Intervention de Pierre Laporte

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 11h35
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Pierre Laporte, ancien cadre d'Alstom « Grid » et de GE Medical Systems France :

Le problème de l'« en même temps », c'est qu'il devient schizophrénique quand vous faites en même temps une chose et son contraire. On peut faire en même temps des choses qui ne sont pas contradictoires et, dans ce cas, c'est tout à fait positif ; c'est, dans la pensée ricoeurienne, la capacité de concilier des choses qui sont quelquefois difficilement conciliables mais pas nécessairement opposées. Ce qui caractérise la situation d'Alstom, c'est le fait d'avoir concomitamment mis en place et communiqué de façon très positive sur une organisation qui, certes, a fait des progrès, tout en maintenant des pratiques qui ont été stigmatisées. Je ne dis rien – c'est dans mon éthique de communication – qui ne soit déjà public ; tout ce que je vous dis, je vous invite à le lire dans la décision du département de la justice américaine.

Pourquoi, ensuite, l'ancien directeur financier, l'ancien Président-Directeur général, l'ancien directeur de l'audit, l'ancien directeur éthique et compliance, et l'ancien directeur juridique n'ont pas été mis en cause personnellement ? Vous savez que, pour être mis en cause pénalement, il faut avoir participé personnellement aux faits de corruption, avoir eu soi-même une intention délictueuse dans chaque opération, et mettre en place ou entretenir un système qui permet de corrompre n'était pas, en tant que tel, interdit par la loi française. Je n'ai pas connaissance que ces individus aient commis personnellement de tels actes, et c'est certainement pourquoi le département de la justice américain s'est concentré sur les individus desquels l'entreprise, comme vous l'a expliqué Bruno Vigogne, a communiqué tous les e-mails, dont Frédéric Pierucci, qui a plaidé coupable parce que l'on ne pouvait pas être cadre commercial chez Alstom sans utiliser ce système de paiement des consultants dont on a vu la dérive. Cette dérive, je considère qu'elle est généralisée, eu égard au nombre de cas qui vous a été cité et dont vous pouvez trouver la liste dans la très bonne étude de l'organisation non gouvernementale qu'a nommée M. Marleix tout à l'heure.

J'ai effectivement dit, dans ma déclaration à la radio, que les Américains avaient une lutte publique. Il se trouve que j'en ai fait mon métier, parce que ma carrière de directeur juridique a été largement bouleversée par des pratiques de différentes entreprises et que, comme j'ai compris que, pour monter, il fallait y participer, avec un risque important, j'ai préféré faire un autre métier, et je suis donc aujourd'hui, notamment mais pas uniquement, conseil en matière de prévention de la corruption. Je suis un grand lecteur des décisions du département de la justice et je vous invite d'ailleurs à les lire, parce que je pense que c'est une politique qui est bien faite, dans le sens où elle est efficace et publique. Le DoJ explique très clairement que sa politique vis-à-vis de la criminalité en col blanc est la même que celle vis-à-vis de la mafia et des groupes mafieux des quartiers américains, et qu'il utilise donc les mêmes méthodes de recherche de preuves ainsi que les mêmes méthodes en termes de sanctions et de traitement des individus. C'est exactement ce qu'on observe à l'égard de notre ancien collègue.

Je réitère ma déclaration à la radio que beaucoup de dirigeants français n'ont pas pris la mesure du risque. Je ne souhaite à personne qu'il arrive ce qui arrive à Frédéric Pierucci et je pense qu'une grande partie du problème a été l'entretien d'un certain nombre de cadres dans l'ignorance. Je ne sais pas si vous avez lu l'intégralité du dossier mais les extraits des e-mails montrent que c'est par ignorance que ces e-mails ont été écrits, parce que quelqu'un d'un tout petit peu éduqué sur ces sujets n'aurait jamais écrit ce qui a été écrit.

