Intervention de Marie-Anne Barbat-Layani

Réunion du jeudi 29 mars 2018 à 14h20
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Marie-Anne Barbat-Layani :

Je voudrais répondre par un exemple à la question relative à Choose France. Depuis l'annonce du Brexit, nous avons beaucoup travaillé sur l'attractivité de la place de Paris qui est un exemple parmi d'autres d'attractivité des entreprises. Je rejoins ce qui a été dit d'une manière générale, nous voyons apparaître des problématiques de stabilité et de complexité réglementaires, ce qui, je l'avoue, est un peu ambigu quand on s'adresse au législateur ou au Gouvernement, car nous aimerions d'abord simplifier et ensuite stabiliser. L'ordre des facteurs est à respecter.

Dans ce cadre, la question de la stabilité fiscale ne doit pas être négligée. Un exemple fâche : en toute fin d'année dernière, le secteur bancaire a été soumis, comme d'autres d'ailleurs, à une surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, qui a représenté une facture supplémentaire de 1,5 milliard d'euros pour les banques au moment même où les recettes fiscales augmentaient. On s'interroge donc sur la nécessité de cette décision qui ne passe pas tout à fait inaperçue auprès des investisseurs étrangers au moment où ils choisissent un lieu de localisation. Notre discours national mérite plus de cohérence. Il est plus facile d'affirmer notre volonté d'attirer des investisseurs étrangers et de grands opérateurs financiers qui auront un effet considérable sur le développement économique et sur les emplois induits, mais si l'on s'engage à baisser le taux de l'impôt sur les sociétés et que deux mois plus tard on décide une surtaxe de l'impôt sur les sociétés payée par les banques à hauteur de 1,5 milliard d'euros, il ne faut pas trop s'étonner si les premiers choix de localisation portent sur l'Allemagne. À un moment donné, il faut s'assurer d'une cohérence forte.

Pour autant, il ne faut pas désespérer, car nous avons réalisé des progrès considérables en termes d'attractivité en mettant en place un programme de réformes extrêmement convaincant, avec une volonté réelle d'attaquer le niveau des dépenses publiques. En termes de crédibilité retrouvée en matière fiscale, il n'échappe à aucun investisseur français ou étranger que la maîtrise des dépenses publiques est un facteur clé. Cela dit, tout le monde anticipe une augmentation des impôts en France, ne serait-ce d'ailleurs que pour faire face à l'augmentation de la charge de la dette qui s'avérera inéluctable au moment où les taux d'intérêt remonteront. Si nous n'utilisons pas la période faste que nous traversons pour réduire les dépenses publiques et assurer leur maîtrise à long terme, les investisseurs français ou étrangers comprendront la nécessité de payer davantage à terme.

Pour ce qui est du développement des entreprises, l'un des éléments majeurs est de permettre aux entreprises d'accumuler leurs résultats pour améliorer leurs fonds propres. Nous avons beaucoup parlé d'ouverture du capital afin de trouver des fonds propres à l'extérieur. Toutefois, l'une des premières sources de financement des entreprises est la capacité d'autofinancement et la possibilité de conserver une partie de ses résultats. Ce qui renvoie à l'aspect fiscal qui ne doit pas être négligé. Nos collègues des banques étrangères, réunis au sein d'un groupement spécifique de notre Fédération, soulignent que le désavantage de Paris par rapport à Francfort tient à la complexité réglementaire et à l'instabilité fiscale, mais surtout à l'importance et à l'instabilité des charges sociales. Cela vaut d'ailleurs au-delà du secteur financier ; dans le secteur industriel, je rappelle que les charges sociales des ingénieurs sont plafonnées en Allemagne. En France, le non-plafonnement des charges sociales des salaires des personnels à haute valeur ajoutée, tels que ceux des ingénieurs ou des financiers, a un effet très net. Coe-Rexecode a mené une étude pour le MEDEF il y a un an et demi ou deux ans, qui montrait que l'employeur payait deux ingénieurs en France pour un coût qui permettait d'en embaucher trois en Allemagne. Chacun perçoit que nous avons quelques problèmes à résoudre !

Bien sûr, nous estimons que la France présente d'autres éléments d'attractivité : la qualité des formations ; un territoire qui permet de rayonner facilement vers d'autres clientèles ; la qualité des acteurs financiers déjà présents sur le terrain – je parle de l'attractivité de la place de Paris – le choix fait par les autorités européennes de localiser l'autorité bancaire européenne à Paris qui est un signal fort : c'est ici que cela se passe.

Nous allons capitaliser ces éléments, mais il faut tenir compte de la nécessité d'inverser une perception d'instabilité réglementaire et fiscale née d'une expérience négative de plusieurs années. Les choses vont dans la bonne direction, chacun le reconnaît, mais les acteurs attendent de voir. Nous affirmons être engagés dans de nombreuses réformes ; ils le constatent. Nous leur disons que nous allons stabiliser la fiscalité. Pour autant, le track record n'est pas excellent ; reste à crédibiliser les engagements qui sont pris.

Dès lors, quels sont les éléments dissuasifs dans le processus de contrôle des investissements dans les actifs stratégiques ? D'une manière générale, décréter que tous les actifs seraient stratégiques aurait pour effet de bloquer les investissements étrangers potentiels. Ce ne serait pas un bon signal, mais ce n'est pas ce qui est fait. Par ailleurs, il faut reconnaître que tous les pays, y compris des pays très libéraux comme les États-Unis, ont des systèmes de contrôle des investissements étrangers. Pour avoir vécu des exemples d'investissement dans des entreprises très stratégiques, nous ne sommes pas perçus comme un pays qui maltraite les investisseurs étrangers : les obligations sont claires, les acteurs n'ont pas le sentiment que l'on cherche à les coincer au dernier moment et les processus de contrôle sont connus. Pour autant, des dispositions portent parfois sur le cantonnement d'un certain nombre d'activités. Les investissements étrangers, relevons-le, sont très élevés en France. Ne donnons pas le sentiment de verrouiller nos industries de manière excessive, veillons à la clarté des décisions si nous voulons modifier les textes visant les investissements étrangers.

Il faudra recourir à une grande transparence dans les processus et les interférences de l'administration. Les investisseurs américains sont habitués dans leur pays à subir des procédures parfois très strictes sur des investissements stratégiques, du moins cela se passe dans une grande transparence aux États-Unis.

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