Intervention de Christophe Lecourtier

Réunion du mercredi 14 mars 2018 à 16h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Christophe Lecourtier, directeur général de Business France :

Rappelons que le contexte s'améliore : les marges se sont rétablies en partie, en tout cas par rapport à 2007. La confiance est au plus haut niveau par rapport à l'avant-crise. Mieux, après des années à peu près étales entre 2012 et 2016, les exportations ont progressé de 4,5 % en 2017. Certes, le déficit commercial a été plus important, mais c'est comme le cholestérol : il y a des bonnes et des mauvaises importations. Or une partie des importations de l'année 2017 étaient bonnes parce qu'elles portaient sur des biens d'équipement, ce qui prouvait que les entreprises recommençaient à investir. Si vous rétablissez vos taux de marge et si vous réinvestissez, vous vous remettez dans la compétition mondiale. Si vous vous arrêtez d'investir, c'est fini, car vous ne pouvez pas simplement compter sur les capitaux étrangers.

Ensuite, je crois beaucoup au nouveau rôle du Conseil national de l'industrie, et des comités stratégiques de filières qui seront totalement remis à plat sous l'égide du CNI pour essayer, sinon de copier les Allemands en termes de projection des filières à l'étranger, du moins de mieux répartir la valeur ajoutée à l'exemple de ce qui aux États généraux de l'alimentation, et, dans la mesure où la confiance et l'optimisme sont de retour, de mieux articuler et équilibrer les solidarités à l'intérieur d'une filière, entre le donneur d'ordres du premier rang et tous ceux qui sont dans son sillage : les Allemands font cela très bien. C'est le moment ou jamais de le faire, alors que la France, pour la première fois en 2017, a créé plus d'usines qu'elle n'en a détruites. L'esprit est différent ; et quand l'esprit est différent, ce que l'on n'avait pas su faire redevient possible.

Évidemment, madame la députée El Haïry, nous avons perdu des fleurons et Alstom, qui n'a pas encore quitté le territoire français, est dans une phase d'évolution de son capital, et donc de sa stratégie, qui rend plus difficile sans doute que par le passé le rôle que nous lui faisions jouer, et qui consistait à fédérer une grande partie de la profession. Je me suis souvent rendu à l'Inno Trans de Berlin, le grand salon en matière ferroviaire ; j'ai pu constater à chaque fois que les grands noms du ferroviaire français, à commencer par Alstom, fédéraient derrière eux toutes sortes d'acteurs de deuxième rang.

Cela étant, et c'est l'objet de cette audition, l'enjeu est tout de même de produire en France avec des ingénieurs et des salariés français. De ce point de vue, à bien des égards, Bombardier, par exemple, qui n'est pas de capital français, a une empreinte, à la fois industrielle et exportatrice, tout à fait favorable pour les territoires où il est resté. C'est moins la nationalité en tant que telle qui compte que la capacité de l'entreprise à continuer à structurer l'activité industrielle et les bénéfices que l'on peut en retirer dans l'échange international.

Sur nos relations avec les régions, j'aurai dû être beaucoup plus clair. Nous sommes une organisation nationale, et notre rôle consiste aujourd'hui, pour l'essentiel, à aller prospecter à l'étranger, grands groupes, ETI, bonnes PME, dans les pays développés comme dans les pays émergents, pour les inciter à aller en Europe et à poser leurs valises en France. Et le contexte du Brexit amène bon nombre d'entreprises à repenser totalement leur stratégie en Europe. J'ai servi en Australie comme ambassadeur : pour des raisons historiques, 95 % des investissements australiens en Europe étaient à Londres, et c'est depuis Londres qu'ils poussaient éventuellement un pied sur le continent. Aujourd'hui, tous les grands groupes industriels et surtout financiers australiens – leurs fonds d'investissement et fonds de pension représentent une fois et demie le PIB de l'Australie – sont en train de réévaluer leur stratégie. Ils ont compris en effet que la probabilité d'une séparation entre les deux marchés en termes d'investissements était assez élevée, et que s'ils n'anticipaient pas cette évolution en cherchant où ils pourraient se poser sur le continent, ils risquaient d'être rattrapés par la marée.

Notre principale action consiste donc à prospecter à l'étranger. Lorsque nous décelons un potentiel, un projet, à moins que l'investisseur n'ait explicitement précisé qu'il souhaitait s'installer dans la Somme, le Loiret, le quatrième arrondissement de Paris ou telle ou telle région en particulier, nous introduisons le cahier des charges du projet, avec ses principaux paramètres, dans une place de marché qui s'appelle le COSPE, le Comité d'orientation et de suivi des projets étrangers. Toutes les régions et leurs agences de développement en sont membres. J'étais justement ce matin avec M. Pitollet, des Hauts-de-France, que vous connaissez sans doute très bien, un de nos très bons partenaires, un de ceux qui ont le meilleur taux d'impact sur les projets que nous introduisons. Toutes les régions qui le souhaitent peuvent faire une offre – pas à nous, mais à l'investisseur qui choisit celle qui lui paraît la plus pertinente. Il peut s'ensuivre un dialogue pour essayer d'améliorer, sur tel ou tel point, les concours que la collectivité, voire l'État – par exemple à travers la prime à l'aménagement du territoire – peuvent apporter. Nous nous interdisons évidemment d'orienter l'investisseur vers telle ou telle région, à moins qu'il n'ait expressément précisé dans son cahier des charges qu'il entendait s'installer à cinq encablures de l'île de Ré ou avoir vue sur la Corse… Mais ce n'est généralement pas le cas.

