Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du mardi 20 mars 2018 à 21h30
Programmation militaire pour les années 2019 à 2025 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Les jeux d'alliance évoluent au gré des événements, avec les faiseurs de roi que sont la Turquie, la Russie et les États-Unis.

En Afrique, la France est très impliquée pour limiter le terrorisme. Après avoir participé à faire de l'État libyen un enfer, l'armée française tente aujourd'hui, tant bien que mal, de sauver les meubles au Sahel.

Les provocations des puissances marquent un retour à la politique internationale de la puissance brute, du hard power, qui repose sur les muscles. Les exercices conjoints de l'OTAN aux frontières de la Russie ou les déplacements d'avions russes dans l'espace aérien de l'Union européenne sont, par exemple, autant de facteurs de tension. Ces guerres et ces pressions sont nombreuses. Ce sont elles, madame la ministre, qui, selon vous, justifieraient – avec, ajouterais-je, des accents d'épopée napoléonienne – , le réarmement de la France, l'augmentation du budget de l'armée française et de notre dissuasion nucléaire.

C'est dans ce contexte international tendu que fleurit la doctrine de M. Trump. L'OTAN, nous dit-il, doit se renforcer, et pour se renforcer, il faut avoir un budget de la défense à hauteur de 2 % du PIB. Peu importe que ce chiffre ait été trouvé entre la poire et le fromage ; peu importe qu'il ne corresponde à rien de sérieux ; peu importe que le budget de la défense ne soit pas comptabilisé partout de la même manière ; peu importe… il faut s'accrocher à cette étoile ! Et le président Macron, dans son obsession d'impressionner ses homologues, s'est empressé d'être le bon élève de M. Trump. Le maître des horloges a décidé : les 2 %, ce sera en 2025.

Pourtant, ces 2 % ne sont là que pour faire fonctionner le complexe militaro-industriel. Nous savons en effet l'actuelle Maison Blanche sujette aux divers lobbys ; celui de l'armement est son premier de cordée. La volonté réaffirmée de M. Trump que les membres de l'OTAN hissent leur budget de la défense à 2 % du PIB n'est pas sans rappeler la très fameuse prédiction du président Eisenhower : « [… ] nous devons prendre garde à l'acquisition d'une influence illégitime, qu'elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. Le risque d'un développement désastreux d'un pouvoir usurpé existe et persistera. »

Nous ne sommes pas si loin de ce qu'écrivait Henri Barbusse dans Paroles d'un combattant : « [… ] nous savons [… ] que la guerre est un moyen employé par une caste internationale, avide et féroce, pour voler de la richesse et de la gloire par les mânes innombrables des pauvres et des sacrifiés. Nous savons que, tant que cette même caste conduira ses propres affaires à travers la chair humaine, les guerres sortiront les unes des autres, jusqu'à la ruine totale, jusqu'au charnier, jusqu'au silence. »

Au-delà de la volonté de favoriser les industries de défense, en quoi ce chiffre de 2 % correspond-il aux véritables besoins de l'armée française ? En effet, sans véritable audit sur les besoins de l'armée, sans concertation approfondie sur les besoins concrets des militaires, de leurs familles et des états-majors, cette loi de programmation risque de ne reposer que sur du sable. Il ne suffit pas de communiquer sur une loi « à hauteur d'homme », ou bien sur le « renouvellement des capacités opérationnelles » pour que cette LPM atteigne sa cible. Si les besoins sont réels au sein de l'armée, si les capacités opérationnelles doivent impérativement être renouvelées, encore faut-il se demander quels sont les choix qui ont conduit à la situation actuelle. Il est vrai, madame la ministre, que vous vous êtes livrée à cette analyse, cet après-midi, dans votre réponse à certaines interventions.

Pour écarter toute interprétation erronée de mes propos, je rappelle que nous demandons que tous les fonctionnaires disposent des meilleures conditions de travail. Aussi attendons-nous avec impatience l'augmentation substantielle des dépenses de matériel et de personnel pour les militaires, avec la même exigence que pour la santé, l'éducation ou la justice. Mais pourquoi augmenter le recrutement de soldats alors que le contexte international penche actuellement du côté du désengagement des troupes dans la lutte contre Daech, et du côté du désengagement au Mali au profit de l'armée du G5 Sahel ? Pourquoi ne pas nourrir une ambition plus mesurée en termes de projection en OPEX, pour que l'augmentation du budget du ministère des armées gagne en efficacité ? Et pourquoi ne pas limiter les investissements totalement inconsidérés en faveur de la dissuasion pour mieux maîtriser l'augmentation du budget de la défense ?

Dans le cadre de la contrainte budgétaire extrêmement forte que l'on nous impose, alors que les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, les missiles M51 et ASMPA ou encore les Rafale F3 sont au début de leur vie, pourquoi investir autant ? Quel est l'intérêt de développer de nouveaux missiles nucléaires ayant une meilleure portée et une meilleure précision ? Ne pourrions-nous pas investir plutôt ces montants faramineux dans le remplacement plus rapide de matériels, dont certains sont utilisés depuis plus de trente, voire quarante ans, comme des Alouette III ou des sous-marins d'attaque ? N'est-il pas plus urgent d'investir dans du matériel utilisé au quotidien plutôt que dans un missile qui n'aura jamais à être utilisé ?

La dissuasion nucléaire française n'a même pas été débattue en amont de la LPM. Nous l'avons appris lors des voeux du Président de la République aux armées : sur le nucléaire militaire, le débat a été tranché. Mais point de noeud gordien ! Il n'y avait rien à trancher, puisqu'il n'y a même pas eu de débat ! Par ailleurs, permettez-moi de dire ici combien je trouve scandaleux que le détail des investissements dans la dissuasion nucléaire française ne soit même pas connu des parlementaires. Quels sont ces investissements ? Quelle est la somme exacte, réelle, dédiée à la dissuasion nucléaire ?

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