Intervention de Thierry Francq

Réunion du jeudi 5 avril 2018 à 10h05
Groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation du parlement

Thierry Francq, secrétaire général adjoint du Secrétariat général pour l'investissement :

Je présenterai les différentes activités du Secrétariat général pour l'investissement. Je soulignerai que l'évaluation est omniprésente dans ses missions et je vous livrerai quelques leçons que nous tirons de notre expérience.

L'évaluation est consubstantielle au SGI. Outre la mission générale qui consiste à veiller à la cohérence de la politique d'investissement de l'État, trois fonctions intègrent cette dimension.

La première, la plus connue, est le programme d'investissements d'avenir. En accord avec les ministères concernés, nous mettons en place des dispositifs qui permettent de sélectionner des projets. Qui dit « sélectionner » dit les évaluer avec l'idée de maximiser l'impact des investissements et des crédits budgétaires engagés au regard des objectifs fixés.

Le PIA répond en outre à une règle absolue : dès lors que l'État engage de l'argent public dans un projet, un pourcentage des crédits est réservé à la réalisation d'une évaluation ex post de l'impact des actions que nous menons.

La deuxième activité est historique, il s'agit de la contre-expertise des investissements de l'État et de ses établissements publics. La loi de programmation de 2012 a institué une obligation d'évaluation d'impact socio-économique de tous les projets d'investissement de l'État et a confié au Commissariat général à l'investissement (CGI), devenu le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), le soin de dresser un inventaire des projets supérieurs à 20 millions d'euros de dépenses de l'État ou de ses établissements publics et de mettre en oeuvre une contre-expertise des évaluations des projets sur lesquels l'État ou ses établissements publics participent à plus de 100 millions d'euros. Au-delà des études préalables, il s'agit là d'une mission d'évaluation ex ante, c'est-à-dire avant que le projet ne soit réellement décidé.

S'agissant d'une évaluation socio-économique, vous avez mentionné le terme de « rentabilité ». Il ne s'agit pas, c'est vrai, d'une rentabilité financière mais d'une rentabilité socio-économique, que nous essayons de transformer en valeur actuelle nette. Nous monétisons tous les effets économiques et financiers mesurables directement en euros et évaluons les avantages que peut procurer à toutes les parties prenantes un investissement qui n'est pas forcément monétisé. Par exemple, nous mesurons les effets environnementaux d'un projet de transport.

La troisième activité, nouvelle, porte sur l'animation du Grand Plan d'investissement (GPI). Si je mets de côté le PIA qui a été inclus dans le GPI, l'évaluation constitue l'élément clé puisque la mission première, fondamentale, du SGPI pour ce grand plan d'investissement consistera à évaluer la mise en oeuvre des initiatives du plan et de proposer, le cas échéant, au Premier ministre des modifications d'allocations en fonction de l'efficacité des différents projets concernés. Premièrement, notre action consiste à faire en sorte que les projets menés par un ou des ministères soient déterminés et leurs objectifs précisés. C'est l'une des conditions sine qua non pour évaluer l'efficacité, tant il est vrai que nous n'évaluons pas l'efficacité dans l'absolu mais par rapport à un objectif. Deuxièmement, nous mettons en place des indicateurs, c'est-à-dire des mesures de performance, et cela ex ante afin de jouer ensuite notre rôle d'évaluation.

De ces différentes activités, nous tirons quelques leçons.

Premièrement, les méthodes d'évaluation dépendent beaucoup de l'objectif qu'on leur assigne. Sur le plan de l'impact socio-économique des projets, il s'agit souvent d'une action qui fait l'objet de réticences – c'est désormais moins souvent le cas – parce qu'elle est souvent confondue avec une logique d'évaluation budgétaire ou de soutenabilité budgétaire. Or, l'impact socio-économique d'un projet est différent. Des projets peuvent être soutenables budgétairement, sans pour autant avoir de rentabilité socio-économique – et inversement. Il convient de distinguer l'évaluation d'impact de la fonction de contrôle.

Deuxièmement, une forte différence existe entre l'évaluation ex ante et l'évaluation ex post. L'évaluation ex ante repose sur des simulations et des prévisions, l'évaluation ex post sur des observations concrètes. Cela dit, des éléments leur sont communs. En outre, avoir une approche globale d'impact, y compris pour une évaluation ex post, nécessite parfois aussi de dresser des hypothèses. Le PIA est un programme lancé en 2010-2011. Il est convenu dès le début que l'impact de ce programme serait évalué au bout de dix ans. Cette évaluation est devant nous ; nous la préparons.

Nous savons évaluer l'impact direct d'un projet d'innovation sur l'évolution d'une entreprise. C'est assez simple. Mais lorsqu'il finance des projets de ce type, le PIA n'a pas pour seul objectif que le projet se déroule et ait des impacts directs. Au travers de nos appels à projets dans le domaine de l'innovation, nous avons pour ambition de favoriser le travail en commun d'entreprises et de laboratoires publics. Évaluer le poids du PIA sur les transformations des habitudes est plus difficile. Nous sommes dans un univers incertain. Autrement dit, une évaluation globale ayant pour objectif l'intérêt général et la prise en compte de toutes les externalités positives ou négatives d'un projet, même ex post, n'est pas obligatoirement une science exacte.

