Intervention de Pierre-Yves Bournazel

Séance en hémicycle du jeudi 8 mars 2018 à 21h30
Lutte contre marchands de sommeil — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Bournazel :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la vice-présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le mois dernier, un propriétaire de la rue Marx-Dormoy, dans le l8earrondissement de Paris, a été condamné, pour mise à disposition d'hébergement contraire à la dignité humaine, à deux ans de prison avec sursis, 500 000 euros d'amende et l'interdiction définitive d'exercer le métier de logeur.

Pourquoi cette condamnation a-t-elle légitimement généré autant de réactions, d'émotions et d'articles de presse ? Sans doute parce qu'il nous paraît collectivement inconcevable que, en 2018, des familles avec des enfants s'entassent dans des logements de moins de 20 mètres carrés sans chauffage, sans électricité aux normes de sécurité et avec des infiltrations d'eau, pour des loyers exorbitants. Combien de fois ai-je reçu dans ma permanence, comme beaucoup d'entre vous, des familles venues nous montrer des photos ou leurs logements ? On a honte !

La vivacité des réactions à cette condamnation tient également au fait que l'on n'imagine pas que, dans notre capitale, Paris, et dans notre pays, la France, puisse encore prospérer ce type de trafic humain, qui touche les populations les plus fragiles et les plus vulnérables. Il s'agit de l'exploitation d'êtres humains, d'atteinte à la dignité et, disons-le clairement, d'un système mafieux. En outre, ce marchand de sommeil avait été relaxé en première instance et était visiblement passé chaque fois à travers les gouttes malgré quarante-quatre arrêtés d'insalubrité prononcés contre cet immeuble. La population a été profondément choquée.

Par sa sévérité, le jugement de la Cour d'appel de Paris doit faire date. Les condamnations de ce type sont encore peu nombreuses. Cela a été dit : selon le Gouvernement, seuls quatre-vingts à quatre-vingt-dix marchands de sommeil sont condamnés chaque année, alors que les logements insalubres se comptent encore par centaines de milliers.

Au-delà de ce fait divers, les marchands de sommeil continuent de sévir. L'Île-de-France est particulièrement touchée par le phénomène : la région estime ainsi à 180 000 le nombre de logements indignes. Ce chiffre est à mettre en parallèle avec les 200 000 logements, au niveau national, annoncés par le secrétaire d'État Julien Denormandie. La région Île-de-France a présenté en décembre dernier plusieurs propositions. Elle a d'ailleurs souligné que les copropriétés ne sont pas les seules concernées : le phénomène touche également les zones pavillonnaires.

Je ne dis pas que les pouvoirs publics n'ont rien fait depuis des années. À Paris, en tant que maire, Bertrand Delanoë a, par exemple, mené une action volontariste de lutte contre l'habitat insalubre. La représentation nationale n'est pas non plus restée inactive et a notamment renforcé des dispositifs dans le cadre de la loi ALUR : la progressivité et la modulation de l'astreinte administrative, avec un plafond pouvant aller jusqu'à 1 000 euros par jour de retard en cas de travaux exigés ; la conservation des allocations logement par les organismes en cas de logement indécent et le conditionnement de leur restitution à la réalisation de travaux ; le permis de diviser ; la déclaration de mise en location ; l'autorisation de louer ; l'élargissement de la peine complémentaire, avec l'interdiction d'acheter pendant cinq ans ; la peine complémentaire de confiscation d'usufruit, reversé au profit de l'Agence nationale de l'habitat, dispositif issu d'ailleurs d'un amendement de Jean-Christophe Lagarde.

Néanmoins, notre groupe est convaincu qu'il faut aller plus loin : l'inventivité des marchands de sommeil pour échapper aux sanctions et pour poursuivre leur activité est malheureusement sans limite. Nous devons adapter notre réponse judiciaire et législative. Je crois que ce constat est partagé par l'ensemble des groupes et par le Gouvernement. Le futur projet de loi ÉLAN devrait, en effet, instaurer une présomption de revenus imputables aux marchands de sommeil. La justice présumera ainsi qu'ils ont perçu de l'argent de la location illégale de leur logement insalubre. Il reviendra alors au marchand de sommeil de prouver qu'il n'a pas perçu de telles ressources. En effet, il est indispensable de frapper durement les marchands de sommeil au portefeuille.

