Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du mardi 13 mars 2018 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Comme la Revue stratégique 2017 l'a clairement énoncé, la France, et plus généralement l'Europe, sont aujourd'hui exposées à de nouveaux défis qui non seulement se croisent, mais aussi se rapprochent : terrorisme, crise migratoire, démonstrations de force de grandes puissances militaires, vulnérabilités persistantes dans la bande sahélo-saharienne, déstabilisation durable au Proche et au Moyen-Orient, dérèglements climatiques, risques pandémiques ou encore trafics et criminalité organisée.

Les vulnérabilités et les causes de déstabilisation sont donc nombreuses, complexes et durables. Pour y faire face, nous n'avons d'autres choix que de disposer, comme vous le souhaitez, d'une force armée suffisamment complète et équilibrée – j'ai toujours un peu de mal à dire « une force armée complète », car elle ne l'est pas totalement si on la compare à celle des États-Unis : nous avons besoin de partenaires. Nous devons également garder à l'esprit, bien sûr, qu'un tel modèle n'est pas forcément synonyme de sécurité. Il n'est que de voir la diversité et l'intensité des menaces, tant intérieures qu'extérieures, auxquelles sont confrontés nos alliés américains, qui possèdent pourtant, de loin, l'armée la plus complète et la plus équilibrée au monde.

Un deuxième élément de contexte est celui de l'état de notre puissance militaire. À l'évidence, elle n'est pas, ou n'est plus, capable de répondre aux menaces grandissantes. Il faut y voir le résultat de plusieurs décennies d'une politique pratiquée par les gouvernements successifs, toutes tendances confondues, qui ont diminué l'importance de l'effort de défense. Notre modèle d'armée s'est peu à peu affaibli en raison de la baisse des effectifs et des retards accumulés dans la modernisation des équipements – lesdits équipements étant aujourd'hui en grande partie obsolètes ou inemployables sur le terrain.

C'est là qu'intervient le troisième élément de contexte de préparation de cette LPM, opposé au premier, celui de la contrainte budgétaire. En réalité, l'exercice de cette loi de programmation militaire relève presque de la quadrature du cercle, puisqu'il s'agit de concilier, d'une part, le contexte budgétaire qui nous oblige à contenir les dépenses publiques, et, d'autre part, le contexte de menaces croissantes, intérieures et extérieures, auxquelles nous faisons face.

Au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants, je dois dire, Madame la ministre, que le projet de loi de programmation militaire que vous nous présentez répond du mieux possible aux contraintes imposées par son contexte, et que nous l'estimons globalement satisfaisant. Non pas qu'il ait la prétention de combler des décennies de lacunes budgétaires, d'abandons capacitaires et de réductions en moyens humains, mais tout simplement parce qu'il va dans le bon sens, avec une trajectoire visant à la fois à la réparation et à la préparation de l'avenir – ce que nous n'avions pas vu depuis longtemps, nonobstant les critiques que l'on a pu entendre au sujet de ce texte

Nous ne pouvons que souscrire aux quatre grandes priorités que vous avez fixées et qui ont été rappelées. Nous partageons non seulement le constat, mais aussi les objectifs. Pour autant, le groupe UDI, Agir et Indépendants tient à vous faire part de certaines remarques et propositions que nous avons déjà évoquées avec vous et que nous aurons de nouveau l'occasion de rappeler lors de l'examen du texte en séance.

Bien sûr, nous soutenons pleinement le rehaussement de l'effort à 2 % du PIB à l'horizon 2025. C'est une nécessité, ne serait-ce que pour rendre confiance et dignité, et même apporter davantage de sécurité à nos soldats. Nous saluons donc cet engagement qui, à n'en pas douter, constitue un choix difficile. Nous saluons également votre volonté d'améliorer rapidement la condition militaire, qui est l'un des éléments de cette confiance et constitue le pendant du sacrifice consenti par nos soldats et leurs familles.

Cependant, l'effort n'est pas linéaire. Nous avions souhaité, lors d'une précédente audition, que cet effort soit le plus rapide possible. Comme vous le reconnaissez, il sera quasiment doublé entre la période 2017-2022 et la période 2023-2025. Il en est de même en termes de ressources humaines, avec la création de 6 000 postes, dont les trois-quarts à partir de 2023. Naturellement, vous n'échapperez pas au débat sur ce qu'il adviendrait, à l'issue des élections présidentielle et législatives de 2022, d'un engagement s'étendant en partie sur le prochain quinquennat, mais il en est ainsi de toutes les LPM : elles engagent toutes plusieurs majorités, qui les respectent ou non. Cela dit, à entendre les intervenants qui se sont succédé, il n'y a pas à craindre que les engagements de la LPM soient remis en cause, puisque tout le monde exprime le souhait qu'il soit fait davantage… (Sourires). Pour notre part, nous considérons qu'il n'est pas possible de réparer quinze à vingt ans d'abandon budgétaire et humain en sept ans. La remontée en puissance doit se faire de manière progressive et, si nous aurions souhaité que les choses se fassent plus rapidement, c'est au-delà même de 2025 qu'il faudra regarder, conformément à votre LPM qui prévoit bien de préparer la suite.