En ce qui concerne le PIA et l'évaluation ex ante, la méthode se fonde essentiellement sur un mécanisme de sélection. Qui dit sélection dit définition d'objectifs précis, de critères et de comparaisons entre projets. C'est ainsi que nous essayons de maximiser ex ante le possible impact de nos actions. L'évaluation ex post revêt un caractère plus classique, même si elle est complexe à mener au vu de l'étendue des actions du programme d'investissements d'avenir. C'est aussi pourquoi nous avons commandé une évaluation intermédiaire du PIA : afin de ne pas rester en suspens dix ans durant. Cet élément a amené le précédent gouvernement à proposer un troisième PIA.

J'en arrive à une question de gouvernance qui est essentielle. Pour réaliser l'évaluation à mi-parcours du PIA, nous avons sollicité France Stratégie. C'est ainsi que France Stratégie a sélectionné un panel d'experts, certains étrangers. La commission est présidée par M. Philippe Maystadt, ancien ministre belge des affaires économiques, ancien ministre du budget, de la politique scientifique et du plan et ancien président de la Banque européenne d'investissement (BEI). Nous n'avons pas interféré dans la sélection des membres du panel. Celui-ci a mené ses activités, nous a auditionnés, sans que jamais nous soyons intervenus. L'indépendance de l'analyse est fondamentale. D'ailleurs, le PIA, y compris dans son mécanisme de sélection, fait intervenir des experts indépendants, tels les jurys internationaux dans le domaine universitaire qui forment la pièce centrale du mécanisme de sélection des projets à l'université et de recherche publique du PIA.

Le troisième élément que je souhaite relever porte sur les méthodes. À l'heure actuelle, trois obstacles freinent le renforcement du réflexe, de la logique et de la culture de l'évaluation dans toutes les actions de l'État qui s'y prêtent.

Le premier obstacle, habituel, tient à l'inertie liée aux habitudes.

Le deuxième réside dans les crédits, tant il est vrai que l'évaluation a un coût, surtout si elle est réalisée par une structure indépendante qu'il convient de payer. Bien souvent, ce n'est pas là la priorité budgétaire des ministères, ce que l'on peut comprendre par ailleurs.

Le troisième obstacle tient au manque de méthodes éprouvées en matière d'évaluation. La méthode qui s'applique à nos contre-expertises des investissements publics est éprouvée, mais nécessiterait d'être modernisée. Depuis de nombreuses années, les projets en matière de transports font l'objet d'expertises de leur impact socio-économique. C'est le seul champ dans lequel nous disposons d'une méthode complète, éprouvée et approuvée par des experts.

Je prends maintenant un exemple dans un domaine spécifique. Nous avons évalué récemment un projet de rénovation lourde d'une prison. Or, en France, nous ne disposons à peu près d'aucun élément pour évaluer sur un plan socio-économique un tel projet. Nous avons diligenté une contre-expertise et les experts ont fait plus que contre-expertiser. Ils ont tenté d'expertiser l'impact socio-économique de ces projets en utilisant des métriques ou des études réalisées à l'étranger.

Il est intéressant de noter qu'il n'existe en France que peu d'éléments sur le sujet. Par ailleurs, ces éléments ne portent pas uniquement sur la question de savoir s'il convient de rénover une prison. Ils éclairent aussi la politique pénale de l'État en révélant l'impact d'une prison rénovée sur le taux de récidive, comparé à celui d'une prison qui ne le serait pas ou celui d'actions alternatives à la prison. De telles questions, qui sont étudiées dans d'autres pays, ne le sont pas en France, en tout cas pas à ma connaissance.

Encore une fois, le besoin de méthode vaut pour tous les champs.

Face à ce constat, nous menons deux types d'action pour pallier le manque de méthode. D'une part, nous utilisons des contre-expertises. Nous demandons aux experts de ne pas hésiter à faire preuve d'imagination et d'engager des évaluations socio-économiques complètes. D'autre part, afin de développer ces méthodes, nous avons demandé à France Stratégie de mettre en place un dispositif comprenant un panel d'experts auquel nous apportons le matériau des expertises que nous avons diligentées.

Pour toute évaluation socio-économique, dès lors qu'elle dépasse le seul aspect financier, l'enjeu consiste à fixer des valeurs dites tutélaires. L'une de ces valeurs, bien connue, est la valeur d'une vie humaine. Lorsqu'il s'agit de réaliser des investissements pour réduire le nombre d'accidents et estimer la valeur socio-économique, il faut, en quelque sorte, monétiser la vie humaine. Mais des valeurs tutélaires manquent pour apprécier l'ensemble des pans d'une politique gouvernementale. Il revient à des cénacles d'experts de les fixer et de les proposer, en les assortissant d'une méthode et d'une valeur documentées.

Tels sont les trois points essentiels de l'évaluation sur le champ particulier de l'investissement au sens large. Cela peut sans doute se transposer à d'autres activités de l'État. Lorsque l'on mène des actions, il faut absolument intégrer le coût d'une évaluation et il est préférable d'intervenir ex ante comme nous le faisons pour le programme d'investissements d'avenir plutôt qu'ex post car, généralement, d'autres priorités s'imposent le jour venu. Il convient de développer des méthodes approuvées qui rencontrent l'accord d'experts qui soient des personnes indépendantes. Enfin, il faut intégrer plus systématiquement dans les activités de l'État une obligation. Je ne parle pas forcément de la loi mais des processus et des routines doivent être établis afin que la notion d'évaluation se propage à tous les échelons du fonctionnement de l'État.

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