Intervention de Pascal Brice

Réunion du mercredi 14 février 2018 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Pascal Brice, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) :

Merci beaucoup, madame la Présidente, mesdames et messieurs les députés. C'est un honneur pour moi d'être à votre disposition, d'abord comme directeur général de l'OFPRA, mais aussi en tant que diplomate – à ce titre, se trouver devant votre commission revêt un sens tout particulier.

Je suis heureux de pouvoir vous livrer le regard de l'OFPRA sur les conditions d'exercice de sa mission, au moment où un débat s'est ouvert dans le pays et où votre Assemblée sera prochainement saisie d'un projet de loi. Comme vous l'avez souligné, la réforme de l'asile qui se trouve devant nous concerne un ensemble de dispositifs, de politiques et d'attitudes relevant de différents acteurs, notamment l'OFPRA.

Vous avez rappelé que nous sommes un établissement public dont la mission principale est d'instruire les demandes d'asile. Nous exerçons une mission connexe qui est moins connue : nous sommes la mairie des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire. Celles et ceux que nous protégeons, avec la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), voient leur état civil géré par nos soins. Notre mission principale, et la plus connue, reste néanmoins d'instruire les demandes d'asile. L'OFPRA est doté d'un statut particulier qui lui confère une indépendance fonctionnelle : la loi prévoit que le directeur général ne reçoit aucune instruction dans l'exercice de ses missions. L'OFPRA fait néanmoins l'objet d'une tutelle administrative sur son budget et son fonctionnement, s'agissant en particulier du respect des délais d'instruction. J'aurai l'occasion de revenir sur ce dernier point, puisqu'il s'agit d'une priorité fixée par le Président de la République et le Gouvernement.

Comme vous l'avez dit, la demande d'asile a franchi l'année dernière un cap symbolique en France : celui de 100 000 demandes dans l'année. Cela correspond à un peu plus de 70 000 premières demandes d'asile, auxquelles il faut ajouter 20 000 mineurs accompagnants et les réexamens. C'est un cap symbolique qui coïncide avec une augmentation de 17 % par rapport à l'année précédente, et qui entre dans le cadre d'une augmentation régulière, depuis une dizaine d'années. Ce n'est donc pas un afflux massif, ni soudain. Il faut aussi comparer notre situation avec celle d'autres États membres de l'Union européenne, en particulier l'Allemagne, qui restent à des niveaux nettement plus élevés que le nôtre. C'est néanmoins un cap symbolique, je le répète, et l'augmentation régulière de la demande d'asile dans notre pays met l'ensemble du système sous pression. Les agents de l'OFPRA, notamment les officiers de protection, qui se sont engagés depuis quatre ans dans une profonde réorganisation visant à mieux protéger et à réduire les délais d'instruction – j'y reviendrai –, peuvent en témoigner.

Cette situation est vécue par l'ensemble du système de l'asile en France : il existe en effet toute une chaîne d'acteurs, dont l'OFPRA est l'un des pivots – sa responsabilité est grande pour l'exercice du droit d'asile, garanti par notre Constitution –, mais qui compte aussi d'autres administrations, les préfectures, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), les élus locaux, que vous êtes souvent, en particulier les maires qui accueillent dans des centres d'hébergement, et les travailleurs sociaux. Tout le système est confronté à la nécessité de faire face à une augmentation régulière de la demande d'asile depuis une dizaine d'années, même si cela ne constitue pas un afflux massif, comme les chiffres en témoignent, y compris ceux de 2017.

Si l'on regarde les pays d'origine des demandeurs d'asile, et je devine que cela peut intéresser votre commission, on est frappé par l'existence de situations assez contrastées – c'est une constante en France depuis une dizaine ou une vingtaine d'années. Un résumé est fourni par le taux de protection globale : au total, on protège en France à peu près 40 % des demandeurs, que ce soit au titre de l'asile constitutionnel, de la convention de Genève – pour des réfugiés qui fuient leur pays pour des raisons liées à leur engagement personnel, à leurs opinions politiques, à leur religion, à leur ethnie ou à leur appartenance à un groupe social, comme des homosexuels ou des lesbiennes venant de certains pays – ou encore de la protection subsidiaire.

