Intervention de Pascal Brice

Réunion du mercredi 14 février 2018 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Pascal Brice, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) :

Monsieur Nadot, en ce qui concerne la grève à la CNDA, vous comprendrez que je ne m'exprime pas sur la situation d'une autre institution, d'autant qu'il s'agit de mon juge. Je n'esquiverai cependant pas la question qui m'a été posée par ailleurs sur la manière dont les officiers de protection de l'OFPRA, qui sont sous ma responsabilité, se préparent à mettre en oeuvre les dispositions que contient le projet de loi qui va prochainement être soumis à votre examen.

Au-delà des questions de nature politique dans lesquelles je n'entrerai pas, notre volonté est bien de poursuivre la réduction des délais – puisque il s'agit de l'élément-clé de ce projet de loi en ce qui concerne le droit d'asile –, dans le respect des droits de chaque demandeur d'asile comme du travail d'expertise des officiers de protection. Nous ne savons pas faire autrement.

J'entends d'autant mieux l'inquiétude des agents de la CNDA qu'une inquiétude similaire existe à l'OFPRA et que je n'exclus pas qu'elle puisse se manifester au grand jour. Je travaille donc depuis que j'ai pris mes fonctions, et en particulier depuis que le Président de la République a insisté sur cette réduction des délais d'instruction, à y préparer mes équipes. C'est la raison pour laquelle je tiens à dire ici, comme je l'ai dit à mes autorités de tutelle, que le temps strictement consacré à l'instruction, c'est-à-dire le temps qui s'écoule entre le moment où l'officier de protection reçoit le dossier du demandeur d'asile et celui où il va prendre la décision, est désormais quasiment incompressible, tant nous avons tout fait, depuis quatre ou cinq ans, pour le réduire.

Nous l'avons réduit dans un souci d'harmonisation des procédures mais également parce que, lorsque le taux de protection dans les pays d'origine est très faible, nous devons aller vite.

Ce n'est donc pas sur la conduite de l'instruction en tant que telle que va porter l'effort supplémentaire mais sur tout ce qui touche à l'organisation logistique. Nous allons en premier lieu faire en sorte que la convocation à l'entretien de l'OFPRA intervienne plus rapidement. Ce n'est pas rien, car l'OFPRA, ce sont quatre cents entretiens par jour, dans cent dix langues différentes, et donc autant de prestations d'interprétariat. L'effort va donc toucher le management et les systèmes d'information, sans porter atteinte ni à la qualité de l'instruction ni aux droits des demandeurs d'asile. Telle est la réponse que je peux apporter aujourd'hui aux inquiétudes qui se font jour. J'ai la conviction d'être engagé, depuis quatre ou cinq ans, avec les équipes de l'OFPRA, dans une véritable révolution culturelle, qui nous permet aujourd'hui de conjuguer qualité et rapidité de l'instruction.

Monsieur Nadot, vous avez également évoqué le rôle de notre division de l'information, qui alimente les officiers de protection sur la situation dans les pays d'origine. Elle le fait à partir des renseignements rapportés par des missions envoyées sur place : une mission revient ces jours-ci d'Haïti, une autre du Nigeria, une troisième de Guinée. Elle travaille également avec des universitaires et des chercheurs, et collecte toute une série de données qui permettent d'étudier la situation individuelle des demandeurs d'asile, en procédant à des vérifications de concordance entre leur témoignage et la situation dans le pays d'origine.

Je redis ici qu'au nom de l'indépendance de l'OFPRA, la division de l'information établit ses analyses en toute indépendance. Il nous arrive de travailler avec le Quai d'Orsay, mais les objectifs de la diplomatie française ne sont pas les nôtres – qui sont de veiller à l'application du droit d'asile – et, étant moi-même diplomate, je sais pertinemment que, lorsque j'interrogerai les ambassadeurs en poste dans tel ou tel pays, ils me répondront invariablement que tout va bien.

Quoi qu'il en soit, je vous confirme que bienveillance et rigueur continueront d'être les maîtres-mots de l'action menée par l'OFPRA, et ce malgré le raccourcissement des délais.

Monsieur Tessier vous m'avez interrogé sur les déboutés. Vous devinez combien je suis conscient de l'importance de cette question pour le bon fonctionnement du système de l'asile français. Cela étant, je me permets de vous redire combien je veille à ne jamais transgresser la règle que je me suis fixée, qui est de jamais me positionner sur le terrain de la politique migratoire. Or la question des déboutés relève de la responsabilité du ministère de l'intérieur et des préfets.

