Intervention de Laurent Garcia

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Droit voisin au profit des éditeurs de services de presse en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Garcia :

Monsieur le président, madame la ministre de la culture, monsieur le rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, mes chers collègues, l'enjeu de l'instauration d'un droit voisin en faveur des éditeurs et des agences de services de presse en ligne va bien au-delà d'une simple reconnaissance d'un droit économique : il s'agit bien plus d'assurer à la presse de notre pays les moyens d'une véritable indépendance, et donc sa liberté. Chacun de nous sait combien est précieuse cette liberté, et combien la démocratie ne peut perdurer sans la vitalité d'une presse d'opinion riche et diverse, cadre du débat démocratique.

Ce cadre démocratique est aujourd'hui mis à mal par l'apparition de ce qu'il est communément admis d'appeler les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – , mais qui regroupent plus largement l'ensemble des plateformes de diffusion en ligne. II est mis à mal, d'abord, par la pratique de l'optimisation fiscale de ces entreprises internationales. Il est mis à mal, aussi, par l'irresponsabilité de ces acteurs quant aux contenus qu'ils diffusent. Il est mis à mal, enfin, par la captation de la valeur que ces entreprises induisent en ponctionnant 80 % des recettes publicitaires générées par les contenus produits par les éditeurs et les agences de presse.

Ces trois éléments mettent en évidence le déséquilibre qui existe entre tous ces acteurs. Le rapporteur l'a rappelé, notre responsabilité de parlementaires est de faire rentrer ces nouveaux acteurs dans le cadre démocratique, qui suppose trois éléments. Le premier est, bien sûr, la responsabilité fiscale, qui passe par le consentement à l'impôt, base du contrat démocratique. Une entreprise, quelle qu'elle soit, s'inscrit dans un terreau social et territorial devant lequel elle a une responsabilité. Deuxièmement, la responsabilité est aussi pénale, et il convient d'affirmer que chacun est responsable de ce qu'il dit et diffuse. Notre assemblée s'est saisie de ce sujet, et nous aurons à faire aboutir le texte qui nous sera présenté, et dont nous commençons la discussion la semaine prochaine en commission. Troisièmement, cette responsabilité ne saurait être pleine et entière sans la solidarité qui doit lier tous les acteurs d'un même secteur. Cette solidarité est d'abord assurée par l'équité et la justice, qui doivent définir les relations entre journalistes et éditeurs, d'un côté, et les plateformes de diffusion, de l'autre.

Aussi, alors que notre pays se bat, avec raison, pour contraindre les GAFAM à se soumettre à l'impôt, et que nous nous apprêtons à élaborer une législation pour lutter contre la diffusion des fausses informations, il est essentiel que notre assemblée se prononce sur la question essentielle du partage de la valeur et du rééquilibrage des relations entre plateformes et organes de presse.

On nous objecte que le calendrier d'une telle initiative n'est pas pertinent, et plus exactement qu'il n'est pas opportun d'agir maintenant sur ce sujet, car l'Union européenne est elle-même en train d'en débattre et serait – le conditionnel est de rigueur – sur le point d'aboutir à un accord. Nous ne partageons pas complètement cet optimisme, car la directive sur le droit d'auteur est sans cesse repoussée : d'abord au mois de mars, puis au mois d'avril, et désormais à la fin juin, sans aucune garantie.

Nous ne sous-estimons pas du tout les efforts du ministère de la culture, et particulièrement les vôtres, madame la ministre, pour défendre les exigences de la France en la matière. Nous vous savons très active – vous nous l'avez rappelé ce matin – pour faire en sorte que le modèle français, qui permet à la création dans notre pays d'être si dynamique, soit partagé le plus possible. Mais nous savons aussi que les discussions peuvent être longues et laborieuses, que la France n'a pas que des alliés dans ce domaine, et que, par ailleurs, comme l'a rappelé notre collègue Constance Le Grip hier en commission, c'est bien l'article 11 du projet de directive, celui qui vise à instituer le droit voisin, qui est le plus controversé.

