Intervention de Olivier Marleix

Réunion du mercredi 21 mars 2018 à 17h30
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix, président :

Mes chers collègues, nous recevons à présent M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Monsieur le ministre, notre commission d'enquête s'intéresse au rachat d'entreprises françaises, notamment Alstom et Alcatel, par des groupes étrangers, européens ou non. En tant que parlementaire, puis ministre de la défense, vous vous êtes montré particulièrement actif dans le soutien apporté aux entreprises industrielles françaises pour qu'elles mènent à bien leurs négociations internationales à l'exportation. Si c'est au ministre de l'Europe et des affaires étrangères que nous nous adressons aujourd'hui, nous n'excluons donc pas de solliciter la mémoire de celui qui fut, pendant cinq ans, ministre de la défense.

Différents volets de la diplomatie économique sont au coeur des réflexions de notre commission d'enquête.

Le premier d'entre eux concerne la place qu'occupe actuellement votre ministère dans le secteur économique. Au cours de son histoire, le Quai d'Orsay n'a pas toujours classé au rang de ses priorités les relations d'affaires des entreprises françaises avec l'étranger. Des progrès évidents ont été accomplis au cours des dernières années, notamment grâce au rattachement, à l'initiative de Laurent Fabius, des services du commerce extérieur. Ainsi constate-t-on, en parcourant l'organigramme du Quai, qu'au sein de la Direction générale de la mondialisation, créée il y a moins de dix ans, se trouve désormais une Direction des entreprises, de l'économie internationale et du tourisme, qui abrite même une Mission de soutien aux secteurs stratégiques. Sans anticiper la question sur ce sujet que ne manquera pas de vous poser notre rapporteur Guillaume Kasbarian, il serait intéressant que vous nous indiquiez ce qui, selon votre ministère, relève de ces secteurs stratégiques.

Le Quai est également copilote d'un opérateur de l'État, Business France, dont nous avons récemment entendu le directeur. Il serait également intéressant que vous nous disiez comment s'organise la coopération entre vos services et ceux de Bercy, qui ambitionnent également de jouer un rôle dans la promotion économique de nos territoires à l'étranger.

Deuxièmement, nous souhaiterions connaître – et nous faisons ici appel à votre double expérience – votre sentiment sur le contrôle des investissements étrangers en France dans les secteurs stratégiques, actuellement exercé par une sous-direction de la direction générale du Trésor. Or, j'ai parfois le sentiment que, si le ministère de la défense ne sonne pas l'alerte, il ne se passe pas grand-chose dans le cadre de cette procédure de contrôle. Le ministère des affaires étrangères y est-il associé, notamment pour identifier et connaître les entreprises qui se portent acquéreuses de nos fleurons ?

Nous souhaiterions vous entendre également sur le projet de règlement européen, en cours d'élaboration. Celui-ci est la réponse à une initiative française que le Président de la République avait appelée de ses voeux et qui a pris la forme d'une lettre des ministres de l'économie français, allemand et italien. J'ai cru comprendre, cependant, que ce projet de règlement était moins intégrateur que ne le souhaitait initialement la France, puisque les États membres resteront compétents pour juger de ce qui relève de l'ordre public et de la sécurité nationale. Pouvez-vous nous présenter la ligne défendue par la France dans le cadre de l'élaboration de ce projet de règlement ?

Troisième volet de la diplomatie économique : la défense des intérêts des entreprises françaises, ainsi que de leurs salariés, lorsque celles-ci rencontrent de graves difficultés à l'étranger. Cette question prend, depuis quelques années, une forme nouvelle, sous l'effet de la force déstabilisatrice de la législation anglo-saxonne, principalement américaine, à portée extraterritoriale. Ne sommes-nous pas désarmés, notamment au plan juridique, à cause d'une perception trop faible de ces dispositifs ? Je fais allusion non seulement aux procédures anticorruption, mais aussi au contrôle par les États-Unis du respect des embargos, qui sont pourtant parfois prononcés de manière unilatérale par ce pays. J'ai à l'esprit l'amende record de près de 9 milliards de dollars infligée à BNP Paribas en 2014 et celle de 772 millions de dollars infligée à Alstom, mais je pourrais citer également Alcatel, Technip…

Dans ces différents dossiers, nous nous sommes aperçus qu'il existait un véritable flottement dans la mise en oeuvre de ce que l'on appelle la loi dite « de blocage », qui est censée interdire à une entreprise française de communiquer, fût-ce dans le cadre d'une procédure juridictionnelle, toute information sensible, notamment commerciale, à une autorité étrangère sans l'autorisation du Gouvernement. Depuis la loi « Sapin 2 », la mise en oeuvre de la loi « de blocage » est confiée à l'Agence française anticorruption (AFA), mais nous n'avons pas réussi à comprendre qui jouait ce rôle auparavant – et votre haussement de sourcils, monsieur le ministre, me conforte dans cette appréciation.

J'ai cité les dossiers « Alcatel » et « Alstom », pour le passé ; aujourd'hui, la situation d'Airbus est un sujet de préoccupation puisque la réorganisation du management et du réseau commercial mondial de l'entreprise a débuté.

Au-delà des entreprises elles-mêmes, leurs collaborateurs peuvent faire les frais de ces procédures. Dans l'affaire Alstom, le ministre de l'économie d'alors, Arnaud Montebourg, et Mme Revel, qui était à l'époque Déléguée à l'intelligence économique, nous ont dit ne pas avoir eu connaissance que le vice-président d'une filiale de cette entreprise, Frédéric Pierucci, avait été arrêté aux États-Unis dans le cadre d'une procédure anticorruption. Mme Revel nous a eu connaissance de cette information trois ans après avoir quitté ses fonctions ! La pression exercée – peut-être à bon droit, du reste – par la justice américaine sur un citoyen français, cadre dirigeant d'une entreprise qualifiée de stratégique par le Gouvernement, était pourtant un signe précurseur qu'il importait de ne pas rater pour comprendre les menaces qui pesaient sur l'entreprise Alstom. Le fait que ni le ministre de l'économie ni la Déléguée à l'intelligence économique n'aient eu accès à cette information nous interpelle. À votre connaissance, monsieur le ministre, même si vous n'occupiez pas les mêmes fonctions à l'époque, cette information est-elle remontée jusqu'à l'exécutif par le réseau consulaire et, dans l'affirmative, qu'en est-il advenu ?

Avant de vous donner la parole, je vais vous demander, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment.

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