Intervention de Nathalie Elimas

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 15h00
Reconnaissance sociale des aidants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNathalie Elimas :

Monsieur le président, madame la ministre des solidarités et de la santé, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier Pierre Dharréville pour la qualité de son travail sur ce sujet essentiel des aidants familiaux.

En effet, si la question de l'aide et du soutien que nous pouvons apporter aux aidants familiaux n'est pas nouvelle, le sujet n'en demeure pas moins crucial : il a pris, au fil des années, une ampleur non négligeable.

En France, 8,3 millions de personnes aident aujourd'hui régulièrement, à son domicile, un de leurs proches ou de leurs aînés en situation de handicap ou de perte d'autonomie. Or, si les plus de soixante ans sont actuellement 15 millions, ils seront, compte tenu de l'allongement significatif de l'espérance de vie, 20 millions en 2030, et près de 24 millions en 2060.

En raison de ce vieillissement progressif de la population française, ainsi que de l'augmentation des maladies chroniques, le nombre de personnes en situation de dépendance augmente inexorablement : le nombre d'aidants a donc également vocation à s'accroître.

C'est pourquoi nous devons impérativement répondre de manière ambitieuse aux multiples défis que représente la dépendance et développer massivement les solutions visant à accompagner les personnes en perte d'autonomie ainsi que leurs aidants.

La qualité de notre modèle de solidarité sociale se mesurera à la capacité de celui-ci à garantir la dignité des personnes âgées et dépendantes. Il s'agit notamment de préserver leur pouvoir d'achat en réduisant le reste à charge, puisque les ménages acquittent, en complément des ressources fournies par la solidarité nationale pour la couverture des frais liés à la dépendance, au moins 7 milliards d'euros par an.

Il s'agit également, afin de garantir une prise en charge de qualité, de simplifier et d'améliorer la prise en charge des personnes dépendantes, de simplifier le véritable parcours du combattant auquel sont confrontées les personnes dépendantes et, surtout, de mieux accompagner les familles et les aidants.

Pour cela, l'amélioration de la prise en charge de la perte d'autonomie en établissement doit se faire en parallèle du développement du maintien à domicile, qui doit passer par une amélioration du statut des aidants.

Une telle évolution est indispensable car, il faut le rappeler, les aidants accomplissent quotidiennement un travail plus qu'utile et formidable. Ils sont pourtant soumis à des contraintes personnelles et professionnelles difficiles et importantes, manquent – de toute évidence – de temps, et sont, en outre, exposés au stress, à la fatigue, au découragement, à la culpabilité de mal s'occuper de leur proche, qu'il s'agisse d'ailleurs d'un ascendant, d'une personne âgée dépendante, d'une soeur, d'un frère, d'un descendant, d'un enfant gravement malade ou handicapé ou d'un conjoint en fin de vie. Les exemples, hélas, sont multiples.

À ce titre, les aidants ont besoin d'un soutien et d'une prise en considération adaptée à leur situation afin de faciliter leur vie personnelle, sociale et professionnelle : il s'agit d'un enjeu humain de solidarité, mais également d'un enjeu économique.

Bien que ces aidants demandent à rester des actifs intégrés à la vie économique de leurs entreprises, leurs obligations vis-à-vis de leurs proches emportent des conséquences non négligeables, puisque le fait d'être aidant constituerait la première cause d'absentéisme en entreprise. Le coût social global de cette réalité est d'ailleurs estimé à 20 milliards d'euros, soit 5 000 à 8 000 euros par an et par salarié aidant.

Par ailleurs, le vieillissement de la population pourrait, d'ici à 2025, engendrer des dépenses supplémentaires de l'ordre de 2 à 3 points de produit intérieur brut. Si la valorisation monétaire de l'aide apportée par les aidants est délicate, certains économistes estiment que leur travail pourrait représenter entre 12 et 16 milliards d'euros, soit 0,6 % à 0,8 % du PIB.

Le travail effectué par les aidants est colossal. Les soutenir et leur apporter la reconnaissance qu'ils méritent est donc plus que jamais essentiel. Il s'agit d'un engagement du Président de la République et d'un des axes de travail de Mme la ministre des solidarités et de la santé.

La commission des affaires sociales s'est également penchée sur ce sujet ces derniers mois. Ainsi, nos collègues Agnès Firmin Le Bodo et Charlotte Lecocq ont, en décembre dernier, formulé des propositions dans leur rapport d'information sur la mise en application de la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement.

Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même mené une mission flash qui a permis de dégager trois principaux axes qui permettraient d'améliorer la situation des aidants proches : le temps, les ressources et l'accompagnement.

