Intervention de Sébastien Chenu

Séance en hémicycle du lundi 9 avril 2018 à 16h00
Nouveau pacte ferroviaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Chenu :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, comment le Gouvernement pourrait-il proposer de justes solutions à la crise que traverse le rail français puisqu'il invoque, aux origines de celle-ci, de fausses causes, qu'il s'agisse du statut de la SNCF prétendument inadapté, de cheminots prétendument privilégiés, de petites lignes non rentables ? Ce nouveau pacte ferroviaire, né des conclusions du rapport Spinetta, s'attaque aux mauvais coupables. Ce n'est guère étonnant, car si M. Spinetta n'est pas un expert du rail, il s'y connaît en revanche très bien en ce qui concerne la casse du service public : chef d'orchestre de la privatisation d'Air France, initiateur de l'ouverture à la concurrence pour La Poste et GDF-Suez, il est l'homme de main idéal du Gouvernement dont les cibles privilégiées sont depuis le début les fonctionnaires et le service public.

L'immense dette de SNCF Réseau a pourtant été provoquée par l'État. Elle n'a rien à voir avec le statut des cheminots, mais découle des décisions catastrophiques de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans. Vous-même, madame la ministre, conseillère technique chargée des transports du cabinet de Jospin puis, en 2002, directrice de la stratégie de la SNCF, en savez certainement quelque chose et en avez une part de responsabilité.

Depuis 2010, l'État a engagé SNCF Réseau dans un programme d'investissements dépassant les 5 milliards d'euros annuels pour les lignes à grande vitesse, au détriment des réseaux de proximité indispensables à la vitalité des territoires. Au même moment, l'État réduit drastiquement les subventions, ce qui contraint SNCF Réseau à recourir massivement à l'endettement. La dette accumulée est devenue telle que SNCF Réseau arrive à l'absurde situation d'être obligée de s'endetter pour rembourser la dette créée par l'État.

Entre 2010 et 2017, selon les conclusions du rapport Degest, contre-expertise du rapport Spinetta, pour 100 euros empruntés par SNCF Réseau, 59 euros ont été consacrés au remboursement de la dette quand 41 euros l'ont été au réseau. Ce même rapport explique combien M. Spinetta a chargé le statut et le coût du travail. Or le Gouvernement propose le chantage suivant : grand seigneur, l'État reprendrait la dette à son compte en échange de l'abandon du statut des cheminots ainsi que de l'adoption des autres modalités du démantèlement pur et simple de la SNCF. Il omet de préciser, bien sûr, que lui-même, notamment à l'époque d'Alain Juppé, s'est servi des comptes de la SNCF à la fin des années 1990 pour y loger une partie de sa dette afin de rentrer dans les clous de Maastricht et ainsi d'être éligible à la monnaie unique. L'État ne ferait que reprendre ce dont il s'était débarrassé il y a vingt ans.

Il n'y a donc pas de raison de remettre en cause le statut des cheminots en ce qui concerne le personnel roulant. À obligations particulières, conditions particulières et statut particulier. Rien de scandaleux à cela. Si les cheminots paraissent privilégiés du fait d'un statut leur permettant notamment des conditions de départ à la retraite avantageuses, c'est en compensation d'astreintes particulières, comme le fait de devoir travailler la nuit, les dimanches et les jours fériés. En outre, il est absolument nécessaire de fidéliser les travailleurs pour les postes les moins attractifs et auxquels sont attachées des astreintes : par quel autre moyen plus efficace que le statut pourrait-on y parvenir ? La remise en cause du statut des cheminots est d'autant moins justifiée que la hausse du coût du travail s'explique par des facteurs structurels.

Cessons les faux-semblants : l'objectif à terme de la réforme de la SNCF, c'est la privatisation et donc la disparition du service public des transports pour des raisons purement idéologiques. L'intégralité des réformes d'Emmanuel Macron lui est inspirée par une philosophie de la dérégulation, de la mobilité forcée, du déracinement, au service des grandes puissances financières. Qu'il s'agisse de la Grande-Bretagne, où le prix du billet a été multiplié par trois, de l'Italie comme de l'Allemagne, où la société prétendument privée est en réalité tenue financièrement à bout de bras par l'État, aucun exemple à l'étranger ne prouve que la concurrence et la privatisation seraient des facteurs de progrès dans les chemins de fer.

En vérité, chers collègues, ce n'est pas l'intérêt général qui dicte cette réforme : elle est imposée par une directive de l'Union européenne, qui en fixe également le calendrier.

Madame la ministre, vous n'avez d'ailleurs pas dit un mot à ce sujet dans votre discours, comme si vous en aviez un peu honte et qu'il fallait le cacher aux Français. Le paquet ferroviaire a d'ailleurs été voté par les députés du groupe Les Républicains comme par ceux du groupe socialiste, qui sont désormais bien à mal à l'aise dans cet hémicycle.

À plat ventre devant Bruxelles, nos élites dirigeantes s'empressent, une fois encore, de sacrifier le modèle français sur l'autel de l'idéologie européiste. Car qui seront les laissés-pour-compte de cette réforme ? Toujours les mêmes : ceux qui vivent dans cette France rurale, affectée par vos politiques et qui verra inéluctablement disparaître – quoiqu'en dise le Gouvernement – les dernières lignes de chemin de fer qui continuaient de l'irriguer. Je parle des travailleurs des zones périurbaines où l'engorgement des routes rend toute alternative au transport ferroviaire impossible, et qui verront le prix de leurs déplacements doubler aux heures de pointe. Dans les Hauts-de-France par exemple, pas moins d'une vingtaine de lignes sont ainsi menacées, comme, dans ma circonscription, la liaison Lourches-Valenciennes.

La lutte pour le maintien du service public est l'affaire de chaque Français. Bien sûr, madame la ministre, votre politique fera des gagnants : les groupes Vinci, ou Eiffage, que vous connaissez bien. Ils profiteront ainsi, demain, des concessions payées par les Français. Des dividendes seront alors versés aux actionnaires : vous ne ferez croire à personne qu'ainsi l'intérêt général aura été défendu. Or seul ce dernier, c'est-à-dire l'intérêt général des Français, compte. Seul cet intérêt général guide notre action.

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