Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du mercredi 22 novembre 2017 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, nous avons d'ores et déjà évoqué le plan d'action gouvernemental sur le CETA avec certains d'entre vous dans le cadre des comités de politique commerciale, mais il est important que nous rendions compte très régulièrement à votre commission de l'avancée des discussions.

La transparence, dont vous avez rappelé la nécessité, madame la présidente, est un mot-clé que nous avons tous en tête. Nous serons en effet tous d'accord pour considérer que les méthodes attachées à la politique commerciale à l'ancienne doivent évoluer. De fait, les États membres eux-mêmes avaient parfois du mal à obtenir des instances européennes toutes les informations qu'ils sollicitaient. Les débats suscités par le CETA sont ainsi l'occasion de poser de nouvelles bases dans ce domaine.

Lors de la campagne pour l'élection présidentielle, échéance démocratique majeure, le Président de la République s'est clairement engagé sur le volet européen, avec une philosophie d'ouverture. Nous ne sommes pas naïfs : ce soutien ne doit pas être synonyme de fuite en avant. Le plan d'action présenté fin octobre traduit notre volonté de mener une politique commerciale, certes ambitieuse, mais aussi équilibrée et exigeante. Nous avons en effet un double défi à relever : un défi externe, tout d'abord, puisque le système commercial international connaît des turbulences avec la remise en question de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) par les États-Unis ; un défi interne, ensuite, du fait de l'érosion, c'est le moins que l'on puisse dire, de la confiance de nos concitoyens.

Au plan externe, la France juge nécessaire de consolider le système multilatéral qu'est l'OMC. Nous voulons en effet un système commercial ouvert et fondé sur des règles. À cet égard, l'Europe doit imposer des standards qui tirent vers le haut les normes internationales, notamment en matière sociale et environnementale. Alors que les États-Unis prennent un virage isolationniste, l'Europe doit être à l'offensive pour construire des accords de nouvelle génération – ou plutôt de « nouvelle nouvelle génération », puisque le CETA appartenait déjà à une nouvelle génération d'accords, qui apparaissent aujourd'hui comme un peu insuffisants. Dans ce contexte, le Canada est un partenaire important et un allié précieux dans les enceintes internationales – G7, G20, OMC –, car il partage un certain nombre de nos valeurs. Cet accord comporte des avancées significatives en matière d'ouverture des marchés publics, de reconnaissance de nos indications géographiques et d'affirmation du droit à réguler, qui permettront à nos entreprises de se développer sur le marché canadien.

Mais un second défi pèse sur la politique commerciale : la perte de confiance des opinions publiques. Sans cette confiance, aucun agenda commercial ne pourra être porté dans le temps. Nous devons donc entendre les préoccupations qui se sont exprimées et qui sont liées à un certain nombre de préférences collectives. Il est légitime de protéger nos intérêts, de préserver l'équilibre de nos filières agricoles et d'exiger le respect de standards environnementaux et sanitaires élevés, non seulement pour les consommateurs, mais aussi pour les entreprises car des standards élevés ont forcément un impact sur les coûts de production et donc sur l'équité de la compétition internationale. Enfin, il est légitime d'exiger la transparence et une information accrue des parlements nationaux. Le Président de la République l'a dit, il ne faut pas se laisser entraîner dans une fuite en avant. Nous devons déterminer, pour l'ensemble des négociations à venir, ce à quoi l'Europe peut ou non consentir et ce qu'elle peut ou non obtenir.

En tout état de cause, négocier des accords de libre-échange est important et positif. Lors du dernier Conseil des ministres du commerce, qui s'est tenu la semaine dernière, la Commission nous a présenté un rapport sur le suivi de vingt-deux accords de ce type, qui se concentre plus particulièrement sur celui qui a été conclu avec la Corée. Or, il en ressort que, depuis l'entrée en vigueur de cet accord, en 2010, les exportations des biens de l'Union européenne vers ce pays ont augmenté de 60 %. Bien entendu, les exportations coréennes ont également augmenté, mais à un rythme moins soutenu, de sorte que nous sommes passés d'un déficit de 12 milliards d'euros à un excédent de 3 milliards. L'Union européenne, les États membres, les entreprises, les citoyens et les consommateurs peuvent donc tirer bénéfice de ce type d'accords.

Compte tenu de la sensibilité des sujets environnementaux dans l'opinion, le Président de la République s'était engagé à répondre aux inquiétudes suscitées par le CETA en apportant un éclairage scientifique objectif. Cet engagement a été tenu : le Premier ministre a installé une commission, présidée par Katheline Schubert, qui vous a présenté, il y a quelques semaines, les conclusions du rapport qu'elle a remis le 8 septembre dernier. Ces conclusions sont claires. Certes, le CETA comporte un certain nombre de points de vigilance et souffre de lacunes liées à un relatif manque d'ambition en matière climatique, mais il affirme un droit à réguler des États, de sorte qu'il ne mérite, en définitive, ni excès d'honneur ni indignité. Le Gouvernement a cependant souhaité élaborer, à la suite de ce rapport, un plan d'action qui a été discuté au cours de trois ou quatre séances de travail réunissant plusieurs parties prenantes, notamment des organisations non gouvernementales (ONG) et des fédérations professionnelles ou territoriales, plan d'action que Brune Poirson et moi-même avons l'honneur de vous présenter en détail.

