Intervention de Damien Adam

Réunion du mardi 3 avril 2018 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Adam, rapporteur pour avis :

Je suis très heureux que la commission des affaires économiques se soit saisie pour avis de ce projet de loi d'habilitation, et très honoré d'avoir été désigné rapporteur pour avis. La commission des affaires économiques se veut la commission du quotidien et le chemin de fer fait partie du quotidien des Français – plus de quatre millions de voyageurs l'empruntent chaque jour.

Personne ne niera que le système ferroviaire français est en crise depuis plusieurs années. Alors que les réformes se sont succédé depuis la fin des années quatre-vingt-dix, il ne semble plus répondre aux attentes des citoyens et satisfaire leurs besoins de mobilité. Retards, annulations, trains vétustes, prix croissant des billets, les critiques adressées à la SNCF sont nombreuses et légitimes : plus d'un train Intercités sur trois arrive en retard aux heures de pointe et 25 % des retards sont supérieurs à vingt minutes. Une part importante des incidents rencontrés par les usagers est imputable à l'état déplorable du réseau et des matériels. À ce sujet, la majorité des personnes que j'ai auditionnées a regretté l'investissement massif dans les lignes TGV au cours des dernières années, au détriment des mobilités du quotidien et de l'entretien du réseau existant.

Pendant des décennies, l'État n'a pas réalisé les investissements nécessaires et c'est visible ! 20 % du réseau fonctionnent au ralenti. Il fallait, par exemple, une heure quarante-cinq pour faire le trajet Paris-Le Havre en 1973, il faut aujourd'hui en moyenne deux heures sept…

En conséquence, la fréquentation décline et le système ferroviaire est exposé à une concurrence féroce : celle du transport aérien – en particulier à bas coût –, mais également celle du transport par autocar ou par covoiturage.

En outre, le groupe ferroviaire public est lourdement endetté, à hauteur de près de 50 milliards d'euros. Cette dette ne lui permet plus d'investir pour rénover ou moderniser ses infrastructures afin d'enrayer la dégradation générale. L'État n'a pourtant pas réduit son engagement dans la SNCF : nous versons chaque année quatorze milliards pour le bon fonctionnement de l'entreprise – soit plus que les budgets de la police et de la gendarmerie réunis !

Ces critiques nombreuses, et pour la plupart fondées, semblent requérir une réforme de grande ampleur de l'ensemble du système. La compétence individuelle ou collective des cheminots ne saurait, en aucune manière, être remise en cause. Bien au contraire, il est essentiel de rappeler leur immense professionnalisme, leur expérience et leur savoir-faire exceptionnels. Il n'a jamais été question de vilipender les cheminots ! Ceux qui réduisent le débat aux polémiques qui n'ont rien à voir avec la réforme ne font qu'écarter les questions de fond.

Le constat est simple : si la situation actuelle est si dégradée, c'est que le système lui-même est vicié. Il est donc impératif de le réformer globalement. C'est ce que propose le présent projet de loi. Par cette réforme, le Gouvernement définit le nouveau cadre du système ferroviaire français, qui s'appuiera sur une modification de son organisation et de sa gouvernance, ainsi que sur une ouverture à la concurrence du marché national.

Cette réforme sera en partie opérée par ordonnances. Je souhaite revenir sur ce point. Le recours aux ordonnances me semble justifié : il s'agit de légiférer rapidement, afin de mettre en oeuvre progressivement la réforme, tout en respectant nos engagements européens. Il s'agit également de ne pas réitérer les erreurs du passé, lors de l'ouverture à la concurrence du fret : attendre le dernier moment avait conduit à appliquer une réforme massive de manière brutale, ce qui avait fortement déstabilisé le système. Cette anticipation et cette progressivité sont réclamées par tous les acteurs que j'ai auditionnés.

Par ailleurs, de manière générale, l'habilitation me semble tout à fait équilibrée : elle est précise, tout en offrant suffisamment de marges de manoeuvre pour permettre aux discussions sur les modalités de l'ouverture à la concurrence de se poursuivre et à leurs conclusions d'être prises en compte. Elle ne restreint ni le débat parlementaire, ni la concertation, notamment avec les syndicats.

Enfin, je salue l'engagement pris par le Gouvernement d'amender le projet de loi pour y inclure progressivement tous les points qui feront l'objet d'un accord avec les syndicats représentatifs. Cela explique que des amendements aient été déposés ce week-end. Ils seront examinés par la commission du développement durable. Ils apportent plusieurs précisions au projet – dates d'ouverture à la concurrence des trains express régionaux (TER) et des trains Intercités, dérogations à l'ouverture à la concurrence, transfert des contrats de travail et des données pour mener à bien les appels d'offres, tarifs sociaux et surveillance générale du système ferroviaire. D'autres amendements pourraient être déposés au moment de la séance publique.

S'agissant du fond, je souhaite revenir sur trois points.

Tout d'abord, l'ouverture à la concurrence est inéluctable, mais surtout souhaitable. Elle n'a pas été décidée parce que le libéralisme constituerait une fin en soi, mais parce qu'elle est apparue nécessaire pour revitaliser notre système ferroviaire, restaurer la qualité de service au profit des usagers et tendre vers un marché ferroviaire unifié au sein de l'Union européenne. Cette ouverture constitue une opportunité bien plus qu'une contrainte pour beaucoup des acteurs auditionnés, pour peu qu'elle soit organisée de manière satisfaisante.

