Intervention de Huguette Bello

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 9h30
Lutte contre la précarité professionnelle des femmes — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Bello, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, 129e sur 144 : voilà la triste place occupée par la France, berceau de l'égalité et patrie d'Olympe de Gouges, en matière d'égalité salariale. Cette situation consternante se traduit par une rémunération des femmes inférieure en moyenne de 25,7 % à celle des hommes.

Trois grandes séries de facteurs sont avancées pour expliquer un tel écart. Tout d'abord, ceux liés aux choix des filières de formation et aux métiers, ainsi qu'aux clichés qui s'y associent. Bien qu'elles soient majoritaires dans les études supérieures – 60 % en master, par exemple – les jeunes filles sont paradoxalement minoritaires au sein des filières sélectives ou scientifiques, qui sont aussi les plus rémunératrices. Le constat d'inégalités formées dès l'orientation et non durant le déroulement de carrière s'impose donc.

Une deuxième série de facteurs relève de la durée du travail, devenue le point d'achoppement de l'égalité professionnelle. En effet, 82 % des salariés à temps partiel sont des femmes, ce qui se traduit mécaniquement par des salaires inférieurs, des trajectoires de carrière dégradées et des droits sociaux affaiblis, notamment en matière de pensions de retraites.

La troisième série de causes relève… d'une absence de facteurs explicatifs ! À poste équivalent et à durée du travail égale, il existe encore un écart salarial résiduel de 10 %. Oui, malgré les avancées législatives et la protection exercée par le juge, un travail de valeur égale ne donne toujours pas lieu à une rémunération identique selon que l'on est une femme ou un homme !

Chacune de ces séries de facteurs a un impact direct sur la persistance et parfois même l'augmentation des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Mais leur impact commun, lorsque ces facteurs interagissent, conduit plus encore à démultiplier les effets négatifs sur la situation des femmes. Ces facteurs conduisent notamment à éloigner l'horizon de l'égalité salariale un peu plus chaque année. Selon le forum économique mondial, cette égalité ne serait pas atteinte avant 2234, soit 47 années de plus par rapport aux prévisions de l'an dernier !

Une action conjointe et globale sur l'ensemble de ces facteurs est donc indispensable. Nous prenons bonne note de la volonté du Gouvernement de déconstruire les modèles qui engendrent ces inégalités, notamment à l'école et dans le déroulement de la carrière, dans le cadre du plan d'action annoncé par la secrétaire d'État en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous nous réjouissons également de l'ambition de la ministre du travail de faire disparaître, durant ce quinquennat, l'écart de salaire de 10 % qui persiste à travail de valeur égale.

L'un des trois facteurs des inégalités professionnelles n'est donc malheureusement pas abordé dans le débat public : celui relatif à la durée du travail, et au temps partiel en particulier. Je souhaite ici affirmer une conviction profonde, jamais démentie au fil de mes engagements successifs : les huit lois adoptées ces trente dernières années, les plans d'envergure et les déclarations solennelles n'ont pas remédié aux inégalités, car les trois séries de facteurs n'ont jamais été combattues simultanément. Je formule le pari malheureux que sans prise en compte du temps partiel, les deux autres plans d'action à venir n'atteindront pas leurs objectifs en matière d'égalité professionnelle.

La proposition de loi que je porte ce matin vise précisément à y répondre en apportant le chaînon manquant de la durée du travail. J'assume le choix délibéré de ne pas multiplier les points d'entrée et d'apporter une réponse concrète à une précarité encore largement subie : celle résultant du temps partiel.

Évidemment, il n'est pas dans l'air du temps d'encadrer le temps partiel. Compétitivité des entreprises, destruction d'emplois – pourtant non délocalisables – , non-embauche, travail au noir, respect de la négociation collective... Lies arguments ne manquent pas pour refuser d'intervenir sur le temps partiel, même lorsqu'il se retourne contre les salariés. Il n'est pas non plus de bon ton d'insister sur le fait que les réformes globales du droit du travail engagées ces dernières années ont fait du temps partiel le terreau des inégalités professionnelles et de la précarité. Par ailleurs, il est sans doute malvenu de souligner que le temps partiel, surtout quand il est subi, est devenu l'un des principaux vecteurs d'inégalités pour les femmes.

Pourtant, les chiffres sont là, accablants, avec leur triste cortège de salariés enfermés dans une spirale de précarité. Mais ces salariés ne sont pas des ombres ! Nous les croisons chaque jour dans le milieu de travail, et dans les murs mêmes de notre assemblée ! Aussi, ne fermez pas le débat, mes chers collègues, et reconnaissons ici conjointement et sincèrement que le sujet de l'inégalité professionnelle doit être débattu et corrigé.

La proposition de loi que je présente aujourd'hui, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, part d'un principe simple : les mots seront toujours trop faibles pour parler de l'inégalité entre les femmes et les hommes. Il faut donc agir concrètement en partant des situations de droit et de fait qui génèrent aujourd'hui le plus de précarité. Les dernières réformes n'ont fait qu'aggraver une situation qui pénalise au quotidien les salariés concernés. Le contournement systématique des garanties apportées au temps partiel se constate à la fois par le droit et par les faits.

S'agissant du droit, le plancher de 24 heures, durée minimale du temps partiel hebdomadaire fixée en 2013 par les partenaires sociaux, a pris l'eau. La nouvelle hiérarchie des normes a consacré le renvoi de ce plancher à la négociation collective ; or, une seule branche a choisi de ne pas l'abaisser. Chaque année, les publications montrent qu'un nombre croissant de branches dérogent au socle des 24 heures, dans des proportions insoutenables. Exemple paradigmatique, la branche des acteurs du lien social et familial permet la conclusion de contrats à temps partiel pour une durée de 1 heure hebdomadaire seulement ! Par ailleurs, six branches autorisent aujourd'hui des contrats d'une durée minimale de 2 heures.

Les garanties que le législateur avait souhaité apporter au temps partiel semblent donc largement dévoyées, au point que le recours à ces contrats constitue aujourd'hui, dans de nombreux cas, une discrimination indirecte à l'encontre des salariés à temps partiel en général, et des femmes en particulier. Cela place la France dans une situation clairement contraire au droit de l'Union européenne.

Je présenterai donc un amendement visant à inscrire dans le code du travail le principe d'illégalité des discriminations indirectes, qui trouvera particulièrement à s'appliquer dans le cadre du temps partiel. Cette proposition de loi formule quatre propositions concrètes pour répondre, sans attendre davantage, à cette situation alarmante. Il s'agit de quitter les déclarations de principes ou les batteries de mesures législatives et réglementaires qui ne s'appliquent pas ; de contrecarrer le recours structurel, voire abusif, au temps partiel ; de retrouver la logique qui a présidé au socle légal des 24 heures sans revenir sur la confiance accordée à la négociation collective ; de supprimer les inégalités entre les salariés : rien ne justifie de tolérer la rupture d'égalité entre les salariés à temps plein et à temps partiel s'agissant de la majoration des heures complémentaires ; …

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