Intervention de Naïma Moutchou

Séance en hémicycle du mardi 27 mars 2018 à 21h30
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNaïma Moutchou :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à la suite des affaires des Panama papers et de LuxLeaks, nos collègues eurodéputés ont massivement voté, le 8 juin 2016, la directive relative à la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites – directive dite « secret des affaires ».

Il s'agit de rattraper le retard que l'Union européenne accuse sur les États-Unis, le Japon ou la Chine en matière de protection des entreprises contre l'espionnage industriel.

La valeur ajoutée d'une entreprise tient à sa capacité à se montrer compétitive et à créer de la richesse. La France est un grand territoire d'entreprises innovantes. Pour rester dans la course de l'économie de marché, il faut nécessairement en protéger le savoir-faire.

Dans le contexte d'une économie mondialisée, nous savons que notre cadre juridique actuel n'est pas suffisant pour protéger efficacement les informations sensibles des entreprises. La propriété industrielle – avec le droit des marques et des brevets – et le droit d'auteur pour les logiciels d'entreprise n'offrent que des réponses imparfaites aux nouvelles exigences de protection. La transposition de la directive, dans le sens de cette protection, nécessite des modifications de niveau législatif avant le 9 juin 2018. C'est l'objet de la proposition de loi déposée par le groupe La République en marche.

Ce texte ne comporte que deux articles. Pourtant, les débats en commission ont été vifs, ce qui est normal, car il nous revient de concilier secret des affaires et liberté d'entreprendre, avec liberté d'expression et droit à l'information du public.

Sur le fond, l'article 1er pose la définition du secret des affaires en reprenant les trois critères prévus par l'article 2 de la directive : une information connue par un nombre restreint de personnes, ayant une valeur commerciale en raison de son caractère secret et qui fait l'objet de mesures particulières de protection.

Qu'il s'agisse d'une recette, d'un brevet, d'un secret de fabrication, d'une donnée économique stratégique ou d'un document interne, ces informations confidentielles peuvent effectivement s'avérer précieuses.

L'information peut avoir une valeur commerciale, par exemple, lorsqu'elle constitue, pour son détenteur, un élément de potentiel scientifique et technique, un intérêt économique ou financier, une position stratégique ou une capacité concurrentielle. Elle doit donc être protégée, car il y va de la stabilité, voire de la survie, de l'entreprise.

Mais ce secret peut parfois entrer en contradiction avec l'intérêt général. S'il est admis, dans une démocratie moderne, qu'une entreprise doit publier chaque année ses bilans, rendre compte à ses salariés des décisions qu'elle prend ou coopérer avec la justice, le droit d'informer doit pouvoir justifier de révéler certaines informations au grand public.

C'est cette tension entre deux objectifs parfois antagonistes qui a été au coeur de nos débats et qui le sera, sans nul doute, encore ce soir.

Voilà pourquoi nous avons prévu plusieurs exceptions à la protection du secret des affaires : pour les journalistes de manière à préserver l'exercice d'une liberté d'expression consacrée à laquelle nous sommes tous attachés ; pour les lanceurs d'alerte chaque fois qu'ils dénonceront une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale, dans le dessein de protéger l'intérêt général ; pour les salariés ou représentants du personnel lorsqu'ils ont connaissance d'informations relevant théoriquement du secret des affaires mais nécessaires à leur propre défense contre un employeur.

La combinaison de ces dispositions empêchera-t-elle, demain, de révéler de nouveaux scandales ? C'est une inquiétude légitime, mais la réponse est non ! Tous les scandales relevant du débat d'intérêt général, particulièrement lorsqu'ils concernent des entreprises ou des dirigeants politiques, continueront d'être légitimement dévoilés, et en toute légalité. Je pense aux affaires de fraude ou d'évasion fiscale, aux questions liées à l'ordre public, à la sécurité ou à la santé publique, mais aussi aux risques environnementaux : celui qui révélera les procédés polluants d'une entreprise ne pourra plus être poursuivi sur le fondement du secret des affaires.

Le rapporteur a également souhaité protéger plus efficacement les journalistes et les lanceurs d'alerte en adoptant un amendement qui crée un régime autonome d'amende civile, avec un plafond majoré, que les juges pourront prononcer dans les cas de procédure abusive – dites « procédures baillons » – ou de demande disproportionnée de dommages et intérêts.

Dans le même sens, l'amendement de Mme Karamanli adopté en commission des lois permettra de mieux couvrir le champ de protection de ceux que l'on veut protéger.

Enfin, certains écueils, comme la poursuite en diffamation de professeurs d'université pour avoir commenté des décisions de justice dans des revues spécialisées, pourront être évités.

Mes chers collègues, ce texte équilibré protégera à la fois les savoir-faire professionnels, le patrimoine immatériel des entreprises, et les libertés fondamentales, l'exercice du métier de journaliste et les activités des lanceurs d'alerte. Pour ces raisons, je vous invite à le voter.

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