Intervention de Martin Vial

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 9h45
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Martin Vial, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'APE :

Nous allons vous fournir tous les éléments relatifs aux contrats passés avec Roland Berger et AT Kearney. Votre commission a été destinataire de ces études, mais votre question porte sur les conditions dans lesquelles elles ont été commandées et les modalités de leur utilisation.

Quoi qu'il en soit, je tiens à vous assurer qu'il n'y a pas de pratiques secrètes. Si secret il y a, il est lié au fait que nous ne voulons pas avoir une quelconque influence sur les cours de bourse des sociétés concernées. Au passage, je signale que notre position dans la gouvernance d'entreprises – ce qui n'était pas le cas pour Alstom à cette époque –, nous place en position d'initiés et nous empêche de réaliser certaines opérations. Nous sommes extrêmement pointilleux sur nos responsabilités d'acteur de marché. En ce qui concerne Alstom, à partir du moment où nous avons eu connaissance du rapprochement avec Siemens à l'été 2017 nous ne pouvions plus lever d'option jusqu'à ce que l'information soit rendue publique.

Je partage votre point de vue sur le rôle des conseils. Fort heureusement, l'APE ne suit pas forcément les conseils qui lui sont prodigués. Dans certains cas, nous les suivons parce que nous les trouvons pertinents ; dans d'autres, nous pouvons avoir d'autres considérations et une vision stratégique différente de celle qui nous est proposée. Les banques d'affaires viennent souvent nous proposer, des opérations de rapprochement dans lesquelles elles sont impliquées. Dans nombre de cas, nous rejetons ces propositions, considérant qu'elles ne présentent pas d'intérêt en tant qu'actionnaire.

Quel levier peut utiliser l'État pour peser sur les entreprises qu'il juge stratégiques, pour empêcher des opérations hostiles qui pourraient aboutir au transfert à l'étranger d'emplois et de centres de décision ou de recherche de grandes entreprises françaises, même si ces dernières peuvent avoir une présence internationale importante ?

La comparaison avec les États-Unis est très intéressante mais le président américain n'a pas, au-dessus de lui, une instance équivalente à la commission européenne. Il vient d'empêcher l'acquisition de Qualcomm par Broadcom sans en référer à qui que ce soit. Lorsque l'État français veut empêcher une opération engagée par un groupe étranger, ce qui est extrêmement rare, il doit agir dans le cadre du décret sur les IEF et dans le respect des directives européennes. D'ailleurs, la réglementation elle-même ne se fait que dans le cadre de directives européennes.

Il est pertinent de dire que la Commission européenne doit appliquer les règles de la concurrence aux bornes de l'Union. Un mouvement se dessine en ce sens, que je vous laisse le soin d'apprécier. Souvenez-vous comment, il y a quelques années, la Commission avait empêché Schneider de fusionner avec Legrand. Il serait quand même paradoxal d'empêcher la création de grands champions européens, tout en laissant de grands champions américains, chinois ou indiens faire leurs emplettes ici sans avoir à respecter la même contrainte concernant la concentration sur le territoire européen. La prise de conscience est lente, et la question ne sera sans doute pas traitée avant l'arrivée de la prochaine Commission. Il est probable qu'aucune mesure opérationnelle n'interviendra en 2018. Pourtant, l'échelon européen est le bon niveau pour accroître la protection.

Il est exclu de fermer le marché français de l'industrie, des services ou de la banque, au contraire, mais il s'agit de ne pas être naïf. Certains fonds d'investissement anglo-saxons ont une puissance de feu équivalente à une ou deux fois le PIB français. Il faut préserver une attractivité absolument indispensable tout en veillant à la bonne promotion des intérêts économiques français et européens.

Quelles sont les limites de l'État actionnaire quand il s'agit de protéger les intérêts stratégiques ? Il ne faut pas surestimer le poids de l'État lorsqu'il est actionnaire à 15 % ou 20 % d'une entreprise. Il ne faut pas le sous-estimer non plus : s'il est le premier actionnaire, il est, par définition, l'actionnaire de référence de l'entreprise et il lui offre beaucoup de tranquillité par rapport à des opérations hostiles. À titre d'exemple, je citerais l'attaque lancée à l'automne dernier par le fonds activiste britannique The Children Investment Fund (TCI) sur le groupe Safran dont il était actionnaire. Critiquant le projet de rachat de Zodiac Aerospace par Safran, TCI a agité diverses menaces relatives à l'équipe de direction de Safran . Signalons au passage que les fonds activistes apprécient les scissions qui leur permettent d'essayer de tirer le maximum de ce que l'on appelle la somme des parties. Si l'État n'avait pas été là avec les salariés – qui pèsent aussi de façon importante –, je ne sais pas jusqu'où aurait pu aller cette attaque de TCI. Même quand il ne dispose pas d'une minorité de blocage, l'État actionnaire peut apparaître comme un élément de stabilité.

Il y a cependant d'autres leviers : la législation sur les IEF ; la golden share dans les cas très particuliers relevant de la sécurité ou de la défense nationale. Nous devons aussi créer d'autres procédures au plan européen pour nous donner plus de marge de manoeuvre dans ce domaine.

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