Intervention de Olivier Becht

Séance en hémicycle du mardi 27 mars 2018 à 15h00
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Becht :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, alors que notre Europe est désormais plongée dans une compétition mondiale où l'innovation constante et la qualité des produits constituent les clés, non seulement du succès des entreprises, mais aussi de leur survie, il appartient plus que jamais aux autorités publiques de donner à nos acteurs économiques les moyens de se battre sur un pied d'égalité.

Au cours des dernières décennies, nous avons renforcé notre arsenal juridique visant à protéger la propriété intellectuelle des brevets, alors que certains pays, situés à l'est du monde, avaient traduit, peut-être dans une compréhension imparfaite de l'anglais, le copyright par un right to copy. Toutefois, tous les savoir-faire ne sont pas protégés par les brevets, et ceux-ci ne peuvent pas, en tout état de cause, protéger les stratégies de l'entreprise. Or ces dernières deviennent, à travers les décisions d'innovation ou d'investissement, des éléments tout aussi importants, alors même que la vitesse de nos sociétés et du cycle des produits s'accélère considérablement. Il devenait donc impératif de protéger, au-delà de la seule propriété intellectuelle, le secret des affaires lui-même. C'est l'objet de cette proposition de loi, ou plutôt de la directive européenne du 8 juin 2016 que cette proposition de loi nous demande de transposer, et cela avant le 9 juin 2018.

Disons-le tout de suite, sur le fond, ce texte va dans le bon sens, puisqu'il vise bien la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites.

Sur la forme, nous pouvons cependant regretter, en tant que législateurs, l'examen en urgence, et sans l'éclairage d'une étude d'impact, de la transposition d'une directive de cette importance, et cela moins de deux mois avant le terme du délai légal, alors que la directive elle-même a été adoptée depuis près de deux ans.

En outre, comme l'a justement fait remarquer le Conseil d'État, la directive comporte de nombreuses dispositions précises et inconditionnelles qui rendent cette transposition très encadrée et ne laissent de facto que très peu de marges de manoeuvre pour légiférer. Certes, cela permet d'éviter le double écueil de la sous-transposition et de la sur-transposition, mais cette pratique, qui devient souvent une habitude des institutions européennes, est malsaine, car elle tend à transformer les directives en règlements communautaires, à rebours de l'esprit des traités européens, et même de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Si la forme ne gâche pas le fond, ces remarques méritaient d'être faites.

Sur le fond, le principal objectif de cette directive est de participer au bon fonctionnement du marché intérieur en garantissant un niveau suffisant et homogène de réparation dans l'Union européenne en cas d'obtention, d'utilisation et de divulgation illicites d'un secret des affaires. Il entend ainsi remédier à la fragmentation des législations nationales relevant de la protection juridique dans ce domaine. L'enjeu majeur de ce texte réside dans notre capacité à établir un juste équilibre entre, d'une part, la protection des secrets et la réparation des atteintes et, d'autre part, les dérogations nécessaires à cette protection pour garantir le respect des droits fondamentaux.

Cet enjeu ne fait que s'accroître puisque les entreprises investissent de plus en plus dans la recherche, le développement et l'innovation, afin d'en tirer des avantages comparatifs et de gagner en développement économique. En parallèle, elles sont de plus en plus confrontées à des pratiques illicites d'espionnage, d'utilisation et de divulgation de ces informations. Il convient, au sein d'une économie mondialisée, numérisée et ouverte, de doter nos entreprises du cadre normatif permettant une protection efficiente du secret des affaires. Cet objectif passe au préalable par un effort de définition, auquel répond cette directive européenne en précisant cette notion et en fixant les conditions dans lesquelles la protection est accordée et les cas dans lesquels il est possible d'y déroger.

Nous pouvons également saluer le fait que ce texte prévoie un aménagement des règles procédurales pour préserver le secret des affaires au cours d'un examen judiciaire tout en incluant des mesures pouvant être arrêtées par des juridictions dans le cadre d'une action engageant la prévention ou la réparation d'une atteinte au caractère confidentiel d'une affaire.

