Intervention de Christophe Lecourtier

Réunion du mercredi 14 mars 2018 à 16h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Christophe Lecourtier, directeur général de Business France :

Il est évident que dans une sorte de course à l'échalote, chaque pays essaie de copier les autres. C'est ainsi que le crédit impôt recherche, que nous avons été parmi les premiers à mettre en oeuvre, il y a plus de dix ans, a été repris par un très grand nombre de pays étrangers ; certains ont essayé de l'améliorer. Nous-mêmes passons une partie de notre temps à faire de la veille pour regarder les dispositifs fiscaux, réglementaires etc. dont disposent les autres pays, et faire remonter au Gouvernement le handicap comparatif que nous pourrions avoir par rapport à tel ou tel compétiteur.

Ma conviction est que nous ne sommes pas en concurrence avec les pays émergents comme l'Inde ou de la Chine – pour autant que ce soient des pays très ouverts aux investisseurs étrangers : de ce point de vue, la Chine fait plutôt désormais le chemin inverse. Après avoir considéré qu'elle avait besoin d'investissements étrangers pour asseoir sa base manufacturière, elle s'engage dans une politique consistant à créer des grands champions nationaux qui vont se substituer petit à petit aux grandes entreprises étrangères opérant en Chine, afin de ramener dans le pays la valeur ajoutée. C'est le fameux paradoxe de l'IPhone, qui était fabriqué en Chine, mais dont la valeur provenait, pour l'essentiel, des composants électroniques importés du Japon, de Taïwan ou de pays développés, et de la propriété intellectuelle. Il est clair que ce n'est plus par l'investissement étranger que la Chine entend se développer aujourd'hui. L'Inde est sans doute dans une posture un peu plus ouverte, mais elle est confrontée en même temps à des enjeux importants en termes de « Make in India », c'est-à-dire de contenu local. Même si ce n'est pas forcément contradictoire avec des investissements étrangers, on a bien vu, encore récemment, que sur certains sujets, les décisions d'investissement tardaient à se concrétiser. Voilà pourquoi l'Inde reste probablement une destination très attractive pour des grands groupes, qui sont nombreux à y avoir remporté de beaux succès dans la mesure où ils ont la capacité à s'inscrire dans le temps relativement long du processus de décision ; c'est sans doute un peu plus difficile pour la granulométrie des entreprises que, précisément, nous arrivons à faire venir en France.

Pour nous, les principaux concurrents en termes d'investissements étrangers se trouvent à l'intérieur de l'espace économique européen, de l'Union européenne dont fait encore partie la Grande-Bretagne, et a fortiori l'Allemagne. Il y a quelques années, l'Allemagne a dépassé la France, qui se trouve en deuxième position en termes d'attraction des investissements étrangers. Notre objectif est d'être capables, dans les prochaines années, de combler notre retard, voire de dépasser l'Allemagne et de devenir, si la Grande-Bretagne confirme sa décision de quitter l'Union, la première destination en Europe des investissements étrangers.

Vous vous êtes interrogé sur les éléments différenciants. Il y a des éléments objectifs, que j'ai rappelés ; mais comme vous l'avez remarqué à juste titre, nous ne sommes sans doute pas les seuls à les posséder. Il y a aussi des éléments un peu plus qualitatifs, qui nous peuvent nous paraître naturels, mais qui font tout de même la différence par rapport aux autres.

