Intervention de Valérie Létard

Réunion du jeudi 5 avril 2018 à 10h05
Groupe de travail sur les moyens de contrôle et d'évaluation du parlement

Valérie Létard, vice-présidente du Sénat, présidente de la délégation du Bureau en charge du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle :

Avant de reprendre la liste des propositions, je répondrai à votre question, monsieur le rapporteur. Comme nous l'avons rappelé très succinctement, la commission ad hoc d'évaluation et de contrôle de l'application des lois en place durant trois ans a connu de grandes difficultés de fonctionnement et des limites très compliquées avec les commissions permanentes, car ce travail d'évaluation et de contrôle de l'application des lois est un travail qui est également réalisé par les commissions permanentes. N'ayant pas de moyens propres, la commission ad hoc faisait appel aux moyens des commissions permanentes pour entreprendre un travail que celles-ci effectuent. Cette formule a été tentée, elle a été testée. Les commissions permanentes fonctionnant bien chacune dans leur champ, l'expérience a eu du mal à prospérer et a tourné court.

Finalement, le Sénat n'a pas souhaité poursuivre l'expérience car il a été jugé qu'elle n'apportait pas une valeur ajoutée au travail, tel qu'il est aujourd'hui organisé, des commissions permanentes. De surcroît, au Sénat, les commissions permanentes ont la possibilité de s'investir et de s'organiser par binôme tel que vous le faites, non pas de façon systématique mais autant que de besoin, en fonction des sujets. Par exemple, dans le cadre de la commission des affaires économiques, nous nous sommes penchées, avec ma collègue Annie Guillemot du groupe socialiste, sur l'évaluation de la loi Lamy. Notre rapport mettait cette loi en perspective avec l'ensemble du travail de réflexion sur la politique de la ville et la rénovation de la politique urbaine. Les commissions peuvent se saisir de ce sujet en tant que de besoin. De tels travaux sont menés en binôme par des élus issus de la même commission mais composée de sénateurs de sensibilités politiques différentes, majorité et opposition. Ces binômes peuvent mener un travail approfondi, se déplacer, procéder à des contrôles. Par exemple, nous avons visité tous les plus grands sites de la politique de la ville en France investis dans la politique urbaine et les contrats de ville. Nous avons rencontré tous les acteurs et tous les services et nous avons rendu un rapport extrêmement fourni sur l'évaluation. Nos préconisations ont permis à la commission permanente de montrer les avancées, mais aussi les failles du dispositif et les pistes d'amélioration possibles. Ce travail peut être effectué dans le cadre des commissions permanentes ; reste la question des moyens dévolus. En tout cas, pour l'heure, le Sénat a renoncé à la constitution d'une commission ad hoc.

Je reviens à vos propositions visant à mieux articuler les activités de contrôle et d'évaluation avec les travaux législatifs.

Votre neuvième point proposait de mieux informer le Parlement des projets de loi en préparation et de l'associer à leur élaboration.

Le Sénat partage le souhait d'une meilleure information sur les projets de loi en préparation. Il est crucial que le Gouvernement s'engage bien plus en amont sur le programme législatif qu'il compte inscrire à l'ordre du jour. De là découlera une meilleure organisation des travaux du Parlement, tant législatifs que de contrôle.

En revanche, nous ne sommes pas convaincus par la proposition visant à associer les parlementaires à l'élaboration de la loi, et ce pour plusieurs raisons, tant constitutionnelles que politiques.

Le Sénat est très attaché à la séparation des pouvoirs et ne souhaite pas brouiller la frontière entre l'exécutif et le Parlement sur cette question.

D'un point de vue politique, un projet de loi est la traduction de la volonté politique d'un gouvernement donné. Si cette volonté coïncide, à l'Assemblée nationale, avec la majorité, ce n'est pas nécessairement le cas au Sénat. Quelle sera dès lors la marge de manoeuvre, dans la discussion législative, d'un parlementaire qui aura participé à l'élaboration même du texte en débat ?

Par ailleurs, à l'heure où nous oeuvrons pour renforcer les obligations de déport – la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a traité de cette question –, dans un certain nombre de situations, une telle mesure serait, à notre sens, difficilement compréhensible, puisqu'elle nous placerait dans la double position de juge et partie.

La dixième proposition ambitionnait d'améliorer les études d'impact, de les imposer dès le début de l'élaboration des projets de loi, d'en prévoir pour les propositions de loi inscrites à l'ordre du jour et pour les amendements substantiels, et de doter le Parlement de moyens efficaces pour vérifier leur rigueur et leur exhaustivité. Le Sénat souscrit à cette proposition.

Nous proposons de renforcer le contenu des études d'impact en complétant la loi organique du 15 avril 2009. Nous souhaiterions notamment que les études d'impact proposent, en cas de création d'une norme nouvelle, des mesures d'abrogation ou de simplification des normes déjà existantes.

