Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 21h30
Liste française des paradis fiscaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Elle met dans le même sac, sous l'appellation d'États ou territoires non coopératifs, des États qui pratiquent le secret bancaire – aujourd'hui une toute petite minorité – et ceux qui créent une concurrence fiscale dommageable. Or ces derniers, qui n'entrent pas dans la catégorie actuelle des ETNC, sont, eux, extrêmement nombreux, y compris parmi les membres de l'OCDE, voire de l'Union européenne.

Pourquoi la liste des ETNC, actuellement régie par les dispositions de l'article 238-0 A du code général des impôts, et que cette proposition a pour objet de modifier, a-t-elle été élaborée ? Le but était de vaincre le secret bancaire et de convaincre les États qui le pratiquaient de conclure, avec la France comme avec d'autres pays membres de l'OCDE, une convention permettant l'échange de renseignements, en particulier bancaires. Cette liste a donc constitué une arme entre les mains des négociateurs français pour obtenir la levée du secret bancaire par les États qui le pratiquaient encore – arme très efficace, d'ailleurs, puisque très peu d'États ou de territoires, désormais, refusent l'échange administratif de renseignements. Il convient donc de conserver cette disposition, d'autant que les États qui, après avoir signé une telle convention, ne l'appliqueraient pas loyalement, sont menacés de redevenir « gris » puis « noirs » c'est-à-dire de réintégrer la liste des ETNC.

Mais une chose est d'avoir vaincu le secret bancaire, une autre sera de vaincre les pratiques fiscales dommageables, c'est-à-dire la concurrence fiscale entre États. De nombreux États, y compris parmi les membres de l'OCDE, et même de l'Union européenne, pratiquent la concurrence fiscale agressive consistant à offrir des avantages aux entreprises et aux particuliers qui investissent chez eux ou qui s'y établissent. N'oublions pas d'ailleurs que la France elle-même dispose de plusieurs mécanismes très attractifs qui sont critiqués par certains de ses partenaires. La baisse du taux de l'impôt sur les sociétés à 25 % d'ici à 2022 pourrait d'ailleurs être regardée par nos partenaires comme une offensive de concurrence fiscale.

C'est pourquoi il est irréaliste d'inscrire tous ces États sur la liste des ETNC. Cela aboutirait à banaliser la notion d'États non coopératifs, à lui faire perdre le caractère infamant qu'elle a actuellement. Cela conduirait aussi à étendre exagérément le champ des sanctions : serait-il raisonnable de sanctionner nos entreprises qui investissent en Irlande, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Tchéquie, tous pays considérés comme pratiquant une concurrence fiscale dommageable ?

Vous m'avez compris, mes chers collègues, je défends l'idée, seule réaliste, que la lutte contre la concurrence fiscale ne peut pas être engagée unilatéralement par la France, sous peine d'être non seulement inefficace mais aussi de se retourner contre nos entreprises.

La France n'a aucune chance de mettre fin, à elle seule, à la concurrence fiscale dommageable pratiquée par ses partenaires. En la matière, rien ne lui servirait de caracoler seule en tête : il faut que les pays de l'OCDE avancent groupés.

La lutte contre l'évasion fiscale ne peut être qu'internationale. Lorsqu'il sera proposé au Parlement d'approuver un accord international de lutte contre la concurrence fiscale dommageable, je le soutiendrai vigoureusement. J'espère que celui-ci verra bientôt le jour.

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