Intervention de Éric Woerth

Réunion du jeudi 22 mars 2018 à 9h00
Groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation du parlement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances :

Je ferai deux remarques liminaires.

Tout d'abord, s'il faut de l'expertise, il faut aussi des moyens pour contrôler ce qui est dit en commission. La première des choses serait de disposer de comptes rendus pour toutes les réunions de commission. Une audition sans compte rendu, avec une simple vidéo, ce n'est pas une bonne manière de traiter nos propres travaux. Je m'élève très fortement contre l'idée qu'il n'y ait plus de comptes rendus des travaux de contrôle des commissions, sauf cas exceptionnel comme l'audition d'un ministre, selon je ne sais quel système de filtre. C'est sans doute un problème de moyens et il appartient au Bureau de l'Assemblée d'y répondre.

Ensuite, j'estime que notre démocratie est suffisamment mature pour ne plus avoir besoin de l'article 40, article que l'on a plutôt tendance à vouloir supprimer lorsqu'on est dans l'opposition et à vouloir appliquer lorsqu'on est dans la majorité. Pour ma part, je suis opposé à toute atteinte à la liberté d'amender des parlementaires. Je considère qu'un parlementaire est aussi responsable qu'un ministre. Il n'y a pas de raison de penser qu'il est enclin à faire n'importe quoi. La suppression de l'article 40 serait une étape importante. Elle n'impliquerait nullement une dérive dans l'examen des textes : il suffirait d'améliorer certaines procédures extrêmement rodées. Par exemple, le temps programmé pourrait être, pour les travaux en séance publique, la norme et non pas l'exception.

S'agissant de la commission des finances, nous avons proposé une évolution de la procédure budgétaire selon une organisation en deux temps, au printemps et à l'automne.

Le printemps serait consacré à la loi de règlement, c'est-à-dire aux comptes de l'année précédente. À l'heure actuelle, son examen n'intéresse personne : il n'occupe qu'une matinée à l'Assemblée nationale et il est suivi d'un débat d'orientation budgétaire qui n'intéresse pas davantage de monde. Cela n'a aucun impact sur le Gouvernement, et aucune répercussion sur le budget en préparation. Nous proposons de profiter de l'occasion offerte par cette loi de règlement pour approfondir l'évaluation des politiques publiques. C'est une idée ancienne qui n'a jamais pu voir le jour. Elle pourra trouver à se concrétiser, je l'espère, dès cette année, compte tenu du fait qu'elle fait l'objet d'un accord au niveau de l'exécutif et au niveau de notre assemblée, de l'opposition comme de la majorité. Les rapporteurs spéciaux de la commission des finances verraient leur charge de travail lissée dans le temps. Bien sûr, qui dit évaluation des politiques publiques dit capacités d'expertise. Il n'est pas question de demander au rapporteur du budget de la défense d'évaluer l'ensemble du budget de la défense, il faudra faire des choix. J'ajoute que cet exercice devra être jugé sur la durée, et non pas seulement au bout d'une année.

Les commissions élargies, qui rassemblent les membres de la commission des finances et ceux des commissions concernées, pourraient se réunir non plus à l'automne mais au mois de juin. À l'automne, la commission des finances balaierait l'ensemble des sujets financiers, amendements à l'appui, et chacune des commissions saisies pour avis examinerait le budget comme elle le souhaite. Le temps fort de l'évaluation serait donc aussi le temps fort des commissions élargies, du travail en commun sur le fond et sur la forme financière.

Les expertises nécessaires sont de nature très différente. À la commission des lois, l'expertise est plutôt axée sur le droit ; à la commission des finances, sur les chiffres ; à la commission du développement durable, sur la science. Nous considérons que la réponse en termes d'expertise doit forcément se loger au sein de chaque commission. Il ne peut pas y avoir, à mon avis, d'organe central disposant de toute la palette des expertises nécessaires. Cela n'existe nulle part. Un tel dispositif serait très compliqué à mettre en oeuvre.