Il existe des pays d'origine où les situations de guerre, de conflit et de persécutions sont réelles. Je pense notamment à la demande d'asile en provenance du Soudan, tout particulièrement le Darfour, ou d'autres pays comparables du point de vue des situations particulièrement dramatiques qui s'y déroulent, comme l'Érythrée et la Syrie. On peut aussi penser aux minorités religieuses d'Irak, chrétienne et yézidie, et à l'Afghanistan. Pour ces pays d'origine, les taux de protection sont compris entre 60 et 90 % à l'OFPRA et à la CNDA – ils vont même jusqu'à 97 % pour les Syriens.

Comme vous le savez, l'instruction de la demande d'asile est toujours individuelle. Les officiers de protection de l'OFPRA vérifient la réalité des craintes dans le pays d'origine – c'est ce qui compte pour l'application de la convention de Genève, des textes européens et de la Constitution française – en croisant les parcours d'exil, ce que sait l'OFPRA – nous avons une division de l'information au sein de laquelle des chercheurs travaillent sur la situation dans les pays d'origine – et l'analyse juridique. Nous statuons sur l'octroi de la protection ou son rejet, sous le contrôle de la CNDA.

Il y a d'abord la situation dans les pays d'origine : la demande d'asile en France est le reflet des drames qui se déroulent dans le monde, en particulier dans l'environnement proche du continent européen, ce qui se traduit par des taux de protection très élevés dans certains cas. Mais il y a aussi des demandes d'asile pour lesquelles le taux de protection est beaucoup plus faible. C'est notamment le cas avec l'augmentation de la demande d'asile que nous constatons en provenance d'Afrique de l'Ouest, depuis plusieurs mois. Nous sommes là confrontés aux drames vécus par les migrants ayant traversé cet enfer que la Libye est devenue. Cela fait plus de deux ans que les officiers de protection de l'OFPRA entendent le récit de ce que subissent les personnes traversant ce pays. J'ai des souvenirs précis de ce que me racontaient, il y a deux ans, des officiers de protection qui se trouvaient dans des ports italiens, en appui à la relocalisation dont je dirai plus tard un mot : celles et ceux qui arrivaient disaient parfois leur soulagement d'avoir survécu non pas tant à la Méditerranée qu'à la Libye, aux rapts et aux viols extrêmement organisés qui ont lieu dans ce pays.

En l'espèce, nous avons affaire, le plus souvent, à des personnes relevant peu du droit d'asile. La situation dans la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest entre assez peu dans ce cadre, même si c'est parfois le cas. Je pense en particulier aux 7 000 petites filles aujourd'hui protégées par l'OFPRA contre le risque d'excision – c'est une de nos grandes fiertés – et à des femmes du Nigeria victimes de réseaux d'exploitation sexuelle. Nous vérifions que ces femmes relèvent bien du droit d'asile, d'abord parce qu'elles sont exploitées par des réseaux, et ensuite parce qu'elles montrent une volonté de se dissocier d'eux – sinon, nous serions exposés à un risque d'instrumentalisation par les proxénètes. Nous veillons à protéger très précisément les personnes qui doivent l'être et à ne jamais tomber dans des risques d'instrumentalisation.

Certaines situations relèvent du droit d'asile mais, pour l'essentiel, il s'agit de personnes qui n'en relèvent pas. Pour autant, elles ont le droit à un examen de leur demande, parce que notre Constitution l'exige et que c'est la mission de l'OFPRA. C'est tout l'enjeu pour nous et pour l'ensemble du système de l'asile dans la situation que nous connaissons depuis un certain nombre d'années : il faut garantir de manière absolue – et l'OFPRA ne sait pas faire autrement – que la Constitution est appliquée, c'est-à-dire que toute personne présente sur le territoire national a le droit à l'instruction de sa demande d'asile, sous réserve du règlement « Dublin ». Dans ce cas, la demande est supposée être instruite dans un autre État membre de l'Union européenne, mais j'y reviendrai.