Ne voulant néanmoins pas avoir l'air d'esquiver la question, je vous répondrai que l'OFPRA a malgré tout une forme de responsabilité en la matière. Le point d'entrée des missions de l'OFPRA, c'est la protection des demandeurs d'asile qui s'applique quand elle a lieu d'être. Mais, pour que l'ensemble du système de l'asile fonctionne, il faut que celles et ceux qui n'ont plus le droit au séjour soient reconduits aux frontières.

Pour nommer ces femmes et ces hommes qui viennent en France chercher refuge, les technocrates parlent de « flux mixtes », expression qui renvoie à la réalité de ces migrants qui, pour partie, relèvent du droit d'asile et, pour partie, n'en relèvent pas. C'est bien parce que nous sommes parfaitement conscients que le droit d'asile ne s'applique pas toujours que nous faisons en sorte d'instruire les dossiers dans des délais particulièrement courts, notamment ceux albanais ou haïtiens, à Cayenne. Là se situe la responsabilité de l'OFPRA, la question des reconduites relevant des préfets et du ministère de l'intérieur. Pour notre part, nous assumons notre responsabilité, toute notre responsabilité mais seulement notre responsabilité.

Monsieur Son-Forget, vous m'avez interrogé sur les rapports avec les pays d'origine et de transit. Ils ne relèvent pas complètement de la compétence de l'Office. Reste que j'ai une conviction en la matière : au vu des migrations qui se développent, je crois qu'il y a une responsabilité partagée, comme on l'a constaté avec la Libye, des pays d'origine, des pays de transit et des pays d'accueil. Dans l'approche générale de ces questions de migration, avec leur impact sur la demande d'asile en France, la question de l'aide au développement des pays d'origine est centrale, tout comme la capacité de travailler avec les pays de transit. Enfin, et vous devinez que pour l'OFPRA c'est essentiel, lorsque quelqu'un arrive sur le sol européen et notamment sur le territoire de la République, la Constitution s'applique pleinement : toute personne doit pouvoir voir sa demande d'asile instruite dans de bonnes conditions.

Je vous remercie par ailleurs de m'avoir interrogé sur le HCR car c'est pour nous un partenaire essentiel. Il est d'ailleurs membre du conseil d'administration de l'OFPRA. Le travail que nous réalisons avec lui dans le cadre de nos missions de réinstallation au Proche-Orient et en Afrique est de très grande qualité. Je tiens à insister sur le fait que s'il y a une institution internationale dans laquelle il faut investir, c'est bien le HCR. Si nous voulons être cohérents avec nous-mêmes, nous devrions en effet lui donner, notamment au niveau européen, des moyens substantiels.

Monsieur Naegelen, vous me demandez mon avis sur un texte en cours de discussion à l'Assemblée, aussi ne vous étonnerez-vous pas que je sois peu loquace sur ce point car je n'ai pas à m'immiscer dans vos débats. Je rappellerai seulement que, concernant les accords de Dublin, du point de vue de l'OFPRA, la seule chose qui compte est que la demande d'asile soit instruite dans de bonnes conditions, c'est-à-dire respectueuses des droits de chacun. Si c'est le cas, et il s'agit de demandeurs d'asile qui n'ont pas, en tant que tels, commis d'actes répréhensibles, alors vive Dublin ! Si le système continue à ne pas fonctionner, il faut s'interroger et le vote du Parlement européen est à cet égard très précieux, de même que les perspectives dessinées par le Président de la République.

Madame Dumont, vous souhaitez connaître mon point de vue sur la disposition du projet de loi visant à réduire le délai permettant à une personne, après son arrivée sur le territoire, d'engager la procédure d'asile – délai qui d'ailleurs concerne plus les préfectures que l'OFPRA. Avec toute la réserve qui doit caractériser le commentaire d'un texte encore à l'examen du Conseil d'État, je dirai que, du point de vue de l'OFPRA, ce qui importe, c'est de pouvoir exercer la protection quand il y a lieu – nous sommes quelque peu monothématiques... Nous nous réjouissons de toute disposition nous permettant d'exercer cette mission dans les meilleures conditions possibles. Que le législateur souhaite modifier le délai dans lequel une personne peut entamer une procédure d'asile, en soi, cela ne me choque pas et, au-delà, du point de vue de l'OFPRA, cela n'a rien de choquant. Il paraît naturel que les personnes puissent engager rapidement une procédure d'asile. En même temps, nous savons tous, pour le vivre, qu'il n'y a pas d'évidence à demander l'asile rapidement. De nombreuses personnes ne sont pas accompagnées et il y a une inégalité entre elles et les personnes qui seront rapidement prises en charge par des associations, les pouvoirs publics ou les collectivités locales et vont donc pouvoir entamer assez vite les démarches. Autre cas, la situation des femmes qui font l'objet d'une exploitation sexuelle en France comme dans d'autres pays européens justifie vraiment un accompagnement très particulier pour les raisons que j'ai déjà évoquées : protéger quand il y a lieu et ne pas se laisser instrumentaliser par les proxénètes.

