Intervention de élisabeth Borne

Séance en hémicycle du lundi 9 avril 2018 à 16h00
Nouveau pacte ferroviaire — Présentation

élisabeth Borne, ministre chargée des transports :

Les travaux confiés au Conseil d'orientation des infrastructures se sont déroulés dans la même temporalité, sous l'égide de son président, Philippe Duron, que je remercie encore de son implication, et avec le concours de représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat, que je salue également. Ce processus de concertation et de co-construction a constitué la méthode la plus féconde pour bâtir du commun et faire la clarté sur les enjeux qui s'imposent à nous.

J'ai la conviction que, pour mieux répondre aux besoins de nos concitoyens, nous avons la responsabilité de satisfaire une triple exigence.

Une exigence d'efficacité d'abord. Si notre système de transports est globalement de qualité, il est aujourd'hui dangereusement menacé de vieillissement. Lors de mes nombreux déplacements, j'entends la résignation, parfois teintée de désespoir, de ces élus locaux qui réclament la mise à niveau, promise et sans cesse repoussée, de leurs infrastructures du quotidien.

Deuxième exigence : la justice sociale. Sur de nombreux territoires ruraux et périurbains fragilisés, la possession d'une voiture individuelle constitue souvent la seule solution. L'absence de mode de déplacement alternatif devient alors un véritable frein, à l'éducation d'abord, à l'emploi ensuite. Donner à chacun la possibilité de se déplacer, c'est l'aider à conquérir son autonomie et contribuer à façonner une société plus émancipatrice. Qui peut nier, dans cette situation, la pertinence d'un grand service public ferroviaire, vecteur de cohésion sociale et territoriale ?

Enfin, troisième et dernière exigence, mais non des moindres : l'exigence environnementale. À l'heure de l'urgence climatique et des alertes pollution récurrentes, il est temps d'accélérer la transition vers une mobilité durable. Qui peut contester, dans cette situation, la pertinence du rail comme réponse au défi climatique ? Tenir les engagements de l'accord de Paris, c'est mettre le train au coeur de cette société de mobilité en facilitant son usage par nos concitoyens dès qu'il est le plus judicieux, comme l'a fortement rappelé Nicolas Hulot.

Plus que jamais, pour appréhender cette triple exigence, la réponse sera l'innovation.

Une nouvelle révolution prend forme : celle du numérique, de l'intelligence artificielle et des véhicules autonomes. Ces innovations ne sont pas des menaces pour le ferroviaire ; elles sont même des atouts – je pense aux progrès liés à l'information et à la billettique multimodales, aux nouveaux systèmes de signalisation permettant d'augmenter très fortement la fréquence des trains de voyageurs ou aux innovations dans le domaine du fret. L'avenir consiste à amplifier les logiques d'interconnexion en jouant toujours davantage les complémentarités entre la route et le rail. Dans ces conditions, à nous de réinventer le ferroviaire du XXIe siècle. Pour cela, il nous appartient de poser un diagnostic lucide et complet.

Au prix d'un effort collectif considérable, accéléré depuis les années soixante, la France s'est dotée d'un remarquable réseau de voies rapides routières et ferroviaires qui ont permis de parachever l'unification du territoire national et de faire de notre pays l'un des carrefours de l'Europe. Il faut revendiquer les succès de cette priorité donnée pendant trente ans au réseau ferroviaire à grande vitesse : ce réseau, voulu par la puissance publique, a été un ressort essentiel de notre dynamisme économique. Qui peut nier que le TGV– le train à grande vitesse – a accompagné le renouveau de nos grandes capitales régionales et l'essor de notre activité touristique ? Le développement de la grande vitesse constitue une incontestable réussite technique et commerciale, comme l'ont encore illustré les chiffres du trafic pour 2017.

Mais sachons également regarder la réalité en face ! Cette politique a coûté cher, très cher. Pire, nous l'avons financée à crédit, au prix d'un endettement qui s'est emballé au cours de la dernière décennie. Le TGV a été la fierté de la SNCF, mais la dette accumulée notamment pour assurer son financement est devenue le boulet de la SNCF, et elle ne lui a même pas permis de faire face à toutes ses responsabilités, car cette politique en faveur de la grande vitesse s'est faite au détriment des transports du quotidien.

Quel est donc l'enjeu, désormais ? Que la SNCF soit demain, pour ces trains du quotidien, le fleuron qu'elle est aujourd'hui pour la grande vitesse. Le défi est tout à la fois quantitatif et qualitatif. Notre système ferroviaire fait circuler chaque jour 11 000 trains et 4 millions de personnes, et, nous le savons, la demande de mobilité des biens et des personnes va continuer de s'accroître dans les prochaines années. C'est un défi d'envergure car cette demande de mobilité, dans nos grandes agglomérations notamment, augmente à un rythme très supérieur à la capacité de nos infrastructures. Le défi est donc d'abord quantitatif. Mais il est également qualitatif : les seuls retards sur le trafic de nos TER et de nos RER – trains express régionaux et réseaux express régionaux – sont aujourd'hui deux fois plus longs qu'en Allemagne ou aux Pays-Bas. Augmenter et améliorer l'offre de transports quotidiens : il n'est plus question de choisir entre l'une ou l'autre de ces options, mais bien de les embrasser toutes les deux.

Quant à la baisse constante du fret, elle doit aussi nous mobiliser. Le nécessaire rééquilibrage entre les modes routier et ferroviaire se traduit notamment dans la volonté du Gouvernement de rétablir une concurrence loyale et de mener une lutte déterminée contre le dumping social dans le transport routier de marchandises.

Enfin, le Gouvernement a énoncé une politique en matière de logistique, articulée autour des industries et des grandes plateformes portuaires, desservies par le ferroviaire et le fluvial, avec à la clé d'importants investissements dans les ports. Le fret ferroviaire et combiné doit s'engager dans cette renaissance, qui nécessitera de nouvelles organisations pour renouer avec la performance.

Cette réforme est donc indispensable, et elle est urgente, car elle doit autant nous préparer à l'ouverture à la concurrence que nous permettre d'en tirer collectivement le plus large bénéfice. Contrairement à ce que j'entends, cette ouverture à la concurrence n'est pas une injonction bruxelloise ; elle constitue un choix délibéré pour améliorer notre offre de service, en maintenant l'exigence d'un haut niveau de sécurité. De nouveaux entrants sur le marché ferroviaire permettront de renouveler les services offerts.

Cette ouverture sera, pour la SNCF elle-même, un aiguillon stimulant, qu'elle doit appréhender avec confiance et détermination. C'est d'ailleurs pour cette raison que les régions la réclament ardemment. C'est aussi pour cette raison que la France a pris l'engagement de la mettre en oeuvre et a joué un rôle moteur pour que ses partenaires européens fassent de même. J'oserais donc dire à la plupart d'entre vous, sur les bancs de cette assemblée : cette réforme, nous l'avons tous, ou presque, voulue, …

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