Quelle que soit sa nationalité, toute personne doit voir sa demande d'asile instruite. La responsabilité de l'OFPRA et de l'ensemble du système de l'asile, conformément à la volonté du législateur européen et du législateur français, est que dans certains cas, notamment celui des pays d'origine sûrs, l'instruction ait lieu dans des délais brefs – plus brefs que selon la procédure normale. C'est le traitement accéléré : nous veillons à ce qu'il y ait des délais particulièrement courts pour un certain nombre de pays où les taux de protection sont faibles. Je pense notamment à l'Albanie ou à Haïti : ces pays présentent une caractéristique qui nous met en difficulté, le taux de protection étant faible – 6 % pour l'Albanie à l'OFPRA et 2,5 % pour Haïti, avec la situation que vous connaissez en Guyane. Du point de vue de la situation migratoire, la responsabilité de l'OFPRA n'est pas première ; afin de garantir l'exercice plein et entier du droit d'asile, sa mission est de faire en sorte que toute demande soit instruite, parce que la Constitution l'exige, et que cela soit fait d'une manière adaptée à la situation individuelle des personnes et à la situation dans certains pays d'origine.

La demande d'asile est contrastée en France, je le disais : il y a des pays d'origine marqués par des conflits et des persécutions, ce qui conduit à des taux élevés de protection à l'OFPRA ; pour le reste, des personnes demandent l'asile, mais relèvent finalement assez peu de ce statut – elles s'inscrivent probablement davantage dans le cadre de migrations économiques ou d'autres types de migration.

Dans ce contexte, notre responsabilité est d'abord de protéger quand il y a lieu de le faire. C'est le coeur, évidemment, de notre mission, et c'est ce qui a notamment fait l'objet de la réforme conduite à l'OFPRA depuis 5 ans. Elle a vu la fin de ce que je considérais comme une anomalie française. Certaines et certains d'entre vous se souviennent peut-être qu'il y a encore 4 ou 5 ans, en effet, on était protégé beaucoup plus souvent par la CNDA que par l'OFPRA au titre du droit d'asile, ce qui me paraissait une aberration à tous points de vue. Nous avons fait en sorte, avec les outils du droit et en faisant application de la jurisprudence de la CNDA, que le besoin de protection, lorsqu'il existe, soit reconnu par l'OFPRA et non plus par la Cour. De même, lorsqu'il doit y avoir un rejet de la demande, la responsabilité de l'OFPRA, et la mienne en premier lieu, est de le faire.

À la demande du Président de la République, du Gouvernement et du Parlement, nous devons également réduire les délais d'instruction. C'est une nécessité à tous égards, d'abord pour les demandeurs, mais aussi au regard des coûts de la politique de l'asile, notamment en matière d'hébergement. Il faut rappeler que la réduction des délais d'instruction s'est faite, et doit se poursuivre, en prenant en compte à chaque fois la situation individuelle des personnes. On doit consacrer plus de temps à l'instruction de certaines demandes. Je pense notamment à des personnes détruites par la torture ou qui vont être protégées en raison de leur orientation sexuelle, et qui ne vont pas verbaliser rapidement un tel motif de protection. Depuis la loi adoptée en 2015, l'OFPRA dispose par ailleurs des outils lui permettant de rejeter des demandes d'asile de personnes qui constitueraient une menace grave pour la sûreté de l'État, et j'y suis particulièrement vigilant. Dans ces cas-là, il faut aussi que nous ayons le temps nécessaire pour statuer. Je pense également aux personnes relevant des clauses d'exclusion de la convention de Genève, notamment parce qu'elles auraient commis des crimes de guerre ou contre l'humanité dans leur pays d'origine. Il faut donc, et c'est la responsabilité de l'OFPRA, s'adapter aux situations individuelles, dans un contexte général de réduction des délais d'instruction.