Je peux vous donner l'exemple suivant : nous avons réussi à faire venir une belle entreprise du Nigeria, pays qui est en train de devenir un des grands géants de la production audiovisuelle et, en l'espèce, des jeux vidéo. Cette entreprise nigériane, cotée, très solide, hésitait entre l'Allemagne, la France et un troisième pays. Elle a fini par choisir de s'établir à Annecy, essentiellement pour des raisons tenant à la qualité de vie et à l'image de cette région française. À bien des égards, nous nous servons de ces arguments dans le cadre de la compétition qui sévit par moments entre l'Allemagne, les Pays-Bas et nous-même dans le cadre du Brexit, pour faire la différence. Mais cela suppose, ce que l'on le fait très bien en région parisienne à partir du guichet « Choose Paris Région », de collaborateurs de la Région Ile de France, de la Ville, de la Métropole, de Business France et de la Chambre de commerce, un facteur déterminant : l'accompagnement personnel des cadres dirigeants, de leurs familles, de leurs enfants, etc. Or on s'en souciait peu, ou on le faisait mal. La région Ile-de-France a fait un gros effort dans ce domaine, en parfaite résonance avec le ministère de l'éducation nationale – pour accroître largement le nombre de classes bilingues ou de filières d'enseignement en anglais, par exemple. Mais ce qui se fait en région parisienne peut très bien se faire ailleurs. Maintenant que nous avons repris davantage confiance en nous, nous nous sommes aperçus que ces éléments pouvaient réellement faire la différence : offrir à l'époux ou à l'épouse du cadre un permis de travail, ou même l'aider à valoriser son expérience professionnelle et ses diplômes, cela compte ; et de ce point de vue, le potentiel de Paris peut apparaître supérieur à celui de bon nombre de villes allemandes en termes de profondeur du tissu et des possibilités d'épanouissement professionnel, personnel et familial. Autant d'éléments qui, mis bout à bout, par petites touches, en viennent à donner une couleur d'ensemble, un peu comme une mosaïque.

Vous avez évoqué le montant des « tickets » des entreprises étrangères. Nous vivons dans un monde où certaines entreprises disposent d'énormes quantités de liquidités : c'est le cas des GAFA, par exemple avec Apple et ses 90 milliards de dollars de cash disponible, et des entreprises d'État ou parapubliques chinoises. Ces entreprises ont évidemment une très grande facilité à se livrer un shopping qui peut être destructeur de valeur pour un pays de taille moyenne comme le nôtre, du fait de leur tendance à aller rechercher l'innovation soit pour elles-mêmes, soit pour éviter que cette innovation ne profite à un autre, en utilisant un carnet de chèques quasi illimité ; c'est ce que vous a expliqué en substance Nicolas Dufourcq. Quels que soient les moyens que l'on peut mobiliser par une institution comme Bpifrance ou la Caisse des dépôts, on n'arrivera jamais à rivaliser sur ce plan avec ces acteurs qui regardent souvent notre territoire et nos entreprises avec convoitise.

C'est la raison pour laquelle – pour répondre à votre question – j'ai la conviction qu'il est vraiment nécessaire aujourd'hui de trouver le bon équilibre entre un engagement résolu en faveur du libre-échange et de l'espace économique européen, et la défense de nos intérêts. Personne ne peut faire le procès, ni au Président de la République, ni au Gouvernement, d'avoir exprimé le moindre état d'âme à cet égard, notamment au moment des élections présidentielles ; et beaucoup de choses ont été faites, qui allaient toutes dans le sens de la réaffirmation du fait que la France entendait être un acteur dans la mondialisation, un acteur déterminé à défendre ses couleurs et à essayer de gagner.

Croire la mondialisation soit une chance pour la France ne veut pas dire être naïf. Vous trouverez toujours des gens qui vont ergoter, chercher une contradiction entre le Sommet qui s'est tenu à Versailles et le décret IEF sur les investissements étrangers ; mais la plupart des gens sérieux savent que dans tous les pays, qu'il s'agisse des États-Unis, de l'Allemagne ou de l'Australie, les puissances publiques font ce qu'il faut pour être attractives tout en conservant des leviers qui leur permettent, le cas échéant, de bloquer les initiatives qu'elles jugeront néfastes à leurs intérêts, sous la forme d'outils de dissuasion – c'est le cas des décrets, en fait rarement utilisés – ou des dispositifs qui permettent, par le biais de Bpifrance ou de l'APE, d'entrer temporairement dans le capital d'une entreprise pour éviter qu'elle ne bascule du mauvais côté de la force. Nous jouons avec réalisme, et avec les atouts qui sont ceux d'un pays de taille moyenne qui n'a pas, évidemment, les mêmes ressources que les géants dans le jeu de la mondialisation.

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