Intervention de Agnès Buzyn

Séance en hémicycle du mardi 3 avril 2018 à 21h30
Débat sur les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Je suis désolée, monsieur Ruffin, je ne vous ai pas vu revenir. Je vais donc vous parler des solutions.

Nous devons répondre à la question suivante : quel modèle de prise en charge pour les personnes âgées, aujourd'hui et demain ? Comment mieux répondre aux besoins et aux attentes des personnes âgées et de leurs familles ? Depuis que je suis arrivée au ministère, j'ai visité beaucoup d'EHPAD, presque un par semaine, et je suis frappée à la fois par l'engagement du personnel qui y travaille et par le professionnalisme du secteur, qui s'est beaucoup transformé et qui a beaucoup évolué ces trente dernières années. Nos établissements correspondent à un modèle pensé il y a trente ans, qui va devoir évoluer et se réinventer. Il devra le faire grâce à un ancrage encore plus marqué au sein des territoires et en utilisant tous les leviers de l'innovation, notamment celui que permet l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale.

Pour ce qui est de la réforme de la tarification des EHPAD, vous savez que j'ai nommé un médiateur, qui doit me rendre son rapport demain. Le point qui focalise les critiques est celui de la convergence des tarifs « dépendance » autour d'une moyenne départementale variable selon les territoires. Je rappelle en effet qu'en matière de soins, il n'y a pas de difficulté : 85 % des EHPAD gagneront des moyens supplémentaires chaque année, sur sept ans, dans le cadre de l'ONDAM – je rappellerai les chiffres tout à l'heure. C'est ce qui fait que la réforme peut continuer à s'appliquer, même si nous devons travailler sur la neutralisation des effets négatifs.

C'est sur la partie « dépendance » que les difficultés sont apparues lors la mise en oeuvre effective de la réforme. J'ai prévu, à brève échéance, une discussion sur ce sujet avec le président de l'Assemblée des départements de France car il ne servirait en effet à rien que l'État compense les effets négatifs à court terme de la réforme si c'est pour voir se rétracter les financements du côté des départements. Je souhaite que les choses soient très claires sur ce point. Ce travail de court terme pourra conduire le cas échéant à des ajustements de la réforme elle-même et à une modification du décret, sans pour autant en remettre en cause les fondements et la philosophie.

Mais il nous faut aller plus loin, et c'est pourquoi je proposerai prochainement au Premier ministre les grandes orientations d'une stratégie globale de prise en charge du vieillissement. Elle sera nourrie notamment de mes rencontres avec les acteurs du secteur : représentants des gériatres, médecins coordonnateurs, directeurs d'EHPAD, services d'aide à domicile, associations d'aidants, représentants des professionnels travaillant en EHPAD.

Pour construire une stratégie, nous ne partons pas de rien. Le PLFSS nous a déjà permis de réaliser ensemble des avancées notables au service des personnes âgées. Il en va de même de mon travail au sein du ministère : je pense à la stratégie nationale de santé et au décloisonnement qu'elle permet entre la ville et l'hôpital, entre le secteur médico-social et médical. Je pense au plan d'amélioration de l'accès aux soins et à la réflexion sur les modes de financement du système de santé. Je pense aux réformes en matière de télémédecine : il est prévu d'équiper tous les EHPAD en conséquence. Je pense à l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale, qui permet d'expérimenter des innovations organisationnelles, notamment dans le secteur médico-social. Je pense au reste à charge zéro pour les prothèses dentaires et auditives et les lunettes, qui permettent de diminuer la perte d'autonomie.

Je souhaite également que nous réfléchissions aux sujets d'avenir : le juste soin en EHPAD et l'organisation interne et territoriale pertinente pour y parvenir ; mais aussi le modèle de prise en charge de demain, entre domicile et établissement, avec la nécessité de penser de nouvelles structures plus fluides et plus agiles, qui répondent réellement aux besoins et aux attentes des personnes âgées, sans oublier l'articulation avec la ville et l'hôpital.

Je pense aussi à la prévention de la perte d'autonomie, non seulement à domicile mais aussi en établissement : j'ai présenté la semaine dernière un programme national de prévention justement pour qu'il y ait de moins en moins de personnes âgées dépendantes. Je pense également à la simplification des financements et des circuits de décision. Enfin, il faut travailler sur la question de la fin de vie, car c'est une des raisons de la désaffection du métier : les personnels qui travaillent dans les EHPAD doivent souvent affronter seuls ces situations difficiles.

Le fil conducteur de mes réflexions sera la qualité au service d'une prise en charge préservant la dignité des personnes. Je l'ai déjà dit, et je le répète : ce n'est pas seulement une question de moyens, c'est aussi une question de formation des professionnels, de regard de la société. Il s'agit de porter une attention nouvelle aux organisations et à leur fonctionnement, qui peuvent et doivent s'améliorer. De la même façon que pour les personnes handicapées, nous devons travailler à une société inclusive pour les personnes âgées.