Est-ce que vous me prêtez l'intention de corrompre et de nous protéger des Américains ? Pour l'intention de corrompre, je ne suis pas la bonne personne mais je crois en effet qu'il faut se protéger, et ce d'abord des attaques des autorités des pays étrangers, parce qu'il n'y a pas de raison que les autorités judiciaires et policières d'autres pays que le nôtre fassent la justice pour nos entreprises, même si, en l'occurrence, sur le dossier Alstom, je ne pense pas du tout qu'il y ait eu un complot et je conteste même l'utilisation souvent très abusive de l'expression « effet extraterritorial » de la loi américaine car, si vous lisez les décisions du département de la justice, vous constaterez que beaucoup des faits ont été commis aux États-Unis par des entités légales américaines, avec des comptes en banque américains… Il ne s'agit donc pas de l'effet extraterritorial du droit américain. Mais il me semble légitime de se protéger contre les attaques de qui que ce soit quand on fait des affaires, même si vous êtes coupable, parce que l'objectif est de ne pas se retrouver dans des situations qui vous retirent votre liberté.

Enfin, pour répondre à votre question, qui était un peu, je pense, une provocation, il se trouve que j'ai fait une carrière de trente-deux ans de juriste dans des groupes totalement internationaux, que j'ai participé à des groupes qui faisaient plusieurs dizaines de milliards de chiffre d'affaires, qui vendaient des centrales nucléaires, des équipements de toutes sortes, j'ai connu des enquête du SFO, de la Securities and Exchange Commission (SEC), de la Federal Energy Regulatory Commission et bien d'autres, et aucune enquête pénale portant sur des faits sur lesquels j'avais travaillé n'a jamais abouti. J'ai quitté le groupe Areva parce que je pensais qu'il était plus opportun, pour un directeur juridique, de ne pas y être, et je crois que j'ai bien fait compte tenu de la situation de plusieurs dirigeants actuellement. J'ai quitté le groupe Alstom pour les mêmes raisons. Je pense donc que quiconque essayerait de jeter quelque discrédit que ce soit sur ma personne concernant ce sujet est assez malvenu.

Il y a bien soixante Français en détention aux États-Unis, vous avez raison, cela m'a été confirmé par le ministère des affaires étrangères. Il se trouve que je suis personnellement très attaché à la lutte contre la criminalité en col blanc, extrêmement dévastatrice parce qu'elle attaque les fondamentaux de notre société. Je suis issu d'un milieu d'entrepreneurs et très attaché à la liberté d'entreprendre, et je pense que le comportement des dirigeants d'Alstom a considérablement terni l'image de la France et de l'industrie française dans le monde et qu'à ce titre ils sont condamnables et portent sur eux un profond déshonneur.

Frédéric Pierucci a plaidé coupable pour ne pas passer quarante ans en prison. Ayant plaidé coupable, il doit purger sa peine et ce que je vous demande, mesdames et messieurs les députés, à titre personnel puisque, comme je vous l'ai dit, j'aide Frédéric, c'est de bien vouloir m'aider à le faire revenir en France. Il y a pour cela deux possibilités. La première est d'obtenir son transfèrement du centre de détention américain vers un centre de détention français. Il ne s'agit pas d'obtenir un passe-droit mais de lui permettre de purger sa peine en France. Je vous présenterai Frédéric quand il reviendra, vous verrez quelle est la trempe de ce personnage. Vous ne l'avez sans doute vu que pendant quelques heures. Son intention n'a jamais été d'échapper à sa peine puisqu'il s'est lui-même constitué prisonnier et est retourné de son propre chef aux États-Unis. L'autre option serait d'obtenir une grâce et je crois que le Président Macron, que vous devez connaître, se rend aux États-Unis au mois d'avril. Je vous demande de bien vouloir intercéder pour qu'éventuellement une grâce puisse être obtenue pour Frédéric, qui, je vous le rappelle, a une épouse et quatre enfants, dont deux ont moins de onze ans.

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