C'est ce que nous sommes parvenus à faire : nous sommes très proches d'un délai de trois mois devant l'OFPRA, conformément à l'objectif qui nous était initialement fixé. Je rappelle que nous étions à sept ou huit mois il y a encore deux ans. Comment y sommes-nous parvenus ? L'OFPRA a été renforcé, un investissement de l'État a eu lieu, et il se poursuit. Je veux remercier à nouveau le Parlement d'avoir bien voulu l'autoriser dans la loi de finances pour cette année. Nous sommes aussi arrivés à ce résultat parce que nous nous sommes réorganisés de manière à gagner en efficacité : c'était la contrepartie de l'investissement de l'État. Voilà comment on peut avancer, me semble-t-il.

Les délais d'instruction vont continuer à être réduits. Vous savez que le Président de la République a fixé pour objectif à l'OFPRA d'arriver désormais à un délai de deux mois, le délai global devant être ramené à six mois. Nous devons donc passer d'un délai d'à peu près trois mois, à l'heure actuelle, à deux mois, et nous allons y parvenir. Nous le ferons, comme depuis quatre ans, dans le strict respect des droits et des garanties de chaque demandeur d'asile, et dans le respect de l'expertise et de la compétence des officiers de protection. J'insiste sur ce point dans une période où, notamment dans la perspective de l'examen du projet de loi, des interrogations peuvent exister chez celles et ceux qui portent la politique de l'asile, et qui peuvent être inquiets. Je suis particulièrement vigilant.

Nous nous sommes donné les moyens, à l'OFPRA, d'appliquer la décision du Président de la République dans les conditions que je viens d'indiquer. Nous allons poursuivre la réduction des délais en veillant à préserver la qualité de l'instruction : on ne peut pas faire semblant d'instruire une demande d'asile. On peut réduire les délais, et nous le faisons, notamment grâce à tout un accompagnement de l'instruction par les officiers de protection, mais il y a un moment où il faut instruire en prenant le minimum de temps nécessaire, sinon on fait semblant. Au regard du respect du droit, mais aussi de la capacité à animer le collectif qui constitue l'OFPRA et qui doit poursuivre ses réformes, il y a une limite que nous ne franchirons pas.

Nous allons notamment poursuivre la réduction des délais d'instruction en veillant à ce que les personnes soient convoquées plus rapidement, après leur passage en préfecture, pour un entretien à l'OFPRA – vous savez que c'est le cas pour tous les demandeurs d'asile. Nous allons gagner du temps grâce à une véritable révolution logistique, qui est complémentaire de toutes celles que nous venons de réaliser en quatre ans. Nous allons aussi faire en sorte de notifier plus rapidement les décisions de l'OFPRA. Mais j'insiste sur un point nécessaire pour le succès de la réforme de l'asile dans laquelle nous sommes engagés : tout cela ne pourra se faire que si l'ensemble des partenaires, notamment le monde associatif, qui est si précieux pour l'application du droit d'asile dans notre pays, et les travailleurs sociaux, qui sont si indispensables eux aussi, font leur révolution culturelle du point de vue de la réduction des délais d'instruction – nous l'avons fait à l'OFPRA et nous allons continuer.

Le système français de l'asile a trop longtemps vécu avec des délais d'instruction longs. Tout le monde était concerné, y compris l'OFPRA il y a quatre ans – par manque de moyens. Les préfectures continuent très largement à fonctionner de cette manière et les travailleurs sociaux ont pris l'habitude de penser qu'ils ont du temps pour préparer et aider les personnes engagées dans une procédure d'asile. Il faut changer de fonctionnement, ce qui suppose aussi que les pouvoirs publics se donnent les moyens d'accompagner les travailleurs sociaux et que l'on réfléchisse à la place de chacun dans un mode de fonctionnement nouveau qui doit être plus rapide et, en même temps, totalement protecteur des droits, conformément à notre Constitution. Aujourd'hui, l'enjeu principal en ce qui concerne les délais est l'accès aux préfectures. Le plus souvent, on doit attendre avant d'entrer dans la procédure d'asile et de pouvoir saisir l'OFPRA.

