Intervention de Claire Legras

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Claire Legras, directrice des affaires juridiques du ministère des Armées :

Comme son intitulé l'indique, le projet de loi que je vous présente ne se résume pas à la programmation militaire, qui a été au coeur de vos auditions jusqu'à présent. Il comprend également de nombreuses dispositions d'ordre normatif qui, au-delà de la seule sphère militaire, concernent pour beaucoup la sécurité nationale au sens large.

Comme Mme la ministre a dû vous le dire, le projet de loi de programmation a été confectionné en un temps record au terme d'un travail conduit en lien très étroit entre les armées, les services du ministère et nos partenaires d'autres ministères. Outre son volet programmatique, il comprend donc un volet normatif d'une quarantaine d'articles. C'est sans doute le vecteur normatif le plus important dont disposeront les armées au cours de cette législature.

Plutôt que de vous présenter le texte de manière exhaustive, j'insisterai plus particulièrement sur plusieurs points, d'abord les mesures par lesquelles le projet de loi vise à apporter une réponse adaptée aux enjeux humains et opérationnels auxquels fait face le ministère, puis les mesures les plus significatives au titre de la préparation de l'avenir auquel nous concourons par ce projet de loi, tant dans sa partie programmatique que dans sa partie normative.

Commençons donc par les enjeux humains et opérationnels auquel le ministère est confronté. Dans le domaine des ressources humaines, sur lequel je ne m'attarderai pas puisque vous avez entendu ma collègue Anne-Sophie Avé hier, le projet de loi met l'accent sur l'amélioration de la prise en charge des militaires blessés et, chose importante, sur l'effort que nous devons consentir en matière de reconversion des militaires et d'aide au départ. Cet effort est certes particulier et peut même être jugé dérogatoire sur le plan interministériel, mais il doit être mis en regard des conditions très strictes d'appréciation de l'aptitude dans le domaine militaire et de la nécessité elle aussi particulière à laquelle les armées font face en matière de renouvellement des compétences et des générations.

Dans le domaine de la gestion des hommes, je me contenterai de signaler deux dispositifs dont je pense qu'ils méritent votre attention. Le premier concerne l'article 7 et vise à fidéliser les militaires, notamment dans certaines spécialités, en réponse à la demande criante qu'expriment, notamment, la marine et le service de santé des armées. Pour fidéliser les militaires, notamment les femmes, nous ne pouvons pas organiser un temps partiel militaire parce qu'il ne serait pas compatible avec le principe d'unicité du statut ni avec celui de disponibilité en tout temps et en tout lieu. La ligne de crête est difficile à trouver. Nous vous proposons donc une solution que j'oserai qualifier d'astucieuse : elle consiste à prévoir la possibilité pour un militaire placé en congé pour convenance personnelle afin d'élever un enfant de moins de huit ans de servir dans la réserve – étant entendu qu'ordinairement, le statut de réserviste est incompatible avec celui de militaire d'active. Ces périodes de service seront prises en compte prorata temporis pour le calcul de l'avancement et de la retraite. En l'occurrence, la LPM dialogue avec le plan Famille ; c'est une mesure importante que je tenais à évoquer.

Ensuite, le projet de loi prévoit deux expérimentations destinées à répondre aux difficultés de recrutement propres à notre ministère et, plus largement, à tester pour le compte du Gouvernement un assouplissement des voies d'accès à la fonction publique, dans le respect du principe d'égalité d'accès aux emplois publics, protégé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ce principe n'impose pas le recours au concours en tout temps et en tout lieu, mais simplement que la sélection des candidats soit fonction de leurs capacités, vertus et talents. Il va de soi que le dispositif expérimental qui est proposé ne renonce pas à ce principe.

Il comporte deux volets. D'une part, nous prévoyons le recrutement sans concours, dans quatre régions seulement, de fonctionnaires du premier grade des techniciens supérieurs d'études et de fabrications après évaluation des mérites des candidats par une instance collégiale. Autre corset du dispositif : est prévu le contingentement de cette voie spéciale d'accès – aujourd'hui au niveau de 20 % des recrutements par an dans le corps concerné. Deuxième volet : l'expérimentation du recrutement d'agents contractuels dans des emplois de catégorie B et C, l'objectif étant de recruter des contractuels non plus pour une période d'un an mais pour trois ans d'emblée, soit une meilleure attractivité, notamment dans certaines zones géographiques dans lesquelles les taux de vacance d'emplois sont préoccupants, et dans un certain nombre de spécialités en tension comme le renseignement, le génie civil, le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres ou encore les systèmes d'information.

À ce stade, ces mesures sont taillées au plus juste et l'étude d'impact n'en fait pas mystère : il s'agit de quelques dizaines de recrutements par an. On peut même se demander si ce volume suffira pour permettre au Gouvernement et à la Représentation nationale d'apprécier la pertinence de cette expérimentation, sachant que cette perspective est totalement en phase avec la vision modernisatrice que le Gouvernement a présentée depuis concernant l'accès à la fonction publique.

Ensuite, le projet de loi enclenche une évolution importante des droits politiques des militaires – un sujet dont j'ai déjà eu l'occasion de parler avec certains d'entre vous et de vos collègues de la commission des Affaires étrangères. En 2014, le Conseil constitutionnel a jugé que l'interdiction faite aux militaires d'active d'exercer un mandat municipal – une incompatibilité générale et absolue comme il en existe très peu, qui a donc logiquement heurté le Conseil – excédait ce qui était nécessaire à la double protection de la liberté de choix de l'électeur et de l'indépendance de l'élu à l'égard de risques de confusion ou de conflit d'intérêts avec ses fonctions. Le Conseil constitutionnel nous a demandé qu'il y soit remédié au plus tard avant le 1er janvier 2020 ; il était donc naturel de se saisir en avance de cette inconstitutionnalité et d'y remédier dans la loi de programmation militaire.

Dès lors, le Gouvernement poursuit un triple objectif : répondre avant tout à cette censure et se mettre en situation, le cas échéant, d'affronter une nouvelle contestation sur le terrain de la constitutionnalité du dispositif qui sera soumis à votre vote, mais aussi préserver les principes fondamentaux de neutralité et de disponibilité du militaire, tout en embrassant la réforme – plutôt que de l'appliquer à reculons – pour ouvrir aux militaires la possibilité de nouvelles formes d'engagement civique de nature à conforter le lien armée-Nation. Je précise qu'il ne s'agit aucunement d'offrir aux militaires la possibilité de trouver un complément de rémunération ou d'emporter un trophée symbolique, puisque l'on vise des mandats dans des petites communes, mais bien plutôt de leur offrir une nouvelle occasion de service.

J'en viens aux différents curseurs, en particulier celui de la taille des communes. Les militaires d'active pourront exercer un mandat dans les communes de moins de 3 500 habitants, soit 91 % des communes et 32 % de la population. Sans être grande ouverte, la porte est donc entrouverte de manière significative afin de tirer les conséquences de la censure du Conseil constitutionnel. Si nous avons choisi les communes de moins 3 500 habitants, c'est parce que les considérations locales y priment sur les enjeux de politique nationale, ce qui permet de préserver autant que possible le principe de neutralité des militaires. Par ailleurs, les militaires pourront détenir une délégation mais ne pourront pas exercer les fonctions de maire et de maire-adjoint. Cela me semble difficilement contestable et je vois mal comment nous pourrions aller au-delà ; en revanche, la possibilité d'être titulaire d'une délégation est essentielle parce que dans les petites communes, tous les élus ou presque en détiennent une et nous ne voulons pas faire des militaires des élus de seconde zone.

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