Admettons-le, on ne voit pas se dessiner, en l'état actuel des choses, une rédaction qui fasse consensus et permette d'aboutir à une solution rapide, car l'objectif de cette proposition de loi est aussi la rapidité, madame la ministre. Le rapporteur l'a évoqué à plusieurs reprises en commission et dans cet hémicycle, il s'agit bien d'un droit économique. Tarder à le mettre en application, c'est, pour les éditeurs et les agences de presse, renoncer à une année de chiffre d'affaires, dans un contexte particulièrement tendu. On ne cesse de le dire : la presse nationale a besoin de cet apport pour assurer la pérennité d'un modèle économique. À défaut, son avenir sera très compromis, et ce à court terme.

Or, et c'est à regret que nous l'affirmons, la directive européenne n'a que très peu de chance d'aboutir d'ici à la fin de l'année. Ce sentiment n'est d'ailleurs pas seulement le nôtre : il est largement partagé sur tous les bancs de cette assemblée et, plus important peut-être, par les parlementaires en charge de ce dossier au niveau européen. Il est, à notre sens, utile de procéder dès maintenant au vote de cette proposition de loi, pour pouvoir agir de manière très rapide en cas de vote du Parlement européen sur la directive concernant le droit d'auteur.

Voter dès maintenant, c'est donner au Parlement français les moyens de transposer la directive en droit français très rapidement, dès l'automne. C'est aussi nous offrir, à nous, parlementaires, la possibilité d'ajuster le texte en fonction des conclusions européennes d'ici à la deuxième lecture. C'est, enfin et surtout, garantir que, quoi qu'il arrive, même en cas de blocage européen, notre pays sera en mesure de légiférer rapidement pour instaurer un droit voisin.

S'agissant du principe d'une organisation via une société de gestion collective, cette proposition intervient après les expériences allemandes et belges, dont l'absence d'organisation collective avait empêché l'effectivité du droit voisin. Nous savons bien qu'il s'agirait d'un bras de fer, mais nous savons aussi que les chances de réussir sont infiniment plus grandes si tous les acteurs de la presse sont réunis plutôt que divisés. Au demeurant, faisons confiance aux acteurs eux-mêmes, qui réclament désormais ce droit tous ensemble, de façon presque unanime, et qui sont prêts à coopérer. Ils se sont exprimés à de multiples reprises pour inciter le Parlement à avancer sur ce sujet.

Le moment nous semble donc particulièrement favorable pour que la France défende un tel texte et envoie un signal à ses voisins, en particulier les plus réticents, sur sa détermination. En aucun cas la négociation ne s'en trouverait entravée au niveau européen : ce serait, au contraire, assurer à nos alliés que nous sommes avec eux pour parvenir à trouver une issue favorable rapidement.

Le groupe Mouvement démocrate et apparentés, en inscrivant ce texte à l'ordre du jour de notre assemblée, a souhaité alerter la représentation nationale sur la situation difficile de la presse dans notre pays. Le contrat démocratique, qui est le socle de notre République, repose sur les garanties que nous sommes capables d'apporter au pluralisme dans notre pays et à son expression libre et indépendante. Cette indépendance ne peut être entière si le contenu des productions de la presse française échappe à leur contrôle et ne leur assure pas un revenu qu'elles considèrent, à juste titre, comme leur revenant de droit.

En conséquence, il nous revient à nous, parlementaires de tous bords, qui reflétons aussi l'expression des diverses sensibilités politiques et d'opinion de notre pays, de nous poser en garants de cette indépendance. Oui, la presse en a un besoin urgent. Oui, sa liberté et son indépendance ne peuvent pas attendre. Dans cette enceinte qui symbolise la République, je tiens à dire que cette proposition de loi est comme Dieu : on y croit ou on n'y croit pas, mais en commission on ne renvoie pas.

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