Intervention de Laurent Saint-Martin

Réunion du jeudi 29 mars 2018 à 9h35
Groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation du parlement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Saint-Martin, vice-président de la commission des finances :

J'interviens à un triple titre : en tant que vice-président de la commission des finances ; en tant que membre du groupe de travail présidé par le président de la commission des finances et le rapporteur général autour, notamment, de la procédure budgétaire ; en tant qu'organisateur et animateur, avec Marie-Christine Dalloz, d'un groupe de travail sur le renforcement du rôle des rapporteurs spéciaux.

En premier lieu, la réforme constitutionnelle de 2008 avait déjà mis en exergue une certaine forme de renforcement de la mission de contrôle de l'action du Gouvernement, la question étant moins de recréer les choses que de les renforcer.

A ainsi été inséré dans la Constitution un article 47-2, relatif à la Cour des comptes, et que notre collègue Jean-François Éliaou, rapporteur de votre groupe de travail, connaît très bien. Je voudrais profiter de ce propos pour mettre en avant le courrier adressé au Premier ministre par le président de la commission des finances et le rapporteur, proposant la création d'un article 47-3, qui viendrait renforcer cette mission de contrôle en intégrant l'INSEE et France Stratégie dans une mission d'assistance au Parlement, et qui permettrait de faciliter l'accès des parlementaires aux rapports des inspections, voire de requérir ces dernières.

Je voudrais aussi insister sur ce qui a déjà été fait ces dernières semaines, et rappeler que les représentants de l'INSEE ont été auditionnés, dans cette optique, par la commission des finances le 24 janvier et le 21 mars derniers.

Maintenant, pour en venir plus précisément à la matière budgétaire, je dirai que les besoins d'expertise du Parlement – et c'est totalement complémentaire avec les propos d'Amélie de Montchalin – s'expriment plus particulièrement dans deux phases critiques, qui ont-elles-mêmes des temporalités différentes.

Il y a d'abord le moment du dépôt des projets de lois, du projet de loi de finances (PLF) et du PLFSS, l'urgence étant de mieux s'emparer des effets d'impact et de mieux comprendre les conséquences juridiques et financières d'un projet de loi avant son examen. Je voudrais insister sur cette étape-là, qui est trop souvent oubliée. On parle beaucoup d'évaluation ex post. Il faut aussi parler de l'appropriation, par les parlementaires, d'un projet de loi avant son examen, et notamment de son chiffrage. Cela rejoint, là encore, ce que disait Amélie de Montchalin. Pour cela, votre proposition n° 7 va dans le bon sens, puisqu'elle offre la possibilité de mobiliser les moyens de l'exécutif par une modification de l'article 24 de la Constitution.

Il y a ensuite l'essentiel, qui est de renforcer l'évaluation des dispositions votées. Et il convient de ne pas limiter l'évaluation au suivi du nombre de décrets, ce à quoi l'exercice se résume un peu trop facilement. Cette évaluation doit se faire de manière scientifique. C'est là où le rôle d'un office prend tout son sens. C'est là où le rôle de France Stratégie peut prendre tout son sens. Et c'est là aussi, où le rôle des rapporteurs spéciaux prend également tout son sens.

Dans le cadre du groupe de travail et du président Woerth et du rapporteur général Joël Giraud, nous avons fait des propositions visant à donner au rapporteur spécial un rôle clé au printemps, et non plus uniquement à l'automne. Cela revient à déplacer le rôle du rapporteur spécial vers le contrôle des dépenses et des crédits passés. Aujourd'hui, le rapporteur spécial exprime un avis sur la façon dont les crédits seront dépensés l'année n+1. Si cela se répète chaque année sans que l'on regarde comment les crédits ont été effectivement utilisés, on se prive de la possibilité de savoir s'ils ont été bien utilisés. Il est donc extrêmement important de compléter cette phase d'automne, qu'il faut conserver et alléger, avec une phase de contrôle réel, qui interviendrait fin mai ou début juin, avant que la loi de règlement soit présentée en conseil des ministres.

Il faut absolument créer des commissions d'évaluation des politiques publiques, où les rapporteurs spéciaux viendraient contrôler l'utilisation des crédits l'année n-1. Ainsi, les députés et les commissaires de la commission des finances pourront voter une loi de règlement en conscience, et toute connaissance de cause, en ayant compris comment les crédits ont été utilisés. Aujourd'hui, la loi de règlement est votée en quelques heures, sans qu'on ait procédé à un contrôle qualitatif.

Instituer des commissions d'évaluation des politiques publiques au printemps serait le moyen de responsabiliser le parlementaire dans son rôle de rapporteur spécial – même si les rapporteurs pour avis le seraient aussi, dans le cadre d'un travail collégial. L'idée est que l'on est rapporteur spécial tout au long de l'année. On ne se réveille pas tout à coup en juillet avec un questionnaire fourni par un administrateur et que l'on envoie aux directeurs d'administration et aux responsables de programme, ni en octobre avec un discours de cinq minutes que l'on prononce devant une commission élargie.

Certes, cela ne brille pas beaucoup. Certes, c'est peu connu. Mais si nous voulons véritablement renforcer le rôle d'évaluation des parlementaires, il faut d'abord utiliser à fond, pleinement, les outils déjà existants. Au sein du Parlement, le rapporteur spécial a un rôle puissant. Il faut le porter à son maximum.

Par ailleurs, sur chaque loi, il faut probablement adopter une attitude beaucoup plus volontariste en matière d'évaluation. Je vais prendre l'exemple d'une loi que je connais bien, en tant que responsable de texte : la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) – que Mme Beaudouin-Hubière connaît bien elle aussi.

Nous avons mis en place un « conseil de la réforme » ; un vrai comité de suivi, évidemment transpartisan, composé de parlementaires issus de l'Assemblée nationale et du Sénat, et de personnalités extérieures qualifiées, capables de juger le bon suivi de chaque article. Il ne s'agit pas de se contenter d'un suivi quantitatif s'intéressant au nombre de décrets, mais de vérifier, études d'impact à la clé, si ce fameux rapport de confiance entre l'administration et les usagers, que nous avons prôné, est effectif sur le terrain. Et il faudra le faire régulièrement plusieurs fois par an.

Cela étant dit, je ne pense pas que le but de cette audition et, plus largement, de votre mission, dont les propositions sont vraiment pertinentes, soit d'« inventer pour inventer ». Il faut d'abord faire connaître ce qui existe. Par exemple, la direction du budget produit des documents formidables, très bien explicités, très pédagogiques : les projets annuels de performance, les rapports annuels de performance, etc. Ces documents permettent de comprendre comment sont utilisés les crédits. Franchement, il n'y a pas besoin de les « réinventer ». Il faut juste savoir comment y avoir accès, et probablement d'en faire l'outil central de l'office que vous appelez de vos voeux.

Je terminerai sur un point qui peut sembler annexe, mais qui est important : si l'on veut être crédible, il ne faut pas noyer les administrations de demandes, ni les intervenants extérieurs de demandes de rapports. Il faut déterminer des modalités de saisine assez strictes, les bureaux des commissions me semblant être le bon niveau pour le faire – c'est une proposition. Nous ne sommes pas là pour demander des rapports à tout va. Le Conseil constitutionnel l'a d'ailleurs rappelé lors de l'examen de la loi de finances pour 2018. Je fais amicalement référence à tous les amendements d'un certain groupe politique, qui avait sollicité des centaines de rapports ! Davantage d'évaluation, oui. Mais attention à ne pas étouffer de façon bureaucratique tout ce qui existe autour de nous.

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