Intervention de Stéphane Peu

Séance en hémicycle du mardi 27 mars 2018 à 15h00
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Peu :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, la représentation nationale est aujourd'hui appelée à transposer la directive européenne « secret des affaires ». Sur le fond, il y a, bien sûr, beaucoup à dire – j'y viendrai plus tard – , mais la forme nous interpelle également.

Pourquoi transposer une directive européenne par le biais d'une proposition de loi, si ce n'est pour escamoter le débat et échapper à une embarrassante étude d'impact ? Pour que les choses soient claires pour nos concitoyens, les directives européennes sont traditionnellement transposées par le biais de projets de loi élaborés par le Gouvernement, assortis d'une évaluation préalable permettant aux élus du peuple de prendre position en toute connaissance de cause. Ces principes élémentaires du bon fonctionnement de notre institution ont été balayés d'un revers de main.

À cette dérobade s'ajoutent précipitation et impréparation manifestes. En optant pour la procédure accélérée, qui nous conduit à nous prononcer aujourd'hui sur un texte dont l'examen en commission s'est conclu il y a moins d'une semaine, la majorité a fait le choix d'aller vite et de légiférer presque en catimini, quitte à mettre de côté l'impérieuse nécessité d'un véritable débat de fond et à ce que les approximations et les incertitudes juridiques se multiplient. N'avons-nous pas eu droit, lors de l'examen en commission des lois, à plus d'une trentaine d'amendements du rapporteur modifiant sensiblement les équilibres de son propre texte ?

On a le sentiment que cela vous importe peu. L'important, pour vous, est de faire vite et fort. Telle est l'une des facettes de ce nouveau libéralisme autoritaire, qui considère la démocratie comme chronophage, quand il faut aller vite, toujours plus vite.

Il est vrai que les milieux d'affaires n'en peuvent plus d'attendre cette loi, qu'ils ont largement inspirée, et pour cause ! Cela a été dit et révélé par de nombreuses organisations non gouvernementales – ONG – , c'est un petit groupe de lobbyistes représentant les intérêts de multinationales telles Nestlé, Safran, Alstom ou General Electric, qui est parvenu à convaincre la Commission européenne de rédiger un projet de directive en faveur du secret des affaires. Ils l'ont même aidée en tenant la plume tout au long du processus.

Le résultat final est à la hauteur de leurs attentes : le niveau de protection de leurs affaires est considérable, si élevé qu'il limite la liberté d'expression, le droit à l'information du public et, en définitive, l'intérêt général. Les journalistes, les syndicalistes, les associations, les ONG, les lanceurs d'alerte ne s'y sont pas trompés, comme en témoigne la mobilisation exceptionnelle contre ce projet de directive : une pétition lancée par Élise Lucet a ainsi recueilli plusieurs centaines de milliers de signatures ; des vidéos dénonçant cette directive sont devenues virales ; des débats publics ont lieu ; des tribunes sont publiées ; des mobilisations citoyennes se sont tenues.

Mais les affaires sont les affaires, et cela n'a pas été suffisant pour faire reculer l'Europe. Cette directive a reçu l'aval de la grande coalition des libéraux ; les masques sont bel et bien tombés. Ainsi, souvent enclins à dénoncer aveuglément l'Europe, les élus du Front national sont également venus en renfort, s'affichant en alliés du système, des milieux d'affaires et financiers.

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