Intervention de Olivier Marleix

Réunion du mercredi 14 mars 2018 à 17h45
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix, président :

Mes chers collègues, nous recevons M. Martin Bouygues, président-directeur général du groupe Bouygues, accompagné de M. Philippe Marien, directeur général délégué, de M. Jean-François Guillemin, secrétaire général, ainsi que de M. Pierre Auberger, directeur de la communication.

C'est essentiellement au titre d'actionnaire de référence d'Alstom que la commission d'enquête a souhaité vous entendre aujourd'hui, monsieur le président, autour de trois ou quatre questions assez précises.

Vous aurez compris qu'une partie des interrogations de notre commission d'enquête porte sur les conditions de la cession de l'activité « Power » d'Alstom à General Electric. Ma première question donc, sur laquelle il sera utile que vous nous fassiez un rappel historique, est celle de votre stratégie d'actionnaire au sein de cette entreprise. Chacun se souvient des conditions dans lesquelles votre groupe est devenu, en 2006, actionnaire d'Alstom en remplacement de l'État, à hauteur à l'époque de 21,3 % du capital, pour un montant de 1,998 milliard d'euros. On vous prêtait alors des ambitions dans le secteur nucléaire – c'est en tout cas ce que disait ouvertement la présidente d'Areva –, et vous avez pendant plusieurs années poursuivi votre montée au capital d'Alstom, jusqu'à atteindre 30,8 % du capital de l'entreprise, dans laquelle vous aurez, au total, investi 3,5 milliards d'euros.

Fin 2012, votre niveau de participation a commencé à refluer pour la première fois, autour de 29,4 %, ce qui semble avoir traduit la fin de vos ambitions dans le secteur du nucléaire, à une époque où les choix stratégiques de votre groupe se sont clairement portés prioritairement sur les télécoms et vous ont amené à céder certains actifs – Eurosport, les pylônes Bouygues Telecom et votre participation dans Cofiroute.

En 2013, vous avez enregistré dans vos comptes une dépréciation d'actifs de 1,4 milliard d'euros, du fait de la mauvaise performance des titres Alstom, ce qui a pu donner à penser, dès cette date, que vous étiez dans une logique de cession à court terme de votre participation. Il nous serait donc utile que vous reveniez sur l'histoire de cette participation dans Alstom, de vos ambitions initiales à votre désengagement final. Que s'est-il passé dans ces sept années qui vous ont vu successivement renforcer vos investissements, puis vous désinvestir du secteur de l'énergie ? Cette volonté de vous désengager était-elle effective au moment où General Electric a présenté son offre de rachat de la branche « Power » d'Alstom en avril 2014 ? On sait notamment que, fin 2013, Patrick Kron avait opté pour une stratégie d'alliance et d'ouverture de la branche transports à un partenaire russe, mais que cette option n'aurait pas eu votre faveur.

Le deuxième sujet sur lequel il sera utile de vous entendre est le prêt d'actions du groupe Bouygues à l'État, dans le cadre du protocole d'accord signé le 22 juin 2014. Une grande partie des interrogations tient au fait que ce protocole d'accord initial semblait peu orthodoxe, qu'il ne répondait pas en tout cas aux critères habituels d'un prêt de consommation. En effet, l'État vous y laissait les bénéfices des dividendes et ne rémunérait pas le prêt d'actions que vous faisiez, autant de défauts qui ont été corrigés par l'accord de prêt lui-même, signé le 5 février 2016, aux termes duquel les dividendes revenaient pendant la période du prêt à l'Agence des participations de l'État (APE) et que l'État vous rémunérait pour le prêt d'actions, selon des modalités inscrites au contrat.