Dans le « paquet » global de la réforme de l'asile que vous évoquiez, madame la Présidente, au-delà du projet de loi qui vous sera présenté, il s'agit de faire en sorte, comme le Président de la République l'a demandé dans un discours prononcé à Orléans à l'été 2017, que toute personne puisse être hébergée rapidement dans notre pays, que sa situation administrative soit également contrôlée rapidement, car il est légitime que l'État s'assure de la situation administrative des personnes, dans un contexte qui puisse s'y prêter et à partir du moment où les rôles de chacun sont pleinement respectés, que l'instruction de la demande d'asile puisse encore gagner en qualité et en rapidité, que l'on puisse intégrer celles et ceux qui relèvent du droit d'asile – c'est notamment l'objet des travaux de votre collègue Aurélien Taché – et que l'on puisse reconduire celles et ceux qui, in fine, ne bénéficient pas du droit au séjour.

Outre la poursuite de la réforme que l'OFPRA doit à l'exécutif et au Parlement, mais aussi l'enjeu croissant de l'accès aux préfectures, il y a bien sûr la question du système européen de l'asile. Ses insuffisances et ses failles pèsent sur nous d'une manière extrêmement concrète. J'ai participé pendant de longues années aux négociations européennes et je connais les capacités des négociateurs européens à inventer toutes sortes de choses… Mais nous sommes devant des failles qui posent de sérieux problèmes dans une période où les Européens et les Français s'interrogent sur leur capacité à accueillir comme ils doivent le faire.

L'OFPRA est confronté à deux types de situations problématiques et assez paradoxales. Nous avons vécu pendant des années avec le règlement dit « Dublin » sans qu'il corresponde à grand-chose dans la réalité. Je suis quasiment né en tant que diplomate avec ce règlement… Au niveau des préfectures françaises, moins de 10 % des personnes en relevaient auparavant : la plupart de ceux qui arrivaient aux frontières extérieures de l'Union européenne ne voyaient pas leurs empreintes relevées à leur passage. La situation a changé depuis deux ans, c'est-à-dire depuis la crise européenne de l'asile qui a eu lieu à partir de la fin 2014, notamment en lien avec le drame syrien. Les empreintes ont alors été prises et le ministère de l'intérieur indique désormais que près de la moitié des demandeurs d'asile dans les préfectures françaises relèvent du règlement « Dublin ». Ce qui était marginal est donc devenu central.

La première conséquence paradoxale pour l'OFPRA est que des personnes dont la demande d'asile a fait l'objet d'une décision dans un autre pays européen – par hypothèse, un rejet – arrivent en France, notamment depuis le Nord de l'Europe. Elles sont placées en procédure « Dublin » non seulement parce qu'elles ont laissé leurs empreintes, mais aussi parce qu'une décision a été prise sur leur demande d'asile. Ces personnes attendent pendant de longs mois : le plus souvent, en effet, la réadmission ne fonctionne pas ; puis, en l'état actuel du droit européen, elles viennent à l'OFPRA. Je me trouve donc dans une situation où je dois demander aux officiers de protection d'instruire des demandes d'asile pour la deuxième fois dans l'espace européen. Chacun voit aisément que cela ne correspond pas à une grande rationalité. Nous sommes devant une difficulté.