En somme, il semble normal qu'un délai soit fixé ; il faut simplement veiller à ce que les personnes soient mises en situation de pouvoir engager la procédure de demande d'asile. Je vous confirme, madame Dumont, que le passage du délai d'instruction à deux mois est crédible dès lors que la demande d'asile n'augmenterait pas à un rythme supérieur à ce qu'elle est actuellement, à savoir 15 à 17 %. Aujourd'hui, nous sommes tenus d'attendre le retour de l'accusé de réception après avoir notifié la décision. Or vous imaginez les conséquences de cette disposition pour des demandeurs d'asile qui sont à la rue. Il faut pouvoir régler ces situations en veillant à ce que les droits des demandeurs soient pleinement préservés.

Nous utilisons la vidéo-conférence et avec parcimonie : elle est nécessaire dans certaines situations, dans les centres de rétentions très éloignés par exemple et, dans ce cas, je veille à ce que les conditions de confidentialité absolue soient respectées. Cet outil précieux doit néanmoins rester marginal.

Madame Autain, les moyens de l'OFPRA, et j'en remercie à nouveau le Parlement, ont été régulièrement augmentés depuis quatre ou cinq ans : ses effectifs ont pratiquement doublé en quatre ans – ce que j'évite de dire à des collègues appartenant à d'autres administrations… L'investissement a donc eu lieu et vous l'avez complété dans la loi de finances pour 2018. Au vu de l'augmentation de la demande d'asile, je considère que nous disposons des moyens d'agir. Comme toute administration qui se respecte, nous avons encore quelques besoins mais moins, il me semble, que les préfectures.

Quant aux réfugiés climatiques, c'est pour nous un motif de préoccupation et je dirai que cela fait partie des situations de détresse humanitaire qui mettent l'OFPRA en difficulté parce qu'elles ne correspondent pas aux critères du droit d'asile. C'est également le cas des personnes « détruites » en Libye. Reste que, d'un point de vue très personnel, j'estime qu'il serait périlleux de vouloir réformer la convention de Genève en l'état actuel du monde : je suis assez convaincu en effet que le résultat serait moins protecteur aujourd'hui qu'il ne le fut en 1951. Je suggère par conséquent – et de façon très intéressée – que les réfugiés climatiques fassent partie des catégories pour lesquelles on définisse des outils juridiques à l'échelon européen et international.

Monsieur Lecoq, vous m'interrogez sur les critères du droit d'asile. Ils sont fixés par la convention de Genève : un engagement personnel, à différents titres, une situation de conflit généralisée dans un pays – comme la Syrie – ou une région d'un pays – c'est le cas de nombre d'entre elles en Afghanistan –, des traitements inhumains et dégradants. Nous croisons ces critères avec ce que nous savons de la situation dans le pays d'origine – c'est le travail d'une division de l'OFPRA. Le droit est évolutif : nous protégeons des homosexuels et des lesbiennes – qui relèvent de la convention de Genève –, ce qui était plus rarement le cas il y a vingt ans. Il revient donc à l'OFPRA d'appliquer ces critères de manière bienveillante et rigoureuse, en tenant compte de l'évolution jurisprudentielle du droit.

J'en viens enfin, madame la présidente, à votre question sur les déboutés. Ce sont les accords de Dublin qui sont censés régler leur situation : ils précisent qu'un demandeur d'asile qui a fait l'objet d'une décision de rejet dans un autre pays d'Europe doit repartir et être de nouveau admis dans ce pays. Cette disposition a une incidence directe sur le travail des officiers de protection puisqu'ils doivent instruire des demandes qui ont déjà été rejetées ailleurs. La solution de court terme consiste à mettre l'accent sur ces personnes-là, dans l'application du règlement Dublin, plutôt que sur celles qui n'ont fait que laisser des empreintes en arrivant. Surtout, il faut pouvoir renégocier un système européen qui permette aux OFPRA européens de se reconnaître mutuellement et, dans l'idéal – un idéal que je crois atteignable –, créer un OFPRA européen indépendant qui permette de statuer sur les demandes d'asile.

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