L'Assemblée compte des administrateurs de bonne qualité et de bonnes volontés, ce qui est suffisamment rare pour qu'on le souligne. Ils travaillent avec les députés, quelle que soit leur position politique personnelle, et c'est leur grandeur. J'ai l'impression, peut-être fausse, que leurs effectifs se réduisent. Je ne suis pas sûr que les concours soient flamboyants et que l'on ouvre chaque année de nombreux postes. Et je dois dire qu'il est assez curieux de déplorer le manque d'expertise alors qu'on ne recrute plus d'experts ou qu'on n'en recrute qu'insuffisamment.

Il faudrait se pencher sur le nombre et le type d'administrateurs dont nous avons besoin et sur leur répartition entre les différentes commissions. N'en déplaise à Barbara Pompili, il est évident qu'il n'y a pas assez d'administrateurs à la commission des finances et qu'il y en a trop dans les autres commissions... (Sourires.) Nous devons aussi nous intéresser aux origines culturelles et à la formation initiale des candidats au regard des compétences dont nous avons besoin.

Une expertise, pour quoi faire ?

D'abord, il serait intéressant de disposer d'études d'impact pour les propositions de loi et pour les amendements déposés par les parlementaires. À l'heure actuelle, les propositions de loi n'intéressent personne ; au mieux, elles suscitent un intérêt médiatique qui s'éteint au bout d'une journée. Il y a peu de grandes lois – je veux dire des lois efficaces et pas uniquement bavardes – qui soient issues du Parlement car, sous la Ve République, le Gouvernement concentre tous les moyens pour légiférer. Grâce aux études d'impact, les propositions de loi pourraient changer de statut et avoir vocation à être adoptées.

Ensuite, nous avons besoin de mener des contre-expertises. En tant que ministre ou député, j'ai pu, au fil des législatures, lire des avis radicalement opposés dans des études d'impact portant sur des textes identiques, simplement parce que le ministre avait changé d'avis ou qu'il n'était plus le même. Les études d'impact vont dans le sens des choix politiques du Gouvernement. Qui plus est, elles ne servent strictement à rien. Il s'agit d'un exercice académique, qui n'a d'autre objet que de répondre aux exigences du Conseil d'État. Elles ne font que commenter la loi et fournir quelques chiffres alors qu'elles devraient nous aider à faire la loi.

Enfin, l'expertise est nécessaire au Parlement pour évaluer les politiques publiques. J'ai le sentiment que c'est une position partagée par les principaux groupes. Pour mener un travail sérieux, il nous faut pouvoir compter sur des administrateurs en nombre suffisant et sur des services rattachés. Proposer ou évaluer des mesures fiscales suppose d'avoir accès aux données de l'administration et de les interpréter, or il n'est pas si simple de se retrouver dans ce maquis. Nous devons établir une analyse la plus objective possible et à partir de là, prendre une position politique.

Comment répondre à ces besoins ?

Compte tenu du faible nombre d'administrateurs, cela ne nous est pas possible aujourd'hui.

Une première solution pourrait être d'instaurer un droit de tirage auprès de certaines administrations. Toutes les six semaines, la commission des finances organise des rencontres consacrées à l'économie. Des représentants de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et de la Banque de France sont ainsi venus évoquer la conjoncture et les grandes tendances macroéconomiques. Nous pourrions aller plus loin et clarifier les choses car pour l'heure, cela tient davantage du bricolage.

Une deuxième solution consisterait à accéder à des expertises externes, ce qui nécessite des crédits. À mon avis, le recours à ces expertises doit dépendre de chaque commission, avec bien sûr une nécessaire coordination pour éviter les doublons. Notre Assemblée fait très peu appel à l'expertise extérieure. Je ne sais pas depuis combien de temps nous n'avons pas utilisé les services de cabinets de conseil, alors que le Gouvernement y fait constamment appel. Toute se passe comme si l'on considérait qu'ils n'étaient pas indépendants et que c'était le diable incarné. Il suffirait d'établir un cahier des charges et de définir les modalités d'accès à ces expertises.

Une troisième solution reposerait sur l'expertise interne. La Cour des comptes pourrait mettre à notre disposition une équipe permanente constituée d'une dizaine ou d'une quinzaine de fonctionnaires pendant environ deux ans. De la même manière, des membres de l'inspection générale de finances et des corps d'inspection d'autres ministères pourraient nous prêter leur appui.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.