Intervention de Christophe Naegelen

Séance en hémicycle du mercredi 7 mars 2018 à 15h00
Convention d'extradition avec les Émirats arabes unis — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Naegelen :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il s'agit là d'une convention d'extradition classique et assez consensuelle. C'est pourquoi vous comprendrez parfaitement que je coupe court au suspense en annonçant que notre groupe se prononcera en faveur de ce projet de loi, qui renforce les liens de coopération entre la France et les Émirats arabes unis.

Qui plus est, malgré l'utilité certaine de ce projet de loi qui ne manquera pas de faciliter et d'accélérer les extraditions entre la France et les Émirats arabes unis, force est de constater qu'il convient de relativiser la portée de cette convention qui ne concerne finalement qu'un nombre minime de cas. Les échanges profitent d'ailleurs essentiellement à la France. Cette convention résulte, en effet, d'un projet proposé par la partie française et correspond de ce fait aux standards habituellement retenus par la France en la matière qui, pour l'essentiel, découlent de la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957.

Ce projet de loi interroge moins notre coopération judiciaire que nos relations avec les Émirats arabes unis sur lesquelles j'aimerais m'attarder.

Les Émirats arabes unis sont un partenaire stratégique. Le nombre de Français vivant dans ce pays augmente d'environ 11 % chaque année. Il s'élevait à 30 000 en 2016, en faisant la troisième communauté française au Moyen-Orient, après celles d'Israël et du Liban.

De façon plus générale, ce pays de 9 millions d'habitants est le deuxième partenaire économique de l'hexagone dans le Golfe, avec 4,93 milliards d'euros d'échanges bilatéraux en 2015, alors que 600 entreprises françaises, souvent issues du CAC 40, y sont implantées.

La pétromonarchie est souvent perçue comme un îlot de stabilité dans une région sous tension et en pleine mutation. Des liens se sont installés entre nos deux pays, que l'on peut qualifier d'étroits, réguliers et diversifiés. Par ailleurs, la France et les Émirats arabes unis coopèrent militairement depuis 1977. À ce titre, la base militaire dont nous disposons à Abu Dhabi constitue l'exemple le plus notoire de ce partenariat, avec le stationnement permanent de 650 militaires français. L'importance que revêt cette base opérationnelle a notamment été l'occasion d'un rappel lors de la revue stratégique de 2017. Il importe d'insister sur sa nécessité pour la projection de nos forces sur des théâtres d'opérations éloignés où la France défend des intérêts stratégiques. En ce sens, cette base offre une profondeur stratégique notable à nos armées.

Les personnels stationnés sur ces bases n'entrent pas dans le champ d'application de la présente convention, qui ne prévoit par définition que l'extradition de personnes présentes sur le territoire français. Ils bénéficient du statut protecteur mis en place par l'accord de coopération en matière de défense de 2009 précité, qui empêche l'application de la peine de mort dans l'hypothèse où un militaire français se serait rendu coupable d'une infraction ainsi punie dans le droit émirati.

Dans un tout autre domaine, l'ouverture du Louvre d'Abu Dhabi, le plus grand projet muséal de la France à l'étranger, symbolise également des liens culturels et éducatifs forts. Cet édifice constitue un projet bilatéral d'exception tant par son architecture que par la tolérance et l'ouverture au monde qu'il promeut, du fait d'une collection notable couvrant l'ensemble des civilisations avec des productions culturelles venues d'Afrique, d'Asie, d'Europe et des Amériques.

Dans le domaine éducatif, nos relations se manifestent également par la présence de l'université Panthéon-Sorbonne sur le territoire émirati. Dans notre unique antenne universitaire du Golfe, des professeurs français viennent dispenser des cours sur un campus qui réunit près de quatre-vingts nationalités. Signe de ce succès, l'enseignement du français est en nette progression dans le pays.

Les multiples facettes de notre partenariat ne doivent cependant pas nous rendre aveugles à certaines pratiques ayant cours aux Émirats arabes unis à l'encontre des valeurs que la France entend faire rayonner dans le monde. Dans le domaine juridique, la charia constitue toujours une source de législation majeure. Quand bien même un virage lent est amorcé vers l'ouverture et la tolérance, notamment au profit des femmes, l'apostasie, l'homosexualité et l'adultère sont toujours punis par la peine de mort.

Aussi, nous saluons le fait que le présent projet de loi visant la ratification de la convention d'extradition entre le gouvernement français et le gouvernement émirati tient compte de l'éloignement de nos traditions juridiques. Le texte assure ainsi l'intégrité de l'assise juridique française et protège nos ressortissants dans le cas où ces derniers viendraient à faire l'objet d'une demande d'extradition pour des faits susceptibles de leur valoir la peine de mort, des tortures ou tout traitement inhumain portant atteinte à l'intégrité physique de nos ressortissants. Elle comprend donc six motifs obligatoires de refus d'extradition et une liste de motifs facultatifs.

Ce n'est pas en restant simple observateur et en nous fermant à tout dialogue que nous participerons aux changements attendus des pratiques judiciaires dans ce pays. La signature de cette convention doit être lue à la lumière des nombreux accords de partenariat qui ont d'ores et déjà été signés entre nos écoles de formation judiciaire et les structures de formation émiratis. Ainsi, l'École nationale de la magistrature et l'Institut judiciaire de Dubaï ont signé un accord de coopération en 1997. Des évolutions sont donc en cours.

La place différente accordée aux droits de l'homme dans nos deux systèmes judiciaires constituait le principal point de vigilance. En dehors de cette préoccupation légitime, la ratification de cette convention est difficilement contestable et semble nécessaire dans un monde où la criminalité dépasse les frontières et où les criminels sont de plus en plus mobiles. Ces conventions permettent à la justice de s'adapter aux réalités induites par la mondialisation. Le Royaume-Uni et l'Espagne ont d'ailleurs tous les deux signé des conventions d'extradition similaires avec les Émirats arabes unis.

Cette convention permet donc de développer plus efficacement la coopération entre nos deux pays en vue de répondre de manière pertinente à la criminalité dans le respect des principes constitutionnels respectifs et sans une dilution de nos principes nationaux. Elle fluidifiera notre coopération bilatérale en matière pénale.

La ratification de cette convention s'inscrit dans l'ordre des choses et un consensus semble s'opérer autour de sa signature. Cette convention bilatérale se substituera à des dispositions de coopération multilatérales qui existent d'ores et déjà dans le domaine judiciaire et qui font appel au principe de réciprocité contenu dans l'obscur dispositif de courtoisie internationale ou dans le cadre de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, à laquelle nos deux pays sont parties.

Vous l'aurez compris, notre groupe appelle de ses voeux la ratification de cette convention, qui jette les bases d'une profonde coopération judiciaire devenue nécessaire, tout en garantissant par certaines dispositions l'intégrité de la tradition juridique française dans un pays aux normes différentes.

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