Il existe, plus qu'on ne le croit, un certain niveau d'harmonisation entre les OFPRA européens, car des directives ont établi des normes de référence communes – la convention de Genève et la protection subsidiaire –, ainsi que des règles de procédure communes, mais nous conservons des différences de taux de protection dans certains cas. Je vais vous en donner l'explication d'une manière très diplomatique, en me concentrant sur ce qu'est le statut de l'OFPRA. Nous sommes indépendants, conformément à la loi, mais il n'est pas certain que le système fonctionne exactement de cette manière un peu partout en Europe. L'OFPRA est indépendant, ce qui veut dire que nous ne connaissons que le droit d'asile. Nous l'appliquons strictement : les autres considérations n'entrent pas dans notre compétence, non pas parce que nous serions ignorants de la réalité – je vous l'ai décrite, les taux de protection le montrent aussi, et c'est ce qui nous conduit à accélérer le traitement de l'instruction pour un certain nombre de pays d'origine, de manière à donner un signal montrant que l'on n'utilise pas la bonne porte –, mais parce que notre compétence est d'appliquer le droit d'asile et lui seul. Je ne suis pas certain que le statut des homologues de l'OFPRA dans d'autres États membres soit tout à fait comparable – je suis même assez certain que ce n'est pas le cas.

Sur la base d'analyses partagées de la situation dans les pays d'origine et de références juridiques communes, on arrive à des taux de protection qui ne sont pas toujours les mêmes. Pour notre part, je le répète, nous appliquons le droit d'asile et rien d'autre. Je m'en tiens à l'exigence qui m'est imposée par les textes quant à la distinction que vous évoquiez, et que le Président de la République a rappelée, entre ceux qui relèvent de l'asile et ceux qui relèvent de la politique migratoire. Les uns ne sont pas supérieurs aux autres, mais il existe des registres juridiques, politiques, historiques et constitutionnels distincts. Il en résulte que l'accueil de celles et ceux qui fuient les guerres et les persécutions relève dans notre pays, comme ailleurs, mais particulièrement chez nous et dans notre histoire, d'un cadre juridique, de politiques publiques et d'une mobilisation citoyenne qui sont particuliers. La politique migratoire est une autre question. C'est un terrain sur lequel je me garde bien de venir, conformément à la mission qui est la mienne.

Dans le cadre du système « Dublin », des personnes arrivent à l'OFPRA alors qu'elles ont déjà été déboutées et qu'elles devraient faire l'objet d'une réadmission très vite. J'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises, et je vous le dis très directement, que je ne souhaite pas revoir ces demandeurs d'asile à l'OFPRA : il n'y a aucune raison. Mais nous avons aussi affaire à des personnes – elles semblent d'ailleurs majoritaires parmi celles et ceux qui sont « dublinés » en France – qui n'ont pas fait l'objet d'une décision sur leur demande d'asile ailleurs en Europe, mais qui ont laissé des empreintes. Elles n'ont pas demandé l'asile – on sait bien dans quelles conditions cela se passe. Lorsqu'elles arrivent dans un autre pays, comme la France, ces personnes sont également placées en procédure « Dublin » et, dans l'état actuel des réadmissions, la plupart d'entre elles finissent par saisir l'OFPRA. On a alors perdu des mois, au détriment de ces personnes et de celles et ceux qui les accompagnent – je pense notamment aux élus –, avec les coûts d'hébergement que cela implique par ailleurs. Il y a un dysfonctionnement – le Président de la République a utilisé ce terme.