Ce plan s'articule autour de trois axes.

Le premier est la mise en oeuvre exemplaire du CETA. Celui-ci est un accord vivant. Des comités et des commissions de suivi seront créés, et nous souhaitons une transparence à tous les étages – processus de nomination, agenda des commissions… – afin d'écarter tout risque de « capture du régulateur » et d'éviter que ces comités ne soient pris en otage par des intérêts divers et variés. Nous veillerons également au renforcement des moyens de contrôle au niveau communautaire afin de garantir la préservation et l'application des normes sanitaires et environnementales nationales et européennes. Il est en effet hors de question d'accepter sur le territoire européen des produits qui ne les respecteraient pas. Il s'agit par ailleurs d'encadrer le fonctionnement de la future cour bilatérale d'investissements. L'instance chargée de résoudre les conflits a en effet suscité, il y a quelques années, de nombreux débats. Les Européens souhaitent abandonner les modèles d'arbitrage traditionnels pour adopter ce qui pourrait être la préfiguration d'une cour permanente. À cet égard, la copie a évolué entre le début et la fin des négociations. Des outils juridiques tels que la déclaration interprétative conjointe de l'Union européenne et du Canada permettront ainsi de s'assurer que cette cour ne puisse pas être saisie abusivement par des investisseurs désireux de remettre en cause les réglementations environnementales.

Le deuxième axe du plan d'action consiste à développer une coopération multilatérale et bilatérale ambitieuse sur les enjeux climatiques. Nous travaillons d'ores et déjà à la construction d'un tel partenariat avec nos amis canadiens, dont j'ai perçu la volonté d'apporter des réponses concrètes aux questions que nous avons soulevées. Mais je laisserai Brune Poirson développer ce point, qui relève de la diplomatie climatique puisqu'il concerne les enjeux de réduction des émissions du transport maritime et aérien ou de tarification des émissions de carbone.

Enfin, le troisième axe consiste à avancer des propositions fortes pour améliorer la prise en compte, dans les accords commerciaux, des enjeux de développement durable. Nous souhaitons ainsi renforcer le caractère contraignant des dispositions relatives au développement durable. Cela supposerait, par exemple, de pouvoir imposer des mesures de rétorsion à l'autre partie d'un accord en cas de non-respect des dispositions environnementales ou sociales dans le cadre du mécanisme de règlement des différends. Au-delà, la France propose à l'Union européenne que l'adhésion à l'accord de Paris et sa mise en oeuvre effective soient une condition de la conclusion des futurs accords. Dès lors que les États-Unis, par exemple, sortent de l'accord de Paris, il n'est plus question de travailler avec eux à un accord de libre-échange, et si d'autres États devaient en sortir à l'avenir, les accords que nous aurions conclus avec eux seraient dénoncés.

Telle est la philosophie de ce plan d'action. Nous voulons bâtir un agenda commercial progressiste, avec un niveau d'exigence élevé en matière environnementale et sociale. Par ailleurs, nous entendons privilégier une approche globale : nous ne voulons pas d'un saucissonnage accord par accord, afin d'éviter de nous retrouver, pour chacun d'entre eux, au pied du mur et contraints d'endosser des positions dont nous pensons qu'elles pourraient être préjudiciables à certaines de nos filières – je pense en particulier à l'agriculture. Ainsi, avec les pays du Marché commun du Sud (MERCOSUR), la France a une position exigeante : oui, elle soutient la négociation – nous avons un certain nombre d'intérêts offensifs –, mais elle estime qu'il faut prendre le temps nécessaire pour parvenir à un accord équilibré. Ce n'est pas parce que nous devons nous retrouver à Buenos Aires au mois de décembre, dans le cadre de l'OMC, que nous devrons conclure à ce moment-là. Il faut attendre le bon moment, lorsque l'ensemble des parties considéreront que l'équilibre a été atteint. Nous sommes sensibles à un certain nombre de sujets, notamment la filière bovine, celle du sucre ou de l'éthanol. C'est une position que j'ai défendue le 10 novembre dernier, lors du Conseil « Commerce », et dont le Président de la République a pu s'ouvrir de façon officielle à Jean-Claude Juncker. De même, dans les négociations multilatérales, nous appelons à faire preuve d'une grande prudence sur tous les sujets agricoles car nous ne devons en aucun cas fragiliser l'Union européenne dans ce domaine.

En conclusion, de manière générale, le suivi des accords est important. L'Union européenne doit donc se doter des moyens de faire respecter la lettre et l'esprit des accords signés. Nous devons nous assurer qu'ils sont bien mis en oeuvre et que nos partenaires commerciaux tiennent leurs engagements. C'est pourquoi le Président de la République a proposé la création d'un procureur commercial européen. Certes, la Commission dispose de moyens mais il faut les renforcer et les rendre plus visibles et plus efficaces.

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