Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du jeudi 22 mars 2018 à 9h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Présentation

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur – cher Sacha Houlié – , mesdames et messieurs les députés, c'est avec un très grand plaisir que je reviens aujourd'hui devant vous aujourd'hui, au terme du processus de ratification de l'ordonnance réformant le droit des contrats, de la preuve et le régime général des obligations.

Cette réforme, longtemps annoncée, sans cesse repoussée, est, aujourd'hui enfin, sur le point de trouver son terme législatif. C'est un succès, puisque la commission mixte paritaire est parvenue à un accord – ce dont évidemment je ne peux que me réjouir – et surtout parce que cet accord illustre parfaitement l'esprit constructif qui a animé chacune des assemblées parlementaires, et ce, à chaque étape de la discussion. En effet, et sans même attendre la commission mixte paritaire, chacune de ces assemblées a fait un pas vers l'autre. Il me faut dire que la qualité de ce travail parlementaire vous doit beaucoup, monsieur le rapporteur : je tiens à le souligner ici.

Le texte qui vous a été soumis est exceptionnel à plusieurs égards : parce qu'il est d'une ampleur rare – plus de 300 articles – mais aussi parce qu'il est d'une technicité toute particulière.

Il réglemente en effet les relations économiques les plus simples, celles du quotidien, mais également les opérations les plus complexes. En cela, il concerne tout un chacun : les citoyens dans leurs actes usuels mais également les entreprises, qu'elles soient petites, moyennes, grandes ou qu'il s'agisse de multinationales.

Entrée en vigueur le 1er octobre 2016, l'ordonnance du 10 février 2016 constitue désormais le droit positif applicable aux contrats conclus depuis cette date. La ratification vise à donner à cet ensemble force de loi : elle est donc, de ce point de vue, tout à fait essentielle, tant juridiquement que symboliquement.

Cet exercice de ratification est aussi, à l'évidence, un travail délicat. Il était en effet indispensable que le Parlement porte un regard exigeant sur l'ordonnance et légitime qu'il propose d'en modifier les termes lorsque cela lui semblait nécessaire. Parallèlement, il fallait aussi prendre en considération le fait que ce nouveau droit des contrats était déjà entré en vigueur et qu'il avait par conséquent déjà demandé aux praticiens un important travail d'adaptation.

À cet égard, les hommes de l'art ont été rapidement rassurés par l'esprit de responsabilité sous l'empire duquel ces débats ont été conduits. En effet – et soyez-en à nouveau remercié – , vous avez eu à coeur, monsieur le rapporteur, comme le rapporteur du Sénat avant vous, de vous concentrer sur les modifications strictement nécessaires.

Ce ne sont donc finalement que 20 articles sur les 300 que compte l'ordonnance qui ont été modifiés à l'issue de débats particulièrement riches et, je dois dire, très denses, tant techniquement que politiquement.

Votre assemblée a par ailleurs opportunément introduit des dispositions précisant l'application dans le temps des nouveaux textes modifiés. Ces dispositions transitoires précises permettront de limiter, pour les modifications de nature interprétative, la succession dans le temps des droits applicables. L'application dans le temps des textes modifiés n'en sera ainsi que simplifiée.

Les évolutions introduites dans le texte n'avaient, pour la grande majorité d'entre elles, qu'un seul objectif : préciser la loi pour renforcer la sécurité juridique. C'est ainsi, notamment, qu'au-delà de la correction des malfaçons, les deux lectures ont permis aux deux assemblées de converger sur de très nombreux points. Pour n'en citer que certains, j'évoquerai la définition du contrat d'adhésion, à laquelle votre rapporteur a largement contribué, et qui est désormais clarifiée. Le sort des sûretés en cas de cession de contrat ou de dette a lui aussi été précisé tandis que le mécanisme de la réduction du prix a été rendu plus lisible.

Sur d'autres points, les modifications apportées ont permis de compléter utilement le texte de l'ordonnance. Ainsi en est-il, par exemple, de la disposition relative à la réticence dolosive. Elle a été mise en cohérence avec la solution retenue en matière de devoir général d'information, de sorte que l'estimation de la valeur de la prestation est désormais exclue du champ de la réticence dolosive, afin d'inscrire dans la loi la jurisprudence Baldus.

Les points les plus débattus furent, sans surprise, liés à deux des innovations majeures de l'ordonnance : la prohibition des clauses abusives et la révision pour imprévision.

Le texte qui vous est aujourd'hui soumis définit clairement le champ de la prohibition des clauses abusives. C'est important. Un débat a en effet eu lieu sur l'étendue de ce champ qui, aux termes de vos travaux, recouvre les clauses non négociables au sein des contrats d'adhésion. Cette modification, dont l'impact sera en pratique limité – je le souligne – , a le mérite de la cohérence avec les critères dégagés au cours de la navette pour définir contrat d'adhésion : l'atteinte portée à la force obligatoire du contrat est précisément justifiée par la soustraction à la négociation des clauses en question. Cette modification ne remet pas en cause le caractère protecteur de cette disposition, à laquelle le Gouvernement est, tout comme vous, monsieur le rapporteur, très attaché.

L'autre débat, qui a encore davantage cristallisé les oppositions – comme vous le rappeliez, monsieur Houlié – est celui relatif aux pouvoirs du juge en matière de révision pour imprévision.

Le principe même de la révision pour imprévision n'a pas été remis en cause, démontrant ainsi le consensus existant sur l'utilité de cette innovation majeure de l'ordonnance pour prendre en compte et adapter notre droit des contrats aux bouleversements économiques qui peuvent affecter leur exécution.

Le seul point de désaccord résidait dans la faculté pour le juge de réviser le contrat à la demande d'une seule des parties. Le Gouvernement en était persuadé : il était nécessaire de prévoir cette option sans laquelle l'efficacité du dispositif risquait de se voir, en cas de mauvaise foi de l'un des contractants, absolument compromise.

Convaincu de cette nécessité, vous l'étiez vous aussi, monsieur le rapporteur, et vous avez patiemment, à chaque lecture, soutenu ce dispositif avec conviction et pédagogie, et cela jusque devant la commission mixte paritaire. Cette disposition restera, c'est certain, critiquée par certains commentateurs, mais je suis persuadée que les débats parlementaires auront permis de souligner le caractère supplétif de la disposition et, surtout, d'en démontrer l'utilité, la rupture du contrat n'étant pas toujours la solution économiquement la plus adaptée.

Ainsi, au-delà de la confrontation des points de vue, nécessaire s'agissant de dispositions aussi importantes, les objectifs assignés par le Gouvernement à cette réforme sont pleinement atteints à l'issue des débats ; il s'agissait de redonner au droit des obligations l'intelligibilité et l'accessibilité qu'il requiert, de le rendre plus efficace, donc plus attractif, tout en renforçant – et cela n'est pas contradictoire – la justice contractuelle.

Le dialogue des chambres aura permis d'aboutir à un texte cohérent, équilibré et amélioré, ce dont je vous remercie très sincèrement, au nom du Gouvernement. Je forme le voeu que le même esprit de compromis et de responsabilité nous permette, le moment venu, de poursuivre ensemble la modernisation du droit des obligations par la nécessaire refondation du droit de la responsabilité civile.

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