Du point de vue de l'OFPRA, et je ne peux m'exprimer que selon cette perspective, le seul élément qui importe est que la demande d'asile soit instruite, dans de bonnes conditions. Si « Dublin » fonctionne, je signe. Mais si cela ne fonctionne pas, il faut peut-être envisager autre chose. Je trouve dans le discours du Président de la République à la Sorbonne des éléments qui doivent notamment nous permettre de faire fonctionner les hotspots comme ils le devraient : il faudrait qu'ils soient des lieux où l'on instruit les demandes d'asile, sur place, et je pense que les Européens en sont capables, avant d'accueillir celles et ceux qui relèvent du droit d'asile dans les États membres et de reconduire celles et ceux qui n'en relèvent pas vers leur pays d'origine – ce serait le rôle de Frontex. Le Président de la République a évoqué un OFPRA européen, comme vous l'avez rappelé. J'y suis extrêmement favorable, car cela permettrait de mettre un terme à des situations qui sont aujourd'hui disparates, pour peu que cet Office soit indépendant, comme le législateur français a décidé que nous le soyons, pour des raisons d'efficacité du droit d'asile et des reconduites. Il est tout à fait essentiel que chacun et chacune puisse se convaincre qu'il y a bien une institution, placée sous le contrôle d'un juge, qui statue sur les questions de droit d'asile, comme en France : lorsqu'une protection n'est pas accordée, la reconduite s'impose alors, s'il n'y a pas d'autre titre de séjour.

Le débat européen porte également sur la question des pays tiers sûrs, concept dont j'ai été extrêmement heureux que l'exécutif décide de ne pas le faire figurer dans son projet de loi car c'est un concept étranger au droit français.

Autant le concept de pays d'origine sûr est, lui, totalement conforme à notre droit, puisque, même s'il s'agit d'instruire plus vite les demandes d'asile, les demandes formulées par les ressortissants de pays d'origine sûrs font l'objet d'un examen au fond, autant le concept de pays tiers sûr relève d'une tout autre logique, puisque le dossier d'un demandeur d'asile passé par un pays tiers sûr ne fait pas l'objet d'un examen au fond, et ce, quel que soit son pays d'origine. Ce n'est pas la pratique de l'OFPRA. Cela étant, il nous appartiendra encore de faire en sorte que les choix que fera le Conseil européen en la matière s'accordent aux nôtres.

J'aborderai pour conclure la question des projections de l'OFPRA hors du territoire national. Ces projections s'effectuent à deux titres : d'abord la relocalisation, ensuite la réinstallation.

En ce qui concerne la relocalisation, l'OFPRA a, dans le cadre de nos engagements européens, projeté à partir de 2015 des équipes en Grèce, pour accueillir des réfugiés syriens, irakiens et, marginalement, érythréens dans notre pays. De 2015 à 2017, des équipes de l'OFPRA se sont ainsi succédé chaque mois à Athènes, de manière à entendre les demandeurs d'asile sur place, et ce sont plusieurs milliers de personnes qui ont pu être accueillies dans notre pays, dans ces conditions, après les contrôles sécuritaires mis en place par le ministère de l'intérieur.

Ce dispositif s'est arrêté en Grèce parce qu'il n'y a plus là-bas de personnes relevant des critères de la relocalisation, qui d'ailleurs s'est arrêtée au niveau européen, à ma grande surprise. Le Président de la République a néanmoins souhaité que l'OFPRA poursuive cette action en Italie. Nous continuons donc, et allons prochainement envoyer dans la Péninsule une seconde mission chargée d'entendre sur place des demandeurs d'asile érythréens, en besoin manifeste de protection, de manière à les accueillir ensuite dans notre pays dans de bonnes conditions.

C'est désormais la réinstallation qui est l'action principale de l'OFPRA hors du territoire national. À partir de 2014, l'OFPRA a projeté des équipes de protection en Égypte, au Liban, en Jordanie puis en Turquie pour entendre des demandeurs d'asile syriens enregistrés par le HCR, de manière à s'assurer de leur besoin de protection sur place et à les accueillir après les contrôles sécuritaires diligentés par le ministère de l'intérieur. L'OFPRA poursuit ces missions au Liban, en Jordanie, en Turquie et, conformément à l'annonce du Président de la République au cours de l'été 2017, nous avons engagé des dispositifs comparables en Afrique : depuis le mois de novembre dernier, nous avons ainsi réalisé deux séries de missions au Niger et au Tchad, afin, là encore, d'entendre des demandeurs d'asile en majorité soudanais ou darfouris, ainsi que des personnes évacuées de Libye par le HCR au Niger.

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