Le prêt d'actions est devenu effectif du 4 février 2016 au 17 octobre 2017, avec un an et demi de retard par rapport au protocole d'accord signé au moment de la vente d'Alstom Power à GE. Cela s'explique par le fait qu'il n'a été mis en oeuvre qu'après la clôture de la période d'offre publique de rachat, le 20 janvier 2016, ce qui a permis au groupe Bouygues d'empocher 1 milliard d'euros sur les 3,2 milliards issus de la vente de la branche « Power » et qu'Alstom devait répartir entre ses actionnaires. La période de prêt achevée, le 17 octobre 2017, l'État vous a restitué les actions, ce qui vous a permis de bénéficier ensuite des deux dividendes spéciaux de 4 euros par action distribuée au moment du rapprochement de la branche transport d'Alstom avec Siemens.

Certains se sont interrogés sur le fait que le prêt d'actions ait pris fin le 17 octobre 2017, alors qu'à cette date l'État connaissait déjà les termes du protocole d'accord entre Siemens et Alstom, en date du 26 septembre, et qu'il était donc au courant de la distribution des 1,8 milliard d'euros de dividendes aux actionnaires. Question que, pour ma part, je ne me pose pas : on voit mal comment l'État aurait pu prétendre engranger des dividendes alors qu'il n'avait plus aucun droit sur les actions, à moins de faire jouer son option d'achat (call), ce que ne souhaitait pas Siemens.

Quoi qu'il en soit, pouvez-vous nous confirmer que durant toute la période de prêt, c'est bien l'État, via l'APE, qui a touché les dividendes ordinaires attachés aux actions ? Pouvez-vous également nous dire combien vous avez été rémunérés par l'État pour ce contrat de prêt ?

Ma troisième question porte sur l'avenir de votre participation dans Siemens. Avec la finalisation, à l'automne prochain, de l'accord de fusion avec Siemens, votre groupe va voir sa participation passer mécaniquement de 28 % à 14 % environ – vous nous préciserez ce chiffre. S'il est logique et légitime que vous restiez actionnaire d'Alstom pour bénéficier des dividendes extraordinaires qui vous reviennent – un peu plus de 500 millions d'euros, si mes calculs sont justes –, vos décisions futures en la matière sont un élément clé pour nous permettre d'appréhender correctement ce qui reste de l'activité d'Alstom transport dans le nouvel ensemble constitué avec Siemens. Aujourd'hui, sans votre accord, Siemens ne pourrait pas conclure l'opération de rachat d'Alstom.

On peut donc imaginer qu'en bon gestionnaire – ce qui n'est plus à démontrer – vous avez d'ores et déjà pris l'assurance d'un rachat à terme de votre participation, à prix garanti, au-delà du standstill de quatre ans auquel Siemens s'est engagé.

Évidemment, les conséquences de cette hypothèse ne sont pas anodines : si le groupe Siemens vous rachetait vos parts, il atteindrait très exactement 66,66 % du nouvel ensemble, ce qui lui donnerait tous pouvoirs en assemblée générale : nous serions alors très loin de ce qui nous est aujourd'hui décrit par le Gouvernement comme une « alliance entre égaux ». Autrement dit, la question de l'avenir de votre participation est déterminante.

En dernier lieu, je souhaite revenir sur l'amende de 722 millions d'euros infligée à Alstom par le gouvernement américain. En juin 2014, Patrick Kron avait annoncé à ses actionnaires – donc à vous, entre autres, monsieur le président – que General Electric avait accepté de prendre en charge le paiement de cette amende et que le prix de rachat de 12,35 milliards d'euros incluait ce montant. Six mois plus tard, il a dû expliquer à ces mêmes actionnaires que c'était finalement à eux de payer, ce qui, à l'en croire, n'était pas si grave dans la mesure où une cession de 400 millions d'euros supplémentaires était intervenue entre-temps, ce qui équilibrait un peu les choses. Il s'agit quand même de sommes considérables, et je m'étonne qu'on puisse ainsi « balader » une assemblée générale d'actionnaires en faisant passer 722 millions d'euros d'un côté ou de l'autre de la table.

Tels sont, monsieur le président, les quelques sujets sur lesquels nous souhaitons vous entendre ; auparavant, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relatif aux commissions d'enquête parlementaires, je vais vous demander de prêter serment.

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