Intervention de Caroline Fiat

Séance en hémicycle du mardi 3 avril 2018 à 21h30
Débat sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Madame la ministre, quand je suis arrivée dans votre bureau le 13 mars, je peux vous l'avouer aujourd'hui, j'étais remplie d'émotion. Quel chemin parcouru ! La petite aide-soignante en avait tant parlé avec ses collègues : « Ce qu'il faudrait c'est que l'une d'entre nous puisse rencontrer la ministre, lui expliquer notre quotidien et, surtout, lui expliquer la souffrance de nos résidents… »

Quand je suis entrée dans votre bureau, j'avais l'impression que nous étions des milliers comme si, inconsciemment, tous mes collègues me suivaient. Les larmes me sont montées aux yeux, peut-être l'avez-vous remarqué.

Je ne reviendrai pas sur ce moment d'étonnement quand vous nous avez appris que vous aviez étudié le rapport depuis la veille au soir alors même que les commissaires ne l'avaient pas encore reçu.

Revenons-en à l'essentiel. Ça y est, j'étais là. J'étais face à vous, avec un rapport accablant.

Nous vous avons présenté les 31 points importants de notre rapport. Je vais revenir sur ce qui me semble le plus urgent pour enfin répondre à cette urgence sanitaire : nous vous proposons de doubler le nombre d'aides-soignants et d'infirmiers au pied du résident. Cette proposition est une norme minimale pour, enfin, remettre tout à plat et permettre à nos aînés de bénéficier du minimum de soins protocolaires. Soixante aides-soignants ou infirmiers pour cent résidents ne correspondent qu'à une heure trente de soins par résident pour vingt-quatre heures. Peut-être pensez-vous que c'est trop ?

Si certains ici ne savent pas ce que cela peut représenter, je vais leur dire. Une toilette protocolaire, c'est vingt-cinq minutes ; six changes par jour, quarante minutes – et encore, c'est rapide ; trois aides alimentaires, trente minutes. Stop, on en est à une heure trente-cinq ! Vous voyez que la norme minimale d'une heure trente n'est vraiment pas exagérée.

Votre réponse lors de notre rendez-vous m'a littéralement glacé le sang : « Je ne pense pas qu'il faille revoir les normes concernant les personnels au pied du lit du résident, car tous les résidents n'ont pas les mêmes demandes. Il faut revoir l'organisation des tâches de travail et le management. »

Vous me permettrez de revenir sur ces deux points. D'abord, concernant l'organisation des tâches et le management, je vous ai rappelé à quoi correspondait une heure trente de soins par résident. Actuellement, nous, les soignants, nous avons environ 22 minutes par résident et par jour. Vingt-deux, sur une journée de 1 440 minutes ! Vous pouvez réorganiser, vous pouvez mettre les meilleurs managers de France et de Navarre, cela ne fonctionnera pas !

Ensuite, tous les résidents n'ont pas les mêmes besoins : enfin, nous sommes d'accord ! Comme quoi il ne faut jamais désespérer. Mais si, effectivement, certains résidents peuvent se satisfaire d'un peu moins de temps, d'autres sont plus exigeants. Ils ont besoin de beaucoup plus de temps. Ah, les êtres humains ! Beaucoup de conversations et de contradictions…

Ceci étant, chaque être humain a un droit : le droit aux droits de l'homme et de la santé. Selon l'Organisation mondiale de la santé – OMS – , les droits de l'homme constituent une garantie juridique universelle de protection des individus et des groupes contre les actions portant atteinte aux libertés fondamentales et à la dignité humaine. Certaines de leurs caractéristiques les plus importantes sont les suivantes.

Ils sont garantis par des normes internationales. Alors, vivement l'exigence d'une norme minimale par l'Union européenne !

Ils sont juridiquement protégés. Cela veut-il dire, madame la ministre, que, désormais, ayant eu connaissance de notre rapport, nos aînés maltraités en EHPAD pourraient se retourner contre vous ?

Ils sont axés sur la dignité de l'être humain : avec une heure trente de soins en vingt-quatre heures, nous sommes sur le minimum de dignité !

Ils sont contraignants pour les États et leurs organismes : force est de constater que d'autres pays, comme ceux que la mission a visités, se sont véritablement emparés de ces enjeux. Le Danemark consacre 3 points de PIB à ses aînés et les Pays-Bas, 4 points. Nous sommes très en deçà puisque nous n'atteignons que 1 point.

Ces droits ne peuvent être ni suspendus, ni retirés : ce n'est pas parce que vous devenez âgé que vous perdez vos droits.

Ils sont interdépendants et indissociables. De votre plus jeune âge à vos derniers jours personne ne pourra vous contraindre à la maltraitance institutionnelle.

Ils sont universels : chacun y a droit – personne âgée atteinte de maladie neurodégénérative, personne âgée en fin de vie, personne âgée sans domicile fixe, personne âgée avec peu de revenus, personne âgée tout simplement.

Comme vous le constatez, madame la ministre, étant limitée par le temps, je n'ai pu revenir que sur la norme minimale. Je n'ai pas pu vous parler de la tarification, de l'accès en EHPAD pour toutes les personnes concernées par l'aide sociale et, hélas, encore moins des EHPAD privés lucratifs traitant nos aînés de silver gold – l'or gris, pensée indigne, exécrable, insupportable !

Pour conclure, je souhaite juste préciser que cette urgence sanitaire ne concerne, hélas, pas que les EHPAD : tous les établissements de santé souffrent. Comme je vous l'avais dit en juillet dernier, madame la ministre, en votre qualité de médecin, vous avez la possibilité de soigner notre système de santé. Ne passez pas à côté de cette occasion historique !

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