Je salue également la volonté du Gouvernement d'accompagner des collectivités pour renforcer les services de lutte contre les logements indignes. C'est une nécessité pour accroître l'efficacité de notre combat. Je peux donc entendre l'argument avancé en commission par la majorité, selon lequel il faudrait attendre le projet de loi relative au logement.

Cependant, les députés de mon groupe considèrent que la présente proposition de loi de nos collègues du groupe GDR a la vertu de préparer le terrain et d'ouvrir un débat important, car il y a sans doute d'autres mesures qui mériteraient d'être ajoutées au futur chapitre sur la lutte contre l'habitat indigne. Ne serait-ce que dans cette proposition de loi, plusieurs pistes semblent intéressantes : la possibilité donnée à l'État ou à la collectivité de récupérer les allocations suspendues, plutôt que de les laisser aux caisses d'allocations familiales ; la conditionnalité de la vente par adjudication à la réalisation de travaux ; l'application des normes de constructions neuves pour les travaux exigés à la suite d'un arrêté d'insalubrité. À l'inverse, mentionner le nom de l'acquéreur envisagé sur la déclaration d'intention d'aliéner part, certes, d'une bonne intention, mais pourrait avoir des effets pervers. De plus, la mise en oeuvre de l'interdiction d'achat par les notaires est relativement récente ; il faudrait donc d'abord évaluer son efficacité.

Quoi qu'il en soit, l'esprit général de ce texte est cohérent : la lutte contre les marchands de sommeil doit être renforcée, non seulement en aval, par les sanctions dont j'ai parlé tout à l'heure, mais aussi en amont des actes d'achat. La loi ALUR appliquait déjà cette philosophie : à la fois durcir les sanctions et empêcher ce commerce illégal. Il faut frapper au portefeuille, mais aussi sur le patrimoine bâti. Dès lors, pourquoi ne pas rassembler ces mesures contre l'habitat indigne dans le cadre du projet de loi ÉLAN, et les compléter, pour proposer ainsi un paquet législatif, si possible une bonne fois pour toutes ?

Dans ce paquet, la peine systématique de confiscation des biens pourrait utilement être ajoutée. Elle existe déjà dans d'autres pays européens. Nous y sommes favorables, et je crois d'ailleurs que c'est une position partagée sur plusieurs bancs. C'est précisément l'objet de l'amendement que j'ai déposé avec mes collègues du groupe UDI-Agir.

Lorsque le ministre dresse un parallèle entre les marchands de sommeil et les trafiquants de drogue, il voit juste. Plus encore, notre sévérité doit être totale contre des personnes qui exploitent la misère humaine. Aujourd'hui, face à la crise migratoire que nous connaissons, et qui sera durable, le risque de voir le business des marchands de sommeil prendre de l'ampleur est réel. Les hommes, les femmes et les enfants qui arrivent dans nos villes, dans la fameuse rue Marx-Dormoy du 18e arrondissement que j'évoquais tout à l'heure, sont en situation de détresse et sont des proies faciles pour ces trafiquants. Ils sont souvent livrés aux passeurs et aux systèmes mafieux. Au bout de la chaîne se trouve le logeur sans foi ni loi. C'est donc un phénomène qui demande une réponse effective, précise et adaptée.

Mes chers collègues, même si cette proposition de loi n'est pas le véhicule législatif privilégié, nous voyons ce débat comme une première contribution utile à un arsenal législatif efficace, que nous devrons construire ensemble dans les prochains mois. Je remercie le rapporteur et son groupe d'avoir lancé le débat, et je souhaite que le Gouvernement tienne compte, dans ses initiatives, des positions des différents groupes politiques sur ce sujet.

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