Intervention de Robin Reda

Séance en hémicycle du mardi 3 avril 2018 à 15h00
Débat sur l'application d'une procédure d'amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRobin Reda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le co-rapporteur, je me félicite que ce débat sur le rapport d'information relatif à l'application d'une procédure d'amende forfaitaire au délit d'usage illicite de stupéfiants soit inscrit à l'ordre du jour de cette semaine de contrôle du Gouvernement, car cela permettra de mettre en lumière nos conclusions devant l'ensemble de nos collègues députés. Je prends cette occasion comme une seconde chance d'être entendu sur le fond.

Je m'interroge cependant sur les objectifs de cet échange avec le Gouvernement, particulièrement au vu du calendrier choisi. Si les conclusions de notre rapport me semblent évidemment utiles au débat public, je doute qu'elles le soient vraiment pour le Gouvernement. En effet, M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, annonçait dès mai 2017 l'application de l'amende forfaitaire délictuelle à l'usage de stupéfiants dans les colonnes d'un journal national, indiquant même que ce dispositif devait être instauré « dans les trois ou quatre mois ». Autrement dit, la décision semblait prise avant même que n'ait été confiée au Parlement – à Éric Poulliat et à moi-même – la mission consistant précisément à évaluer la pertinence du dispositif.

En dépit de cette incohérence, nous avons reçu plus d'une centaine de personnes au cours de vingt-neuf auditions, effectué deux déplacements à Lille et à Versailles, et rencontré en différentes occasions les forces de l'ordre de nos circonscriptions.

Le sujet est complexe. La justice fait face à un contentieux de masse ; les usagers de stupéfiants présentent des profils de consommation très différents selon que leur consommation est récréative, régulière ou qu'elle caractérise une toxicomanie, et la réponse pénale au phénomène est très diverse – on peut dire que nous avons une loi très dure sur le papier, mais dont l'application est assez molle.

L'enjeu est donc clair : une réforme en profondeur est nécessaire.

Notre rapport d'information est publié sur le site internet de l'Assemblée nationale. Chacun est libre d'en consulter les conclusions dans leur exhaustivité. C'est d'ailleurs depuis plusieurs législatures que Les Républicains se sont investis dans ce dossier ; un rapport de notre collègue Laurent Marcangeli avait été publié sur le sujet au cours de la précédente législature.

Je regrette le champ restreint de la mission qui nous a été confiée, car le débat est beaucoup plus vaste : il faut envisager le problème des stupéfiants sous l'angle à la fois de la consommation, de l'usage et des trafics, et l'on ne peut débattre du maintien de l'ordre public sans parler des causes de l'explosion de l'offre de drogues dans notre pays ni des moyens de lutter efficacement contre ses conséquences.

Dans ce champ restreint, j'ai conclu à titre personnel à la nécessité de faire de l'usage de stupéfiants l'objet d'une contravention pénale : une contravention de cinquième classe d'un montant de l'ordre de 150 à 200 euros que les forces de l'ordre pourraient infliger immédiatement sans recourir au parquet, des peines complémentaires, notamment à visée sanitaire, pouvant être appliquées.

Il ne s'agit ni d'une dépénalisation ni d'une légalisation. Dépénaliser reviendrait à tolérer un marché noir, insupportable pour les Français ; légaliser serait une marque de paresse : ce serait baisser les bras et abandonner la jeunesse aux dangers bien connus de la drogue. Il faut au contraire durcir les sanctions.

Cette mesure pragmatique répond donc aux attentes des élus locaux, des maires, des citoyens, qui ne comprennent pas pourquoi, en ville, il est parfois plus simple de sanctionner la consommation d'alcool ou de tabac dans l'espace public que de réprimer l'usage de stupéfiants.

La contravention pénale implique également une sanction immédiate et homogène sur le territoire national, une notable simplification pénale pour les forces de l'ordre comme pour le parquet et un montant d'amende raisonnable, car tenant compte de la nécessité que les personnes interpellées soit solvables et accordé à l'échelle des peines. La contravention pénale, c'est le moyen de mettre fin à l'impunité actuelle et de rendre la sanction immédiate et systématique, tout en dégageant de nouveaux moyens pour la prévention, particulièrement à l'intention des plus jeunes.

Avec mes collègues du groupe Les Républicains, nous nous sommes aussi attachés à souligner que le dispositif doit donner la priorité à la lutte contre les trafics de stupéfiants. Dans cette affaire, le véritable ennemi de l'ordre public, de la santé publique, c'est le dealer – pour une raison simple : c'est lui qui crée l'offre et qui génère la délinquance, voire la criminalité, dans nos quartiers. Et comment maintenir une peine de prison pour le simple usager, qui, s'il va en prison – ce qui est loin d'être toujours le cas étant donné l'application actuelle de la loi – , retrouvera son dealer derrière les barreaux ?

Il n'est pas raisonnable de rendre encore plus complexe la procédure actuelle : il faut un changement immédiat. La contravention que je préconise est d'application plus simple que l'amende forfaitaire délictuelle dont nous débattons et qui existe théoriquement depuis plusieurs mois pour deux délits routiers, mais n'est toujours pas appliquée à cause de difficultés techniques auxquelles aucune solution n'a à ce jour été trouvée.

Notre rapport doit donc être considéré comme un point d'étape, pour une sanction plus rapide, mais aussi parce qu'il faut maintenant concentrer notre attention sur un débat beaucoup plus vaste, relatif à la prévalence de la toxicomanie dans notre pays. Que faire contre les réseaux criminels dans nos quartiers ? Que faire contre cette économie souterraine qui gagne des territoires, des familles, des existences ? Que faire contre ce phénomène qui met la jeunesse en péril par-delà les catégories sociales ? Il est temps d'ouvrir le débat, mesdames les ministres, pour une politique complète, ambitieuse, réformatrice, permettant de lutter contre l'offre de stupéfiants en France.

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