Intervention de Nicolas Biard

Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 15h00
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Nicolas Biard, directeur technique de l'Association nationale française des ergothérapeutes (ANFE) :

Je vous remercie de consulter les ergothérapeutes dans le cadre de cette commission d'enquête. Il importe de ne pas considérer l'égal accès de tous à la santé sous le seul angle du manque de médecins. L'ergothérapie fonde sa pratique sur le lien entre les activités humaines et la santé, afin que chacun puisse mieux assurer son équilibre personnel, travailler et s'insérer dans la vie sociale et citoyenne. Les ergothérapeutes qui sont des paramédicaux, interviennent dans le champ social et médicosocial, de façon pluridisciplinaire sous prescription médicale lorsque la nature de l'activité l'exige, pour faciliter la pleine réalisation des activités de chacun. Notre action consiste à prévenir, à réduire, à supprimer les difficultés de l'individu à les réaliser, en tenant compte des habitudes de vie et de l'environnement.

Le nombre d'ergothérapeutes en France a doublé en dix ans, pour atteindre 12 225 au 1er septembre 2017. Ces professionnels sont jeunes – 35 ans en moyenne. La densité est de 16 ergothérapeutes pour 100 000 habitants, soit moins que nos voisins puisque cette densité est de 189 au Danemark, 88 en Belgique et 71 en Allemagne. Cette densité est également largement inférieure à celle d'autres paramédicaux s'occupant de la réadaptation : ainsi, en 2013, il y avait 120 kinésithérapeutes pour 100 000 habitants. Il y a également une forte disparité dans la répartition par département, y compris outre-mer, avec, par exemple, 6,6 en Haute-Loire et 48,8 en Lozère.

Les ergothérapeutes exercent essentiellement comme salariés, mais il existe un exercice libéral : la densité en libéraux est de 1,8 pour 100 000 habitants, mais varie de 0,3 pour 100 000 en Lot-et-Garonne à 5,6 en Côte-d'Or.

La formation se fait en trois ans. Le nombre d'instituts de formation a triplé ces dernières années, d'une part pour faire face à une pénurie annoncée suite au remplacement des premiers professionnels qui partent en retraite, mais surtout pour répondre à la demande de la population. Il y a actuellement entre un et trois instituts de formation par région, alors qu'il y a quelque temps certaines régions n'en possédaient pas. Alors que 500 professionnels arrivaient sur le marché du travail en 2014, ils seront 1 000 en 2018. Ce marché est prometteur et la profession a su s'adapter pour répondre aux besoins.

Au-delà de l'inégale répartition sur le territoire, la principale difficulté d'accès aux soins d'ergothérapie est liée au mode de financement des actes, pour lesquels la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) refuse tout conventionnement.

De ce fait, l'accès aux soins d'ergothérapie se fait presque uniquement dans le cadre des institutions. Mais ce n'est ni adapté, ni souhaitable pour chacun de passer par l'hôpital ou par un service de soins de suite et de réadaptation. Les personnes âgées, les personnes en situation de handicap et leurs familles ne souhaitent pas une entrée en institution uniquement pour bénéficier de l'ergothérapie. Contrairement à d'autres professions paramédicales, l'ergothérapie ne peut donc que difficilement se développer en milieu ordinaire de vie puisque l'exercice libéral est limité par le financement.

Pourtant les demandes affluent et le besoin est réel dans la population. Pour bénéficier de ces actes, les usagers doivent présenter un dossier de prestation exceptionnelle, soumis à un certain nombre de conditions, notamment financières, auprès de l'assurance-maladie, d'attendre plusieurs mois pour avoir une réponse et donc d'avancer les frais pour, éventuellement, se voir notifier un refus de remboursement.

Pourtant différentes études de la Mutualité française, ainsi que des rapports techniques, que je pourrais vous communiquer, montrent l'intérêt de cette prise en charge hors institution, en service de soins à domicile ou en libéral, pour améliorer la réadaptation, diminuer le temps d'hospitalisation et, finalement, les coûts globaux pour la société. Ainsi, en Angleterre, le recours à l'ergothérapie permet d'économiser 50 000 à 60 000 euros par patient dans certaines pathologies chroniques.

Pour pallier le défaut de remboursement par l'assurance maladie, certaines mutuelles, caisses de retraite et compagnies d'assurance offrent des forfaits de soins en ergothérapie, pour les couvertures les plus complètes et les plus onéreuses. Cela accroît l'inégalité d'accès aux soins : ceux qui ont les moyens de payer de bonnes mutuelles et caisses complémentaires ont accès à ces soins, pas les autres. Se pose également la question de la non-reconnaissance de handicap, par exemple pour les personnes souffrant de troubles musculo-squelettiques, ou les personnes qui ont mal au dos et pourraient bénéficier de ces soins s'il existait des modalités de financement. Selon une étude récente de la fédération française Dyspraxie France, de nombreuses familles d'enfants dyspraxiques renoncent à entreprendre des soins pour cette raison financière. Certaines initiatives locales, encore trop rares, permettent une prise en charge, mais sont généralement destinées à une catégorie particulière d'âge ou de pathologie, ou à un territoire défini : deux personnes à quelques kilomètres de distance ne bénéficient pas des mêmes soins. C'est un souci important pour les professionnels. Il existe quelques financements pour les enfants grâce à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) versée par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Mais ces financements, très disparates d'un département à l'autre, tendent à s'épuiser, et les familles ont de moins en moins de solutions.

Très récemment, le Gouvernement a présenté la stratégie nationale pour l'autisme 2018-2022, qui comprend un financement des actes d'ergothérapie pour les enfants autistes. C'est une avancée dont nous nous réjouissons, mais encore une fois, l'action porte sur une catégorie de population. D'autre part, M. Pierre Morel-à-l'Huissier a déposé une proposition de loi en vue du remboursement des actes d'ergothérapie pour les enfants dyspraxiques, qui est intéressante. Mais de très nombreux autres enfants pourraient aussi en bénéficier.

Pour conclure, le nombre d'ergothérapeutes est assez faible compte tenu de l'évolution démographique et des besoins de la population. L'accès à ces prestations reste inégal en l'absence d'un modèle économique clair. L'ANFE formule donc les propositions suivantes : généraliser l'accès des personnes à l'ergothérapie en milieu de vie dans le cadre d'un parcours de soins coordonné, qu'il s'agisse de services d'aides et de soins à domicile ou en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), pour des soins de prévention, de rééducation et de réadaptation ; obtenir le financement des prestations d'ergothérapie pratiquées en exercice libéral et en maison de santé pluridisciplinaire par la CNAMTS ; rendre ce mode de financement universel, accessible à tous quels que soient l'âge, la pathologie et le lieu d'habitation ; développer l'ergothérapie en pratique avancée, comme la loi le permet et comme les infirmiers y sont engagés, notamment pour la préconisation des aides techniques, les interventions précoces chez l'enfant avant diagnostic, les interventions dans le cadre de certaines maladies chroniques.

Je suis à votre disposition pour répondre aux questions.

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