Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 5 avril 2018 à 15h00
Accueil des gens du voyage et lutte contre les installations illicites — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, cette proposition de loi vise à modifier les dispositions légales concernant la vie itinérante en France. Elle constitue, de notre point de vue, une régression de la législation existante, qui imposait aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale de garantir l'accueil de nos concitoyens et concitoyennes ayant choisi un mode de vie majoritairement itinérant. Ma collègue Panot reviendra plus en détail sur notre analyse de la problématique des schémas départementaux et sur les propositions alternatives qui pourraient être mises en oeuvre. Je tenais, pour ma part, à revenir sur l'impact de cette proposition de loi sur les rapports entre les communautés et entre nos concitoyens, ainsi que sur plusieurs propos échangés en commission.

Je voudrais commencer par déplorer que l'usage de la catégorie légale des « gens du voyage » ait laissé place, en commission des lois, à des insinuations et à des amalgames quelque peu problématiques. Nous avons entendu certains de nos collègues évoquer, par exemple, « certains membres de cette communauté, pas tout le monde évidemment », et tenir des propos marqués par certains préjugés. Le Collectif national des associations de citoyens itinérants l'a relevé dans le communiqué de presse suivant : « Plusieurs députés ont exprimé des préjugés choquants et méprisants sur les populations itinérantes qualifiées de ''ces gens'', et évoquant des ''occupations sauvages'' ou encore des ''envahissements''. Selon eux, un sentiment ''d'impunité la plus totale'' inciterait les voyageurs ''à continuer et augmenter la pression''. Ces mêmes députés considèrent que ''le respect des traditions et des modes de vie'' est trop souvent opposé pour rejeter des mesures de fermeté. L'ensemble de ces propos ont choqué les populations itinérantes qui ont vu leur mode de vie stigmatisé. » Ce communiqué de presse note également qu'alors que certaines des dispositions les plus discriminatoires avaient été supprimées en commission, le groupe Les Républicains est revenu à la charge en déposant des amendements visant à les rétablir.

Tout cela devrait nous interpeller sur le très fort risque de stigmatisation que comportent plusieurs aspects de cette proposition de loi. Il faut garder en mémoire que ce n'est qu'en 2012 que le Conseil constitutionnel a jugé que les titres de circulation étaient contraires à la Constitution, à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité, c'est-à-dire d'une plainte par un individu victime de cette mesure législative, qui a fait valoir ses droits devant la justice. Ce n'est pas la représentation nationale qui s'est saisie de la question. Cela devrait nous inciter à une certaine prudence et nous pousser à défendre avec vigueur l'égalité et les libertés des personnes ayant fait le choix d'une vie itinérante.

Cela permet également d'expliquer le manque de volonté politique de faire appliquer les textes en vigueur visant à favoriser l'existence d'une vie itinérante au sein de la République et respectueuse de ses règles. Ce manque de volonté est perceptible dans les collectivités qui n'ont pas atteint les objectifs légaux. S'il existe des obstacles financiers réels à la réalisation de ces objectifs dans certains départements, il est également difficile de nier l'existence de freins politiques. Cette réticence à traiter avec respect un mode de vie non sédentaire existe aussi au sein de l'État et parmi ses représentants sur le territoire.

La loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté prévoit des moyens de contraindre les EPCI réfractaires. Les préfectures sont désormais en mesure de le faire : le préfet ou la préfète peut désormais ordonner à une commune ou à un EPCI défaillant de consigner entre les mains d'un comptable public les sommes nécessaires à la mise en oeuvre du schéma départemental ; ces sommes peuvent soit lui être restituées au fur et à mesure de l'avancée des travaux, soit être employées par l'État dans le cadre de la procédure de substitution. Que cette compétence devienne effective est une demande du défenseur des droits que nous appuyons. Il s'agit de moyens effectifs d'assurer une vie non sédentaire dans des conditions dignes, dans un pays à majorité sédentaire.

La présente proposition de loi établit un mauvais diagnostic des problèmes réels, que nous ne sous-estimons pas. Elle n'y apporte aucune solution réellement satisfaisante au regard de l'ordre public, mais également au regard de la cohésion nationale et de l'objectif de lutte contre les discriminations. Au contraire, elle participe d'une forme de stigmatisation de populations déjà victimes de bien trop de préjugés et de discriminations. C'est pourquoi nous voterons contre ce texte.

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