En second lieu, au sujet du volet capacitaire de ce projet de loi, et plus précisément de son rapport annexé, je tiens à soulever un point que notre collègue Olivier Becht ne manquera pas rappeler en commission et en séance, au moyen d'un amendement : la construction d'un porte-avions afin de permettre le remplacement du Charles-de-Gaulle avant sa fin de vie. En effet, le rapport ne prévoit des études amont que sur un seul porte-avions, alors que nous aurions tout intérêt à en construire deux, tout du moins à réfléchir sérieusement à cette hypothèse. Évidemment, vous pourrez nous répondre que les crédits sont rares et que les coûts sont astronomiques. Certes, mais un seul porte-avions – régulièrement immobilisé – suffit-il à assurer la sécurité de notre pays, qui possède le deuxième domaine maritime du monde ? Avant de réfléchir aux coûts budgétaires, ne devrions-nous pas réfléchir aux ambitions qui sont les nôtres, à la sécurisation de nos intérêts ultramarins, mais également des routes maritimes ? Au moment où le président de la République achève sa visite en Inde, nous devons également nous demander si nous n'avons pas des partenaires, y compris en dehors du continent européen, qui seraient intéressés par le développement en commun d'un modèle de porte-aéronefs, qui permettrait de réduire les coûts en les mutualisant.

J'en viens maintenant aux dispositions relatives à la recherche, au développement et à l'innovation – un secteur en progrès, mais qui reste un parent pauvre de la LPM. Si nous soutenons l'effort consenti, nous estimons que, compte tenu du montant du budget que notre pays alloue à la défense par rapport à celui d'autres États – par exemple celui des États-Unis, près de dix fois plus élevé, ou celui de la Chine, près de quatre fois supérieur –, il conviendrait de réfléchir à une stratégie différente, celle de la mutualisation avec nos partenaires européennes.

Il s'agirait de réduire la diversification de notre recherche et de nous concentrer sur les seuls domaines où nous sommes en mesure d'être les plus efficaces et les plus compétitifs. Dans les autres domaines où nous ne possédons pas les ressources suffisantes, nous devrions privilégier la coopération avec les autres pays européens qui disposent, eux aussi, de leurs avantages compétitifs. Une telle mutualisation européenne des savoirs, des études et des productions serait d'autant plus opportune pour les espaces exo-atmosphérique et numérique, qui seront certainement les principaux théâtres d'opération de demain.

Nous souscrivons, là aussi, à l'ambition du Gouvernement quant à notre autonomie stratégique qui doit nécessairement passer par la consolidation d'une défense en Europe. Cela implique que nous ayons l'ambition de construire une industrie de défense européenne permettant à la fois la mutualisation et l'indépendance face à des puissances qui, pour être nos alliés – je pense notamment aux États-Unis –, n'en sont pas moins incertaines quant à leur évolution politique ou leurs relations avec notre continent.

Vous l'aurez compris, au-delà de nos interrogations et des propositions que nous présenterons lors de l'examen à la fois de ce projet de loi de programmation militaire et de la révision que vous avez promise, Madame la ministre, en 2021 – laquelle est un gage de transparence vis-à-vis de nos armées comme de nos concitoyens –, le groupe UDI, Agir et Indépendants soutiendra ce projet de loi de programmation militaire de façon exigeante. C'est un effort inédit que nous aurions tous voulu encore plus important – vous-même aussi, j'en suis sûr. Puisqu'il s'agit d'un pourcentage du PIB, nous espérons d'ailleurs qu'il pourra ainsi augmenter à la faveur d'une augmentation du PIB de notre pays. La remise à niveau pourrait aussi être accélérée si, par extraordinaire, le coût des opérations extérieures baissait.

Je terminerai sur la sincérité budgétaire. Même seulement progressive, la sortie de l'hypocrisie entretenue au sujet des opérations extérieures nous paraît en effet être un gage de sérieux. On ne financera plus les équipements des armées françaises au gré de nos engagements à l'extérieur – ou de leur absence. Il est tout de même plus facile, pour les généraux que nous entendons régulièrement ici, de savoir à quel rythme ils vont pouvoir consommer les crédits qui leur sont alloués, sans dépendre des opérations décidées par le pouvoir politique.

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