Intervention de Général François Lecointre

Réunion du mercredi 21 février 2018 à 18h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées :

Beaucoup de choses sont faites au sujet du soutien moral. Des organisations de plus en plus performantes sont en place pour la gestion des blessés et des familles. Leur bon fonctionnement dépend des moyens de réponse qu'elles ont à apporter aux gens qui souffrent et leur efficacité est liée à l'implantation des cellules de soutien au plus près des régiments, des bases aériennes et des familles, avec la préoccupation d'éviter un traitement purement technocratique. Ce souci est partagé à tous les niveaux de la chaîne de commandement. La gestion des problèmes dans la durée représente toutefois la difficulté majeure, comme je l'évoquais récemment avec M. Mingasson, un journaliste qui s'intéresse au stress post-traumatique. La blessure post-traumatique apparaît souvent de nombreuses années après le facteur déclencheur alors que les soldats contractuels, qui sont les plus exposés à ce risque, sont revenus à la vie civile, ont déménagé et sont donc difficiles à suivre. Par ailleurs, le rassemblement solidaire d'anciens soldats au sein d'associations d'anciens combattants, comme ce fut le cas après les deux conflits mondiaux ou après la guerre d'Algérie, se fait beaucoup plus rarement aujourd'hui, sauf peut-être dans les villes de garnison, et sous une forme différente. Cette tâche incombe donc à présent aux armées qui doivent s'organiser pour l'assumer dans la durée. Toute la chaîne hiérarchique est mobilisée pour le soutien des blessés et des familles.

M. Rouillard m'a posé des questions piège car la situation au Levant se dégrade à grande vitesse. Ces questions sont abordées en conseil de défense et donc couvertes par le secret de la défense. Je ne peux donc les évoquer ici directement. Mais, comme vous le savez, qu'il s'agisse de l'intervention turque dans le canton d'Afrine ; de la difficulté pour les Américains de tenir les fléaux de la balance à peu près équilibrés entre notre allié otanien turc et les Kurdes que nous avons appuyés dans la lutte contre Daech et qui revendiquent une forme d'autonomie et une participation à la recomposition politique de la Syrie ; des forces pro-régime et des Russes ; de la situation de nos soldats de la FINUL dans le sud Liban, on assiste à une dégradation et une régionalisation du conflit. Cela nous inquiète et nous procéderons aux adaptations nécessaires. Mais il convient de ne pas perdre de vue la priorité majeure qui demeure la destruction de Daech. Daech est encore présent dans le sud de la moyenne vallée de l'Euphrate, à la frontière irako-syrienne, dans une poche près d'Abou Kamal autour de la ville Al Qa'im, ainsi qu'au nord de ce périmètre, dans la poche de Daschischa. Il faut éliminer le plus rapidement possible ces deux poches. Or actuellement l'action de la Turquie à Afrin détourne les Kurdes de notre priorité commune.

Le sort de la base H5 est dépendant de la nécessité que nous aurons de la conserver pour poursuivre, dans le meilleur rapport coûtefficacité, l'appui de la coalition et des Kurdes pour la réduction de ces deux poches de Daech.

Les effectifs ne sont bien sûr jamais suffisants, M. Ferrara, mais nous ferons avec ce que nous avons !

J'attends de la DMAé un renforcement de la maîtrise d'ouvrage déléguée. Le rattachement direct au CEMA est un symbole fort, même si je rappelle à ce propos que le CEMAA assurait la direction du MCO aéronautique par délégation du CEMA. Le changement d'autorité de tutelle change donc peu de choses au plan pratique. Nous travaillons à la bonne coordination, avec le plein soutien de la DGA, des exigences en matière de politique de soutien exprimées par les chefs d'état-major d'armée.

Le sujet de la coopération européenne est un sujet très complexe auquel il est difficile de répondre rapidement. Nous débutons seulement la coopération avec l'Allemagne pour le système de combat aérien futur. Il s'agira effectivement d'un système de systèmes et de plateformes connectées, avions chasseurs classiques, drones, missiles, reposant sur une capacité de transmission de données accrue. La recherche en est à ses balbutiements. Le président de la République nous a demandé de lui présenter les premières grandes orientations de la réflexion sur le projet au printemps. La coopération avec notre allié allemand viendra dans un deuxième temps et je pense que la porte sera ouverte à d'autres acteurs, car la France et l'Allemagne y ont toutes deux intérêt. Par ailleurs le programme de drone de combat FCAS-DP que nous menons en coopération avec les Britanniques rencontre des difficultés liées à l'affaiblissement de la livre et à la réduction des dépenses militaires du Royaume-Uni. Le DGA travaille au maintien de cette coopération et il conviendra de réfléchir aux modalités d'une intégration du Royaume-Uni dans la coopération à venir avec l'Allemagne.