Je termine en abordant la question des personnels des EHPAD. J'ai déjà eu l'occasion de le dire : le ratio d'un personnel pour une personne âgée en EHPAD n'est pas tenable financièrement. Nous n'avons pas les moyens de recruter à cette hauteur. L'État ne s'est d'ailleurs jamais engagé à atteindre ce ratio, contrairement à ce qui est souvent dit, car il faudrait pour cela recruter 140 000 soignants, pour un budget de plus de 7 milliards d'euros ! En revanche nous avons pris un engagement financier visant à accompagner l'augmentation de la charge de soins à hauteur de 438 millions d'euros sur les années qui viennent, ce qui représente 20 000 postes équivalent temps plein supplémentaires en EHPAD.

Nous devons faire en sorte que les personnels soient plus présents auprès des personnes les plus fragiles, et surtout améliorer la gestion de leur carrière. En effet, les EHPAD ont du mal à recruter et sont confrontés à un turn-over et un absentéisme importants. Il convient de travailler sur ce point, en construisant un véritable plan pour les métiers et les compétences, en lien avec le ministère du travail, les employeurs du secteur – fédérations, associations, entreprises, branches – et les organismes de formation publics ou privés.

Les métiers des professionnels qui travaillent en EHPAD doivent être mieux reconnus et davantage valorisés. Tous les leviers doivent être actionnés pour cela. Mes services y travaillent actuellement, dans le cadre d'un groupe de travail qui rendra ses conclusions prochainement.

Je voudrais à présent, pour répondre aux orateurs qui se sont exprimés, rappeler qu'il est difficile de faire des généralités au sujet des EHPAD et de l'âge. L'État, la société en général, dépensent 34 milliards d'euros pour la prise en charge des personnes âgées, dont 21 milliards d'euros de dépenses publiques, 10 milliards d'euros pour la seule assurance maladie. Sur le terrain, la situation est très contrastée. Les gouvernements de droite comme de gauche ont réfléchi à cette question complexe et ont proposé des réformes, mais aucune n'a clos le débat sur la meilleure manière d'accompagner le nombre de plus en plus important de personnes âgées dépendantes à l'horizon des décennies 2030 à 2050.

Une feuille de route sera donc présentée au Premier ministre : elle sera, comme je l'ai dit, ouverte à la concertation. Nous devons repenser notre modèle de prise en charge, en sortant de l'alternative binaire entre maintien à domicile et EHPAD, grâce à des solutions plus progressives. Nous devons également repenser la gouvernance du système et, comme l'a dit tout à l'heure Mme Firmin Le Bodo, simplifier les financements. Enfin, nous devrons mener des expérimentations innovantes : je compte, pour cela, sur les possibilités que nous ouvre l'article 51 de la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

J'ai retenu un certain nombre de mesures présentées dans le rapport de Mmes Iborra et Fiat : nous pouvons d'ores et déjà y travailler. Il s'agit de changer en profondeur le modèle, de rénover l'évaluation externe des EHPAD, de mener des enquêtes de satisfaction – j'ai dit que je lancerais ce processus dès 2018 – et de publier des indicateurs de qualité. Je pense que la fusion de l'ANESM – Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux – et de la HAS – Haute autorité de santé – facilitera ce travail d'évaluation.

Nous devrons aussi augmenter le nombre de places d'hébergement temporaire : je rappelle que la loi de financement de la sécurité sociale a déjà prévu 4 500 places d'hébergement en EHPAD et 1 500 places d'hébergement temporaire supplémentaires pour 2018. Le rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie – HCAAM – qui va nous être remis d'ici l'été devrait nous aider à anticiper les besoins pour les années à venir.

Nous l'avons dit : il faut mieux valoriser les personnes qui travaillent auprès des personnes âgées. Ce sont des emplois locaux, non délocalisables, dont il faudra augmenter le nombre dans les années à venir. Il faudra aussi engager des investissements dans les EHPAD les plus vétustes : nous avons d'ores et déjà prévu des crédits pour cela. La loi de financement de la sécurité sociale prévoit ainsi 28 millions d'euros pour accompagner les EHPAD les plus en difficulté, auxquels j'ai ajouté 50 millions, à la disposition des ARS, pour aider à l'investissement.

Nous devrons simplifier les normes, et travailler sur la question de l'aide sociale à l'hébergement. Nous devrons améliorer le pilotage global de cette politique, en lien étroit avec les départements – puisqu'il s'agit, vous le savez, d'une compétence décentralisée – et dans une optique de simplification.

Tous ces chantiers ont déjà été lancés, ou sont déjà prévus. Je suis donc en phase avec la majorité des propositions de ce rapport. Nous allons travailler sur le moyen et le long terme, et ouvrir ensemble le chantier du financement de la dépendance.

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