Intervention de Philippe Latombe

Séance en hémicycle du mardi 27 mars 2018 à 21h30
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Latombe :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, afin de disposer d'avantages concurrentiels, les entreprises investissent pour développer un savoir-faire et acquérir des informations utiles à leurs activités. Dans notre économie de la connaissance, une grande partie de la valeur d'une entreprise repose sur des biens immatériels.

Différents moyens permettent de protéger ces savoirs, notamment l'utilisation des droits de propriété intellectuelle ou le droit d'auteur. Il existe toutefois des savoir-faire et des informations qui ne peuvent bénéficier de ce type de protection, mais qui ont néanmoins une valeur et doivent rester confidentiels : ce sont les « secrets d'affaires ».

Partant du constat que ces derniers ne sont pas protégés de manière uniforme sur le territoire européen, la directive 2016943UE du 8 juin 2016 s'est attachée à établir un niveau suffisant, proportionné et comparable de réparation en cas d'appropriation illicite d'un secret d'affaires. Elle vise également à harmoniser la définition du secret des affaires, ainsi que les cas dans lesquels la protection du secret des affaires ne peut être opposée, afin notamment de garantir la liberté d'expression, et en particulier la liberté de la presse.

La proposition de loi que nous examinons vise à transposer cette directive ; cette transposition doit intervenir avant le 9 juin 2018.

Sur la forme, il faut remarquer que, pour des raisons d'agenda, la transposition de cette directive s'est faite par initiative parlementaire et non par le biais d'un projet de loi. C'est, à notre connaissance, inédit. Le groupe MODEM le regrette, car l'utilisation d'un tel véhicule restreint encore un peu plus la possibilité d'initiative parlementaire. De plus, le texte n'est de ce fait accompagné ni d'une étude d'impact ni d'un avis a priori du Conseil d'État.

Je reconnais bien volontiers que les torts sont partagés : le gouvernement précédent aurait eu tout loisir d'effectuer cette transposition, au lieu de la laisser à ses successeurs.

Par ailleurs, compte tenu de la sensibilité et de la complexité du sujet, le rapporteur Raphaël Gauvain a décidé de saisir le Conseil d'État pour avis sur ce texte. Il faut ici l'en remercier vivement, comme il faut remercier le Conseil d'État qui a bousculé son calendrier pour rendre un avis avant la réunion de la commission des lois, qui s'est tenue la semaine dernière.

Sur le fond, cette proposition de loi reprend la définition du secret des affaires donnée par la directive : est secrète l'information qui n'est pas « généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur [… ] traitant habituellement de cette catégorie d'information », dont la valeur commerciale – effective ou potentielle, point qui a suscité des discussions – est due à son caractère secret, et qui a « fait l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables ». Cette définition nous semble conforme à l'esprit de la directive. Nous souhaiterions toutefois qu'elle soit précisée ; j'y reviendrai.

La proposition de loi définit également les détenteurs licites du secret d'affaires, les modes illicites d'obtention, d'utilisation ou de divulgation d'un secret d'affaires, ainsi que les dérogations à la protection du secret d'affaires.

Il nous semble que les dérogations prévues par le texte que nous examinons aujourd'hui correspondent à celles dont la directive dresse la liste. Nous tenons ici à rassurer certains de nos concitoyens inquiets : le secret des affaires n'est pas opposable aux journalistes, aux lanceurs d'alerte ou aux salariés dans l'exercice de leur droit à l'information et à la consultation.

La proposition de loi prévoit par ailleurs les mesures qui peuvent être ordonnées par le juge pour prévenir, faire cesser ou réparer une atteinte au secret des affaires. Les juridictions civiles pourront prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une atteinte au secret des affaires. Elles pourront également ordonner que les produits résultant de l'atteinte au secret soient rappelés, modifiés, détruits, voire confisqués au profit de la partie lésée. Nous pensons que le choix de ne prévoir qu'un engagement de la responsabilité civile, et non pénale, de l'auteur d'une atteinte au secret des affaires est le bon.

Enfin, la proposition de loi permet aux juridictions de mettre en oeuvre, en cours d'instance, des mesures de protection du secret d'affaires, telles que les audiences à huis clos, un accès restreint aux documents ou une obligation de motivation aménagée.

Le Conseil d'État a considéré que, dans l'ensemble, cette proposition ne contenait pas de surtransposition, regrettant même que le législateur n'ait pas fait davantage usage des marges de manoeuvre offertes par la directive. Il a par ailleurs regretté que la transposition n'ait été accompagnée ni d'une coordination avec le droit positif ni d'une réflexion sur l'articulation avec les notions voisines. Nous tenons à ce titre à remercier le rapporteur d'avoir inséré dans le texte des adaptations au code de justice administrative et nous avons noté que certains des amendements qu'il défendra aujourd'hui permettront de répondre aux préconisations du Conseil d'État concernant la mise en cohérence des notions au sein du droit français.

Les travaux en commission ont été fructueux et ouverts. Certains de nos amendements, issus de l'avis du Conseil d'État, ont été repris par le rapporteur et adoptés.

Il reste à notre sens deux points à discuter dans cet hémicycle ce soir. D'une part, nous devrons reparler de l'inscription de la mention « confidentiel » sur les documents en entreprise, pour mieux spécifier ce qui relève explicitement du secret, à l'instar de ce qui se pratique avec les instances représentatives du personnel, les IRP, et les documents intégrés dans la base de données sociales.

D'autre part, il y aura, si cette proposition de loi est adoptée, une double définition des lanceurs d'alerte : celle de la directive et celle de la loi Sapin 2. Pour clarifier l'articulation entre les deux définitions et supprimer les mots « y compris », nous proposerons un amendement de compromis que nous souhaiterions vivement voir adopté ce soir.

Le groupe MODEM et apparentés, regrettant les modalités du dépôt de cette proposition, est favorable à ce texte, qui permettra de combler des lacunes dans la législation française, et d'harmoniser les règles au niveau européen, dans une démarche favorable à la compétitivité des entreprises. Cette harmonisation européenne est indispensable et nous nous félicitons de pouvoir en être partie prenante. Nous voterons donc avec enthousiasme cette proposition de loi.

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