaux doit l'emporter sur tout le reste, tant ils sont cruciaux. Ne nous voilons pas la face : depuis le début et jusqu'à la fin des négociations, il y aura deux Europe avec des souhaits différents. La création de l'Alliance du routier l'année dernière en est la preuve tangible. Un nouveau tour de négociation a été lancé pour aboutir à un accord en juin. Il faudra un compromis, et les députés du groupe UDI, Agir et indépendants sont persuadés qu'une Europe forte et crédible doit avoir des principes et des lignes rouges. L'égalité et la lutte contre le dumping social en font partie.

À quelques mois des élections européennes, l'Union européenne aurait beaucoup à perdre aux yeux de nos concitoyens si elle échouait sur un sujet aussi sensible que celui des travailleurs détachés. Nous soutenons donc cette résolution européenne, qui a le mérite de la franchise. Les modifications des règles actuelles ne sont acceptables que dans le cadre d'une concurrence loyale et adaptée au secteur routier. Les entreprises françaises concernées ne peuvent pas être exposées à un dumping qui leur serait préjudiciable. Nous n'avons pas de prise sur la suite des négociations au niveau européen et nous espérons donc que la France saura assumer et porter sa position avec suffisamment de force pour aboutir à un résultat équilibré.

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