Il convient également d'examiner ce texte à la lumière des nombreuses tentatives qui, par le passé, ont tenté d'introduire dans notre ordre juridique une définition éclairée de la notion de secret d'affaires. Force est de constater que ces tentatives ont toutes échoué devant la sensibilité du sujet et le difficile arbitrage entre protection et principes dérogatoires. Il nous faut donc saluer le travail accompli sur ce texte, d'autant que d'autres pays, en premier lieu les États-Unis d'Amérique, font d'ores et déjà bénéficier leurs entreprises d'un cadre normatif protecteur de leurs savoir-faire et informations, qui concourt à leur développement.

Toutefois, si le secret des affaires doit protéger l'entreprise, il ne doit pas le faire au détriment du consommateur, et encore moins de la société. S'il est légitime que les secrets d'une firme soient protégés pour maintenir sa compétitivité, il n'est pas tolérable que la même firme puisse s'abriter derrière le secret pour couvrir ses turpitudes.

La course à la compétitivité ne saurait tout excuser, notamment les malfaçons sur les produits, voire la fraude sur les qualités attendues de la marchandise, comme par exemple les logiciels truqués utilisés par certaines firmes automobiles pour cacher le degré plus élevé de gaz à effet de serre produit par les moteurs de leurs véhicules. Dans certains cas, le secret mérite d'être percé et dévoilé au grand jour. C'est ce que permettent la définition du secret des affaires et le cadre juridique proposés, qui devraient ainsi empêcher les entreprises de dissimuler des malfaçons au titre des informations commerciales protégées.

Le texte prévoit également les dérogations nécessaires pour garantir le respect des droits fondamentaux nationaux, communautaires et internationaux, tels que ceux relatifs à la liberté de la presse, au droit d'information des salariés, aux lanceurs d'alertes et, plus généralement, tous ceux qui renvoient à des motifs d'intérêt général, n'en déplaise à nos amis de La France insoumise.

Contrairement au délateur, le lanceur d'alerte est animé par des intentions louables et désintéressées. Celui-ci risque généralement des pressions considérables et le sacrifice de toute une vie familiale, sociale et professionnelle pour dévoiler une menace à l'encontre de l'intérêt général. Il convient également de protéger le journalisme d'investigation qui rend à notre communauté un service précieux en levant le voile sur les dérives de certaines structures.

En France, le droit d'alerte est d'ailleurs entendu comme une extension de la liberté d'expression et relève historiquement du droit du travail. La loi Sapin 2 a encadré la définition du lanceur d'alerte et en a considérablement élargi le champ d'application. Cette proposition de loi s'inscrit donc dans une continuité.

Dans leur combat, ces héros de l'ombre doivent faire face aux fameuses procédures dilatoires et abusives, dites « procédures bâillons », dont le but tacite est d'entraver leur liberté d'expression et d'épuiser leurs ressources financières par des poursuites abusives et des demandes de dommages et intérêts disproportionnés. À ce titre, nous pouvons saluer le travail du rapporteur, qui a permis d'introduire en commission un dispositif innovant pour décourager, sous la forme d'une amende civile plafonnée, ces procédures abusives.

Il convient également de garder à l'esprit que, sans les lanceurs d'alerte, nous n'aurions certainement jamais entendu parler des scandales du sang contaminé, de l'amiante ou du Mediator.

Au fond, ce texte apporte des clarifications et des définitions nécessaires, mais ne doit pas être vu comme une fin en soi. Il faudra ensuite coordonner les mesures adoptées avec le droit existant, pour que l'arsenal législatif soit totalement lisible et protecteur, tant pour les entreprises que pour nos concitoyens.

En attendant, ce texte va dans le bon sens. Il aboutit à un équilibre permettant de protéger nos entreprises, sans nuire à nos consommateurs. Nous le voterons donc avec plaisir.

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