Intervention de Général François Lecointre

Réunion du mercredi 21 février 2018 à 18h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées :

Monsieur de la Verpillière, oui, je critique très clairement l'embasement. Je vous renvoie à ce sujet à un article intitulé De la fin de la guerre à la fin de l'armée que j'ai publié en 2012 dans la revue Inflexions, que j'ai contribué à créer en 2004. Je ne peux d'ailleurs que vous encourager à vous abonner à cette revue ou à vous procurer un ouvrage intitulé Le soldat, qui reprend de nombreux articles de cette revue. (Sourires) Dans cet article, je définissais très précisément comment, parce que nous avons perdu l'ennemi immédiat qui menaçait la France dans ce qui nous semblait le plus vital, nous étions passés d'une armée à un outil militaire. Or, il s'agit là de deux choses très différentes. C'est par souci de rentabilité et de rationalisation que nous avons progressivement détruit ce qui était l'un des outils constitutifs de l'efficacité militaire : sa capacité à l'autonomie. Celle-ci passait par l'existence de niveaux de synthèse qui avaient la totalité des fonctions entre leurs mains. L'embasement, imaginé pour répondre à des contraintes budgétaires, a très clairement cassé cette autonomie. Il a objectivement induit un fonctionnement en tuyau d'orgue du ministère, et il faut que nous corrigions ses excès et apprenions à redonner autant que possible aux chefs de terrain la capacité à prendre des décisions et à les assumer devant leurs hommes. Voilà pourquoi je pense qu'aujourd'hui, il faut profiter de l'opportunité qui nous est donnée de corriger ces effets.

Concernant les infrastructures d'entraînement, je dirais que les défis sont de deux ordres. Premièrement, il nous faut mettre aux normes et entretenir les grands terrains de manoeuvre. Comme vous le savez, les armées ont rationalisé leurs espaces et leurs grands camps nationaux. Nous devons également conduire les opérations d'entretien des camps de proximité, avec les régiments, pour permettre aux militaires de réaliser des entraînements et des préparations opérationnelles très centralisées mais aussi à proximité des garnisons. Deuxièmement, une partie importante de la préparation opérationnelle passera à l'avenir, je l'ai dit, par des activités de simulation de très haute qualité, pour lesquelles nous devons construire des infrastructures importantes. Je pense que, demain, les grands chantiers d'infrastructure d'entraînement seront centrés autour de ces deux axes. Si j'ai évoqué tout à l'heure les infrastructures liées à l'arrivée de nouveaux programmes, elles ne sont pas directement liées à la préparation opérationnelle.

Monsieur Lejeune m'a posé une question que je trouve assez amusante, d'autant plus que, mon père ayant commandé un SNLE, je suis très sensible à la question… Comme l'indiquait le président, posez la question à M. Guillou ; cela devrait le faire rire. Je me suis récemment entretenu avec lui et il m'a expliqué la difficulté, pour lui, de préserver les compétences. À mes yeux, le maintien des compétences est un élément essentiel pour notre BITD. Et un équipement aussi extraordinaire qu'un sous-marin nucléaire, lanceur d'engin qui plus est, nécessite des compétences que la France est sans doute le seul État membre de l'Union européenne à avoir conservées. Il me semble difficile d'imaginer partager les SNLE avec les Britanniques dans la mesure où leur dissuasion nucléaire est dépendante des États-Unis.

Au plan opérationnel, il est indispensable de garder quatre SNLE pour conserver une permanence à la mer. Dans ces conditions, les contraintes industrielles et les exigences de préservation des savoir-faire ont conduit à aligner de manière très précise le cadencement de commande et de production des sous-marins Barracuda d'une part et, d'autre part, la rénovation des SNLE actuels et la production du SNLE de troisième génération. Au risque de me répéter, imaginez la somme de compétences qu'il faut maîtriser, dans le domaine des missiles, de la discrétion acoustique, de la propulsion nucléaire pour faire des choses aussi extraordinaires qu'un pas de tir capable de lancer x fusées sous la mer, le tout propulsé par un coeur nucléaire qui est une centrale à lui seul ! C'est vraiment d'une complexité inouïe et j'espère que vous serez amené à visiter un sous-marin nucléaire. Dès lors, vous comprendrez que, pour moi, le scénario que vous évoquez est une vue de l'esprit.

Monsieur de Ganay, vous avez poursuivi avec les questions disruptives de la fin de séance ! Je pense objectivement que tout ce qui peut être mutualisé le sera, et de plus en plus. Typiquement le MCO aéronautique est une mutualisation, et l'existence d'une maîtrise d'ouvrage déléguée est une vraie mutualisation. Nous attendons énormément d'avancées de cette évolution. De plus, j'ai indiqué que nous souhaitons mettre en place une gouvernance qui permettra de respecter le rôle de maître d'ouvrage de chaque chef d'état-major. Nous sommes donc parvenus à mutualiser de nombreuses choses et nous continuerons de le faire, sans perdre la spécificité de chaque milieu. C'est un point essentiel. À titre d'exemple, la mission d'un pilote d'hélicoptère de l'aviation légère de l'armée de terre (ALAT), qui fait du combat près du sol et mène une véritable manoeuvre tactique comparable à ce que ferait un escadron de char ou une compagnie d'infanterie, ne peut être comparée à celle d'un pilote de chasse qui participera à un raid aérien. Ce sont deux métiers complètement différents, ce qui justifie que chaque armée préserve ses savoir-faire, sa culture d'armée et ses propres procédés. J'observe d'ailleurs qu'il en est ainsi dans toutes les armées du monde.

Enfin, M. Fiévet a soulevé une vraie question sur la connectivité de Scorpion et le temps nécessaire à la pleine maîtrise de ce système d'arme. Je vous remercie, Monsieur Fiévet, de l'avoir posée. Ce n'est pas pour rien qu'on a professionnalisé les armées : la supériorité opérationnelle passe par le développement de systèmes d'armes de plus en plus perfectionnés, ce qui requiert donc des soldats recrutés à des niveaux de plus en plus élevés. J'ai indiqué tout à l'heure combien il était difficile et long de former des spécialistes, et combien il était essentiel de conserver ces soldats le plus longtemps possible pour rentabiliser le temps de formation. Comme vous l'avez dit, l'enjeu est bien de disposer d'une unité complète opérationnelle puisqu'il s'agit de connecter plusieurs plates-formes. Dans ce contexte, la préparation opérationnelle reposera de plus en plus sur la simulation, dont l'architecture est pensée dès le lancement d'un programme d'ailleurs, afin de former le personnel plus rapidement et de manière moins coûteuse.

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