Intervention de Michel Sapin

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 9h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Michel Sapin, ancien ministre :

Je crois que la volonté politique de s'attaquer à la corruption dans la vie économique est aujourd'hui partagée. J'ai ainsi constaté, lors des débats sur la loi Sapin II, qu'il existait un parfait consensus non seulement sur son objectif – personne n'est favorable à la corruption – mais aussi sur la volonté d'y consacrer des moyens efficaces, même si l'on peut toujours surenchérir sur tel ou tel point. En ce qui concerne les chefs d'entreprise et les conseils d'administration, cet impératif est désormais très bien intégré. Des décisions sont même prises en matière d'organisation ou de gouvernance qui font de la compliance un sujet stratégique fondamental parce qu'il y va de la défense des intérêts de l'entreprise et de son image et parce qu'il n'est pas interdit à des chefs d'entreprise ou aux représentants des actionnaires d'être sensibles à l'égalité et à la morale.

Ensuite, la question qui peut se poser est celle de l'application de ces principes au niveau opérationnel. On connaît le raisonnement : il faut bien conquérir des marchés face à des concurrents qui ne sont pas des enfants de choeur… Il est donc nécessaire que la volonté centrale, de l'État et des entreprises, passe outre ces réticences, au demeurant compréhensibles de la part de personnes qui sont payées en fonction du nombre de marchés obtenus. Mieux les plans de lutte contre la corruption seront conçus par les entreprises, plus les personnels seront formés, plus ils subiront une pression morale et non plus exclusivement commerciale de leur hiérarchie, et plus les acteurs locaux comprendront que la situation a évolué. En outre, cette démarche progresse globalement au niveau international, même chez ceux qui sont le plus souvent soupçonnés d'agir ainsi. Je crois donc que nous sommes engagés dans une spirale positive.

Existe-t-il des trous dans la raquette ? Vous savez, puisque vous avez eu la gentillesse de citer la loi Sapin, que j'ai une expérience de vingt-cinq ans dans ces domaines. Je suis de ceux qui considèrent qu'il n'existe pas de monuments législatifs parfaits et immuables. Sur certains points, des améliorations seront donc peut-être nécessaires mais, puisque cette législation a été adoptée, commençons par l'appliquer et appliquons-la suffisamment longtemps pour pouvoir en juger. Surtout, ne succombons pas à un mal, hélas ! fréquent, quelle que soit la majorité, qui consiste à revenir sur ce qui a été fait en adoptant une nouvelle disposition avant même que la précédente ait pu être appliquée. Les entreprises se sont saisies de ce sujet à bras-le-corps ; elles ont besoin de temps, de même que leurs conseils. Si j'avais un conseil à donner, ce serait donc de privilégier la stabilité et la visibilité dans l'application. Dans quelques années, bien entendu, il faudra faire le point et, s'il est besoin d'aller plus loin dans certains domaines, libre au législateur de le faire. Vous avez souligné – et cela m'a fait plaisir non seulement pour moi, mais aussi pour mon pays – la perception positive que l'on a à l'étranger de la loi Sapin II. Jouons donc sur le fait que la France a adopté les bons standards et que ses entreprises ont compris l'enjeu : leur développement en bénéficiera.

Sur la loi de blocage, je n'ai pas d'opinion très arrêtée. Elle était, je crois, légitime, elle a pu être utile, mais j'ai le sentiment qu'elle est perfectible. J'évoquais à l'instant la nécessaire stabilité de la législation. En l'espèce, nous avons le recul suffisant pour envisager de la perfectionner. Le contexte a changé : les marchés ont évolué avec l'ouverture des économies et la mondialisation. Je n'ai aucun conseil à donner, mais il ne me paraît pas illégitime de s'intéresser à une éventuelle évolution de la loi de blocage.

Enfin, s'agissant des moyens, votre question est forcément pertinente. Les magistrats concernés, en particulier le parquet national financier – Mme Houlette et ses troupes –, ont beaucoup de travail et réclament, à juste titre, des moyens supplémentaires. Dans le cadre de la loi Sapin II, cette question ne concernait que l'AFA. Puisque j'avais l'avantage d'être également ministre des finances, j'ai donc veillé à ce que les moyens alloués, dans le budget pour 2017, à cette agence dotée de compétences très larges soient à la hauteur des besoins. Peut-être faudra-t-il, à terme, que ses compétences évoluent. Je pense en particulier à la dimension internationale, qui est absolument décisive : l'AFA doit établir des liens de confiance avec ses interlocuteurs étrangers. Mais il me semble qu'elle dispose actuellement de moyens suffisants. Quant à la justice française, l'évolution de ses moyens est certainement nécessaire. Mais, lorsque j'étais ministre de la justice, en 1991, c'était déjà le cas.

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