Elle permettra de replacer l'usager au coeur du système ferroviaire. L'opérateur historique, comme tous les opérateurs entrants, sera incité à améliorer la qualité de son service, car c'est en grande partie sur ce critère que les entreprises se différencieront.

Par ailleurs, elle redynamisera le secteur ferroviaire et lui permettra de retrouver des parts de marché face aux autres modes de transport : plus de concurrence, ce sont aussi plus de trajets, de meilleurs services et une plus grande diversité de tarifs.

En outre, elle sera profitable aux gestionnaires d'infrastructures, historiques ou indépendants, et permettra d'améliorer le taux d'utilisation de notre réseau ferroviaire.

Elle est déjà à l'oeuvre à l'étranger, en particulier dans la majorité des États européens et, dans ces pays, on constate une augmentation de l'offre et de la fréquentation des trains : en Allemagne, depuis l'ouverture à la concurrence en 1994, la fréquentation des trains a augmenté de 29 %. L'ouverture à la concurrence a également amélioré la qualité des services au public : en Italie, les nouveaux entrants ont mis à la disposition des voyageurs du Wi-fi gratuit à bord des trains à grande vitesse. À cela s'ajoute une baisse du coût du service ferroviaire de 20 % en Allemagne ou de 30 % en Suède. Enfin, on dénonce souvent l'augmentation du prix des billets ferroviaires, mais ils ont augmenté en moyenne de 15 %, contre 75 % dans l'aviation et 25 % pour les déplacements routiers…

En outre, l'ouverture à la concurrence est une chance pour le rayonnement de la France. La SNCF pourra gagner des marchés à l'étranger et rayonner dans son secteur de compétence. La réciprocité en matière ferroviaire au sein de l'Union européenne est le gage d'un développement commercial international pour nos entreprises. La France ne peut se permettre de rester en marge du mouvement en cours !

Cette mise en concurrence sera un succès si elle respecte quatre conditions : une augmentation de l'offre de trains ; une amélioration du service proposé ; une augmentation de la part modale du transport ferroviaire dans l'ensemble des transports en commun ; une absence d'augmentation de la dépense de la collectivité publique.

Je reviendrai rapidement sur la nécessaire réorganisation de la gouvernance du système ferroviaire français. Le Gouvernement souhaite être habilité à la moderniser par ordonnance. Je serai plus particulièrement attentif à trois points.

En premier lieu, le renforcement de l'indépendance du gestionnaire de réseau est indispensable. En effet, certains acteurs regrettent la porosité entre SNCF Mobilités et SNCF Réseau, qui présente un risque en matière d'ouverture équitable à la concurrence.

En deuxième lieu, le statut d'établissement public industriel et commercial (EPIC) de SNCF Mobilités, comme celui de SNCF Réseau, doit être examiné. Il faut moderniser la gestion du groupe, mais également l'empêcher de s'endetter de manière illimitée et déraisonnable, comme cela a été le cas par le passé. Le nouveau statut de la SNCF doit donc être négocié avant que l'État n'entame la reprise progressive de la dette – en la matière, le Gouvernement a indiqué qu'il prendra sa part de responsabilité.

En troisième lieu, le statut de Gares & Connexions doit être révisé. Son rattachement à SNCF Mobilités n'apporte plus des garanties suffisantes d'indépendance. À ce stade, deux solutions sont envisageables : un rattachement à SNCF Réseau ou un rattachement à l'EPIC de tête, sous la forme d'une société anonyme. Pour ma part, je suis favorable à la première solution.

Il convient d'être attentif au volet social de la réforme – ce n'en est pas le parent pauvre. Le projet de loi habilite le Gouvernement à prévoir les conditions de transfert des salariés de l'opérateur historique vers une entreprise remportant l'appel d'offres. L'amendement déposé par le Gouvernement apporte davantage de précisions et me semble satisfaisant. Il tient compte des avancées de la concertation engagée avec les organisations syndicales, avec un dispositif protecteur permettant d'assurer la poursuite des contrats de travail des salariés en cas de changement d'opérateur.

Le nombre de salariés transférés sera fixé par la SNCF au jour de la publication de l'avis d'appel à la concurrence. La désignation des salariés dont les contrats sont transférables obéira à des modalités définies par accord de branche. Le volontariat sera privilégié et l'employeur ne désignera des salariés que si le nombre de volontaires est insuffisant pour assurer la continuité du service public. Par ailleurs, des garanties seront transférées avec le contrat de travail : les salariés employés statutairement par la SNCF conserveront le bénéfice de la garantie d'emploi et leur affiliation au régime spécial de retraite. Tous bénéficieront du maintien de leur niveau de rémunération. Le maintien d'autres garanties, telles que les facilités de circulation, devra faire l'objet d'un accord de branche.

Pour conclure, les ordonnances devront régler des questions annexes, mais indispensables à une ouverture à la concurrence réussie : transfert du matériel et des ateliers, transfert de la billettique ou encore modalités de gestion des gares. Sur l'ensemble de ces points, des propositions ont été faites et sont analysées dans mon rapport.

Je veillerai à l'équilibre des choix dans le cadre de la discussion parlementaire et lors de la rédaction des ordonnances.

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