Nous proposons d'étendre les études d'impact aux ordonnances et aux amendements du Gouvernement prévoyant des mesures nouvelles. Concernant les amendements émanant de parlementaires et les propositions de loi inscrites à l'ordre du jour, nous ajoutons cependant un bémol : prenons garde à ne pas introduire un élément de rigidité au détriment de l'initiative parlementaire. Il ne faudrait pas que le Gouvernement puisse, par exemple, s'appuyer sur l'insuffisance d'une étude d'impact de proposition de loi pour en contester l'inscription à l'ordre du jour ou la pertinence.

Dernier élément concernant les études d'impact : le Sénat propose de renforcer les prérogatives des Conférences des présidents des deux assemblées pour constater que les obligations relatives aux études d'impact ne sont pas remplies. Cette prérogative serait offerte aux deux assemblées, et non uniquement à la première saisie. Le délai de mise en oeuvre de cette demande serait par ailleurs porté de dix jours à trois semaines.

Le point 11 avait pour objet de mieux contrôler l'application des lois : prévoir l'intervention du Parlement dans l'élaboration des textes réglementaires, permettre à soixante députés ou à soixante sénateurs de saisir le Conseil d'État en cas de manquement du pouvoir réglementaire et instaurer dans la loi des mécanismes d'évaluation et des clauses de rendez-vous.

Au nom du principe de la séparation des pouvoirs, nous ne sommes pas favorables à l'intervention du Parlement dans l'élaboration des textes réglementaires. Nous proposons cependant d'inscrire dans la Constitution l'obligation de prendre les mesures réglementaires d'application des lois. Et nous partageons votre souhait de permettre à soixante sénateurs ou soixante députés de saisir le Conseil d'État en cas de carence. Nous souhaitons que cette faculté soit également offerte aux présidents des deux assemblées. François Pillet a précisé qu'en fonction de la réduction du nombre global de parlementaires, le seuil serait à ajuster.

Votre douzième proposition avait pour objet de revoir le calendrier des travaux parlementaires en sanctuarisant les semaines de contrôle et en rééquilibrant le temps consacré à l'examen du projet de loi de règlement et celui réservé au projet de loi de finances de l'année. Le Sénat propose, compte tenu du bilan qu'il est possible de tirer de dix ans de pratique de l'ordre du jour partagé et des réserves exprimées par de nombreux sénateurs sur la semaine de contrôle, de fusionner les semaines d'initiative sénatoriale et de contrôle.

Sur la question de la réorganisation de la discussion budgétaire, les travaux du Sénat ne sont pas achevés. Le groupe de travail sur la révision constitutionnelle s'est réuni cette semaine encore sur le sujet. Pour l'heure, nous n'avons pas arrêté de conclusions.

La troisième partie de vos propositions était rassemblée sous le titre : valoriser les activités de contrôle et d'évaluation.

Le point 13 propose un délai impératif de réponse de deux mois aux questions écrites posées par les parlementaires au Gouvernement. Le groupe de travail n'a pas formulé de proposition sur ce point. À titre personnel, nous nous interrogeons sur la portée d'un tel délai impératif en l'absence de toute sanction, le délai actuel de réponse n'étant déjà pas respecté.

Une piste de réflexion pourrait consister à encadrer le nombre de questions posées au Sénat comme cela a été fait à l'Assemblée nationale en fixant un plafond à cinquante-deux questions. Il paraît, en effet, difficile d'attendre du Gouvernement vertu et rigueur quand les parlementaires ne s'astreignent pas toujours à ces objectifs. Sans entrer dans le détail, on peut dire que tous les parlementaires ne posent pas le même nombre de questions écrites et que certains en posent un nombre colossal. Cette masse de questions rend impossible l'exigence d'un délai raccourci. Peut-être conviendrait-il de trouver un juste équilibre.

Vous souhaitez donner au Parlement un pouvoir d'injonction en contraignant le Gouvernement à répondre à ses recommandations. La position du Sénat est cohérente sur ce point avec les éléments déjà évoqués : nous ne sommes pas favorables à une remise en cause de la séparation des pouvoirs.

Enfin, vous avez souhaité doter le Parlement d'un droit de suite, en donnant à ses instances de contrôle et d'évaluation, six mois après le dépôt de leur rapport, le droit d'entendre les ministres destinataires de leurs recommandations

Il est important d'organiser le suivi des recommandations formulées par les parlementaires. Il nous semble, cependant, que rien ne s'oppose actuellement à la mise en oeuvre de ce droit de suite, qui est appliqué régulièrement.

Voilà le miroir que nous pouvons vous renvoyer au regard de votre travail.

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