Ce que nous allons faire dans les prochaines semaines, et qui sera annoncé dans quelques jours, tombe sous le sens – sans doute serez-vous étonnés que cela n'existe pas. Nous allons faire en sorte d'unir trois réseaux à l'étranger pour accroître très significativement notre capacité de prospection : le réseau de Business France, dont la prospection est une des raisons d'être ; le réseau des services économiques du Trésor qui souhaite adjoindre ses forces aux nôtres ; et bien entendu, le réseau diplomatique dans la mesure où un ambassadeur a évidemment une capacité d'accès illimité aux grands comptes, voire à d'autres comptes. Si nous parvenons à faire travailler ensemble tous ces réseaux – c'est toujours un défi en France, mais le moment est propice – nous allons accroître notre force de frappe sans que cela coûte un centime de plus au contribuable. À charge pour nous d'être capables, lorsque le projet d'investissement se matérialisera en France, de faire en sorte que le rythme, la qualité de l'accueil et de l'accompagnement soient au moins au niveau de la promesse de celui qui a prospecté l'investisseur.

Quant à notre présence à CES de Las Vegas – la plus importante après celle des États-Unis –, elle revêt une dimension un peu ambivalente. Avec la French Tech – marque qui appartient à Business France, et que nous allons décider demain en conseil d'administration de céder à l'État –, nous avons réussi quelque chose d'absolument remarquable : à un moment où l'image de la France était, à bien des égards, un peu grise, indistincte, nous avons fait émarger l'idée que nous étions une des nations de la Tech mondiale, capable de rivaliser avec les États-Unis, Israël et avec d'autres pays comparables. Notre présence à Las Vegas en est la traduction évidente.

Cela étant, nous avons intérêt à réfléchir de façon un peu plus précise à la manière dont cette présence s'organise : de nombreuses entreprises qui vont à Las Vegas peuvent devenir la proie d'acheteurs ou d'investisseurs étrangers alors même qu'elles ont été élevées dans le terreau de la French Tech française. Nous devrons travailler avec les régions pour bien sélectionner le type d'entreprises, le stade qu'elles ont atteint dans leur évolution, au moment de composer leur délégation : le CES doit être pour elles l'occasion de se développer, mais pas de se faire « avaler » à un stade extrêmement précoce et de se faire racheter à vil prix leur idée – qui est l'essentiel dans une start-up. On aurait tort de se laisser emporter par une sorte de romantisme à la française : on est très fier d'être la deuxième nation présente à Las Vegas, mais on ne mesure pas toujours les conséquences structurantes que cela peut avoir sur le tissu de nos start-up, confrontées à des difficultés de financement spécifiques qui tiennent à notre histoire.

Du reste, un certain nombre de régions, dont la Normandie qui a récemment passé un accord avec nous, ont commencé à se doter de moyens, à travers des fonds de capital-risque et des fonds d'investissement : sans être capables de relever le défi que représente la réindustrialisation du pays, elles peuvent constituer un complément très opportun. J'ai la conviction que la loi NOTRe, qui est au coeur de la stratégie que j'ai proposée au Gouvernement, a placé le curseur au bon niveau. L'État ne peut pas conduire seul le développement économique de A à Z, qu'il s'agisse du développement des exportations ou du développement de l'attractivité ; il peut, et c'est d'ailleurs ce qu'il fait aujourd'hui, créer un cadre incitatif, attractif, tout en dissuadant les investisseurs dont le comportement, les intentions ou les cibles nous paraîtraient incompatibles avec les intérêts de la Nation. C'est à l'État de se montrer défensif et offensif ; mais quand on arrive aux aspects microéconomiques, à la gestion du quotidien, ce sont les régions, et probablement un peu les métropoles, qui ont la clé du problème et qui peuvent également être des investisseurs avisés : elles seules sont à même de mesurer exactement ce que l'entreprise peut apporter au tissu local, d'apprécier la cohérence avec l'environnement économique, universitaire et de recherche. C'est vraiment à ce niveau de granulométrie que nous parviendrons à renforcer encore l'agilité du terreau économique français, qui est probablement la clé de l'avenir, avec les investissements étrangers. Mais ces derniers ne sont qu'un bonus supplémentaire par rapport à des politiques qui doivent d'abord être nationales.

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