Enfin, une proposition de loi du groupe UDI, Agir et indépendants a été adoptée : elle permet d'étendre le dispositif de dons de jours de repos non pris aux aidants familiaux. Nous nous félicitons tout particulièrement qu'à l'initiative du groupe MODEM un rapport du Gouvernement sur la situation des aidants familiaux soit prochainement remis au Parlement.

Ce rapport étudiera notamment la possibilité de réviser l'imposition des sommes versées à titre de dédommagement, dans le cadre de la prestation de compensation, en vue de soutenir et de valoriser les aidants. Il examinera également la possibilité de maintenir l'affiliation à l'assurance vieillesse des parents aidants d'un enfant handicapé de plus de vingt ans.

Ces avancées sont donc significatives et vont de pair avec le travail engagé par le Gouvernement.

Encore une fois, je tiens à remercier nos collègues du groupe GDR – et tout particulièrement le rapporteur, M. Pierre Dharréville – de s'être penchés sur cette question cruciale des aidants.

Cependant, cette proposition de loi ne nous semble aujourd'hui pas suffisante, d'abord parce qu'elle ne répond pas à la question de la faisabilité ou du financement de certaines mesures, ensuite parce qu'elle n'aborde pas la problématique dans son ensemble.

Le groupe MODEM appelle de ses voeux l'élaboration d'un projet global et ambitieux pour les aidants, qui mettrait fin à l'approche très parcellaire et par trop segmentée qui a jusqu'alors prévalu.

Dans ce cadre, nous souhaitons que soit abordé un sujet qui a jusqu'à présent été occulté : il s'agit du rôle des jeunes aidants qui accompagnent un frère, une soeur ou un parent malade ou handicapé.

On recense en effet 913 000 aidants âgés de seize à trente ans. Si les plus jeunes n'apparaissent pas dans les statistiques, ils sont pourtant nombreux à être investis de ce rôle, puisque qu'on en dénombrerait, selon les estimations, 500 000, âgés de huit à vingt ans.

Alors que la question des jeunes aidants a été étudiée en Grande-Bretagne, en Italie et aux États-Unis, aucune étude n'a été menée en France. La situation des enfants mineurs, ou des jeunes personnes qui accompagnent quotidiennement un proche malade ou en situation de handicap est donc aujourd'hui une réalité que l'on peut qualifier d'invisible ou de taboue.

Le problème est qu'il est très difficile de les identifier : ils parlent peu à l'extérieur de leur situation à la maison et ne savent d'ailleurs bien souvent pas qu'ils sont des aidants.

Ce ne sont ni des héros ni des victimes : ils restent en effet, malgré cette singularité, des enfants comme les autres. Néanmoins, si le rôle d'aidant présente de nombreux aspects positifs, il est parfois lourd à porter. Comment donc pouvons-nous aider ces enfants ?

En effet, 500 000 enfants ont besoin qu'on facilite leur quotidien. Or, leur nombre risque d'augmenter avec l'accroissement des foyers monoparentaux et des affections chroniques qui entraînent une perte d'autonomie – diabète, maladies cardiovasculaires ou respiratoires, pathologies cancéreuses.

Nous ne savons pas précisément de quelles tâches ces jeunes sont investis – s'agit-il des soins du corps, du soutien de la fratrie, du ménage ? – et quels sont les effets de ces responsabilités sur leur vie scolaire et sociale ainsi que sur leur avenir.

Alors que l'enfant n'a jamais été aussi investi narcissiquement, ces jeunes semblent totalement niés dans leur fonction d'aidant. Les personnels de santé et les travailleurs sociaux les rencontrent principalement au sein des familles monoparentales, mais le système actuel ne les repère que comme « enfants de leur parent malade ».

L'estime de soi de ces jeunes aidants est souvent mise à mal, soit parce qu'ils trouvent que la personne malade ou handicapée prend trop de place, soit à cause des moqueries qu'ils subissent à l'école, soit parce que la présence de la maladie et la crainte de ses effets à long terme dégradent leur scolarité, leurs relations sociales ou encore leur santé mentale.

Il faut pouvoir prévenir et détecter les éventuelles souffrances psychiques de ces jeunes car elles ont de nombreuses incidences en matière de santé publique. C'est pourquoi nous devons aujourd'hui prendre conscience de la situation des jeunes aidants, mettre en place des dispositifs d'aide et les reconnaître sur le plan politique et institutionnel.

Madame la ministre, le groupe MODEM sera à vos côtés pour prendre ce sujet à bras le corps. En attendant, nous souhaitons le renvoi en commission de cette proposition de loi.

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