Vous savez certainement, M. Viala, que la 13e DBLE a été créée sur le plateau du Larzac. Étant moi-même de la promotion Général Monclar, qui fut le premier chef de corps de la 13e DBLE, j'ai appris que c'est sur le plateau du Larzac que le colonel Monclar, dont le véritable nom était Magrin-Vernerey, a su que ses troupes seraient engagées non pas en Afrique mais à Narvik pour la première victoire, et la dernière avant longtemps, des forces françaises dans cette terrible guerre.

La 13e DBLE a donc été recréée sur le plateau du Larzac et d'importants efforts d'investissement sont consentis. De mémoire, il avait été prévu un coût de 140 à 150 millions d'euros pour les installations, un budget qui a sans doute augmenté. Le projet ira à son terme et la population semble très satisfaite de l'arrivée de cette magnifique formation militaire, qui fut la première à rentrer entièrement dans les rangs de la France libre, et compte de ce fait au nombre des Compagnons de la libération.

La gestion de l'encadrement au regard de l'augmentation des effectifs est une très bonne question. Au-delà de l'encadrement, nous rencontrons des difficultés dans la gestion des compétences rares et complexes, que nous tâchons de gérer avec le maximum de finesse. Si l'on considère les équipements à venir, il faut, par exemple, des années pour former un atomicien dans la marine nationale ou encore des équipes à même d'exploiter les données transmises par les satellites MUSIS ou CERES. Nous devons donc anticiper, ce que permettra le recrutement de 6 000 hommes sur la durée de la LPM. Il s'agit toutefois d'être attractif dans un contexte de forte concurrence du secteur civil. Il faut rester vigilant quant à la nouvelle politique de rémunération des militaires qui devra permettre par exemple de fidéliser les informaticiens de haut niveau dont nous avons besoin pour la cyberdéfense, les atomiciens et tous les spécialistes fortement tentés par les niveaux de rémunération attractifs du civil.

Nous réfléchissons évidemment au vaste programme qu'est le SNU. Le général Ménaouine a été désigné par le président de la République pour diriger une commission d'experts qui rendra son avis le 30 mars. J'ai des contacts réguliers avec le général, un très bon camarade au demeurant. Il n'y aura, comme vient de le rappeler le président Bridey, aucune porosité entre les crédits de la LPM et ceux du SNU. J'adhère aux objectifs fixés par le président de la République : instaurer un brassage social, intégrer et, en quelque sorte, pardon Mesdames, viriliser notre société qui doit être plus instruite des problématiques de défense.

L'étrange défaite est un beau livre dans lequel Marc Bloch met en exergue la défaite par résignation et par abandon de toute une société, et pas seulement de l'armée française. Sommes-nous dans la même situation aujourd'hui que la génération de 14-18 qui, épuisée, s'est résignée à la défaite en 39 ou bien un sursaut intervient-il à temps ? Voilà la vraie question. Je pense que nous avons pris conscience suffisamment tôt du danger et des difficultés à venir. Au moment où nous avons baissé la garde, je pensais, et j'écrivais, que l'irénisme ambiant était une folie. À l'époque où je rentrais du Rwanda, de Sarajevo, où nous avions des pertes dans nos rangs, où nous étions confrontés à la violence du monde sur les théâtres d'opérations extérieures, nous nous trouvions à notre retour en France face à de gentils « bisounours » qui nous expliquaient qu'il n'y aurait plus de guerre parce que l'homme était devenu définitivement bon. Je pensais déjà à l'époque qu'il était urgent de faire prendre conscience à la classe politique que le monde était dangereux, qu'il en serait toujours ainsi car l'homme ne naît pas bon. Je suis toujours du même avis. Je pense que la prise de conscience intervenue en 2015 est réelle aujourd'hui, que nous serons au rendez-vous et que l'ambition fixée à 2030 nous permettra d'être un acteur crédible sur la scène internationale avec des armées bien équipées.

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